3. William

21 minutes de lecture

Les basses résonnaient dans ses tympans, laissant la musique se glisser lentement sous son crâne. But I just can't wait for love to destroy us. La cigarette toucha ses lèvre, la saveur habituelle du tabac effleura sa langue jusqu'à s'infiltrer dans sa langue. Alexandre lui avait demandé un jour s'il n'avait jamais pensé à arrêter de fumer. Il avait répondu : "Pourquoi faire ? Si j'ai commencé, c'est pas pour y mettre fin". S'il savait. Il espérait chaque jour pouvoir cesser de noircir ses poumons. Mais c'était plus fort que lui. The only flaw, you are flawless. Les voûtes de fumée blanches s'élevèrent au-dessus de sa tête.

Il ferma les yeux, laissa sa tête s'enfoncer dans l'oreiller. Son corps gisait immobile sur les draps. Il lâchait prise. Il oubliait. Oubliait le tir contre le miroir. Les morceaux qui s'éparpillaient au sol. Les mains moites de Chloé, le sourire carnassier de Liam. "Je ferai ce que tu voudras", lui avait-il dit. Ou un truc du genre. Il ne s'en souvenait plus bien.

He didn't want her to cry

Et puis il voulait oublier Emma. Son regard terrifié à son arrivée chez les Layne. Sa soudaine envie de fuir. Fuir loin de lui.

She didn't want to be sad

Il avait eu mal, ce jour-là. Mal pour elle, pour savoir qu'elle souffrait encore et que toutes ses pensées destructives lui remplissaient toujours la tête. Emma était née avec la tragédie dans le sang. Et elle la portait merveilleusement bien.

She said, you'd better not leave me, this shit it'll be fucked up for days, and weeks, and months, but I fell in love today

— Eh, William !

Un écouteur tomba et le visage d'Alexandre lui apparut comme un ange tombé du ciel. Mais un ange en colère.

— Je t'ai dit d'ouvrir la fenêtre quand tu fumes !

Il s'écarta, contourna leur lit et ouvrit les battants dans un geste brusque. L'air froid s'infiltra dans un courant d'air innatendu. William se redressa, frottant ses yeux pour reprendre conscience. La cigarette était encore coincée entre ses doigts, se consumant lentement.

— Il fait froid, grogna-t-il.

— J'en ai rien à faire. J'ai pas envie de m'intoxiquer en dormant, j'avale assez de cette saleté en restant à côté de toi toute la journée.

— Rien ne t'oblige à rester à côté de moi.

Et, avec ses mots, il reprit une taffe. Alexandre lui jeta un regard noir.

— Arrête.

— Arrêter quoi ?

Au lieu de répondre, il passa la porte et s'en alla. William poussa un profond soupir. Quand Erwin lui avait demandé la veille comment se passait leur vie en couple, il avait répondu "merveilleusement bien." Il avait menti. Il n'y avait que dans ces moments-là qu'on pouvait voir la fragilité de leur relation. Tout ce qu'il faisait, ça n'allait pas à Alex. Il fumait, ça l'agaçait. Il cuisinait, ça l'énervait. Bon, ok, il avait brûlé la casserole quand il avait essayé de faire des crêpes, mais c'était parti de bonnes intentions. Le seul moment où ils s'accordaient parfaitement était dans le lit. Alex se révélait, prenait étonnamment le contrôle et en demandait chaque fois un peu plus. William aurait voulu que le lendemain matin soit aussi tranquille que quand la lune les observait.

Il jeta la cigarette par-dessus la fenêtre et s'aventura dans le salon. Alexandre lisait. Ses cours étaient éparpillés sur la table, il révisait sûrement pour la rentrée du lendemain. William devait étudier pour deux examens, mais il ne savait pas par où commencer. Il éteignit la musique de son téléphone et posa ses deux mains sur les épaules de son petit-ami. Alex sursauta un peu avant de reconnaître son contact.

— Désolé, se contenta-t-il de dire. J'y penserai la prochaine fois.

Il enfonça ses pouces dans sa peau. Ses muscles étaient tendus.

— J'espère bien, grommela-t-il.

William contourna le canapé et s'assit à ses côtés, passant un bras autour de ses épaules. Alexandre fixait toujours sa page, imperturbable.

— Eh, regarde-moi.

Il lui arracha le livre des mains seulement quelques secondes après avoir prononcé ces mots. La patience n'avait jamais fait partie de ses qualités. Alexandre, certainement frustré, entoura ses doigts autour de son cou et écrasa ses lèvres contre les siennes. Il avait été surpris au début de cette prise d'initiative, puis avait fini par le connaître, s'habituer. Il avait découvert une autre personne, sûre d'elle, presque dominante. Alexandre Voseire représentait le secret même.

Il se détacha avec un léger sourire puis jeta un regard dégoûté vers ses feuilles de cours.

— Je suppose que je vais devoir m'y mettre.

Toute l'après-midi, Alexandre l'aida à organiser ses prises de notes, à les passer au propre puis à les apprendre, l'interrogeant jusqu'au soir. William n'avait travaillé que l'économie et la gestion d'entreprise, mais il se promit d'étudier le reste des matières dans la semaine. À vingt-deux heures, alors qu'Alexandre prenait sa douche, William se servit un verre de Scotch et le but lentement, appuyé contre le meuble du salon. Son regard se perdit dans le vide et ses pensées dévièrent vers Liam. Il lui avait envoyé plusieurs messages. Une adresse était affichée dans l'un d'entre eux. Il voulait lui parler. Pour lui proposer de rejoindre son marché, certainement. Comment dire non, quand il pourrait facilement casser la porte de Chloé et la tuer ? Cette possibilité le terrifiait. D'un autre côté, le rejoindre le terrifiait aussi. Et il n'en avait parlé à personne. Il n'osait pas. Et il avait assuré à Chloé qu'il ne tenterait rien. Que sa promesse avait été vide. Elle ne connaissait pas assez bien Liam.

Elle ne savait pas qu'il attendait que chaque promesse soit honorée. Une habitude de dealer.

— Tu penses à quoi ?

Alexandre se tenait dans l'encadrement de la porte du couloir, les cheveux dégoulinant sur sa peau blanche, un simple jean enfilé.

— À rien, dit-il en souriant.

— J'aimerais me coucher tôt ce soir. On se réveille à sept heures demain.

— Ouais. J'arrive.

Il disparut dans la chambre. William vida son verre et le posa dans l'évier dans la cuisine. Mais soudain, il n'arriva pas à bouger. Ses pieds restaient cramponnés au sol, ses jambes devinrent lourdes. Il s'accrocha au bord du meuble, se plia sous les images percutant son esprit. Le corps de Emma dans ses bras. Ses spasmes. Ses yeux ouverts sur le plafond, la vie s'échappant d'entre ses lèvres. Puis il entendit le tir, puis les morceaux de verre explosés, ceux du miroir, du pare-brise de la voiture, les larmes rouges, le poignet cassé. Trop de choses le bousculant, trop de poids sur sa poitrine. Emma ! s'entendit-il crier. Emma putain réveille-toi ! Emma, s'il te plaît ! Elle ne s'était pas réveillée. Pas dans ses bras, en tout cas. Et il l'avait pensée morte. Partie, pour toujours. Tout va bien aller chéri. Sa mère qui avait paru lui sourire, sur le siège de devant. Ses paupières pâles qui se fermaient. Elle aussi était partie. Ses genoux touchèrent le carrelage. Il s'assit sur le sol, tentant de reprendre une respiration normale. Sa vue ne s'accommodait pas. Il avait l'impression d'étouffer.

Une main toucha son bras, puis sa nuque.

— Respire. Je suis là.

Il respira. Il réussit. Sa main tremblante trouva celle d'Alexandre. Il la serra fort, se raccrochant à ce contact, son rocher. Les images s'évaporèrent peu à peu. La réalité se dessina autour de lui, tout redevenait clair, fluide, lumineux. L'arrière de son crâne tapa ce qui semblait être le frigo.

— Et merde, grogna-t-il.

— C'est bon, c'est rien, le rassura Alex. Juste une crise.

Juste une crise, ouais. Ses médecins appelaient ça des crises d'angoisse. "Typique" avaient-ils dit, comme s'ils avaient à faire à ce cas quatre-vingt fois par jour. Mais William était certain qu'il ne s'agissait pas de ça. C'était son cerveau qui n'allait pas. Ses souvenirs prenaient vie. Et il plongeait dedans. Ça n'avait rien à voir avec de l'angoisse.

— Faudrait peut-être que t'arrête de boire, suggéra Alex quand il fut redevenu calme. Ça t'arrive souvent après avoir pris de l'alcool.

— J'en sais rien, soupira-t-il, je n'ai pas fait le lien.

— Moi si.

Il se fiait à lui. Alexandre n'avait pas de problème particulier avec l'alcool, contrairement à la cigarette. Ce n'était pas un leurre pour le forcer à arrêter de boire, et puis il avait sûrement raison. De toute façon, il n'avait pas la force de débattre. Alex glissa une main sous son aisselle pour l'aider à se redresser. Une sueur froide coula le long de son dos. Dans la chambre, il enfila un tee-shirt qu'Alex lui tendit. Il avala des somnifères puis se glissa sous les draps. Les lumières éteintes, il sentit les bras de son petit-ami l'entourer, puis ses mains se poser à plat sur son torse. Il disait sentir son coeur battre de cette manière. Il voulait le savoir vivant.

Le lendemain, il se trouvait dans la BMW d'Alex, roulant en direction de Memphis. Sa veste en jean sur son sweat lui donnait chaud. Il aperçut une femme avec une écharpe épaisse et un blouson et en déduit que c'était juste lui qui avait un problème. Ils se garèrent sur le parking de l'école puis se dirigèrent vers l'entrée. Immédiatement, les regards convergèrent dans sa direction. Un groupe de fille se tut à leur passage, avant de se remettre à parler.

Erwin fut le premier à apparaître en haut des marches, les traits du visage contractés. Il secoua le téléphone dans sa main.

— Tu sais comment ça s'appelle ça ?

— Bonjour sinon, râla-t-il. Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Alexandre venait de sortir son téléphone pour contempler tous les appels manqués de leur ami.

— Faut que tu viennes voir ça.

Il le suivit dans la foule qui venait de se rassembler dans la cour principale. Vers le Mur. Oh shit. À peine les deux désignés venaient-ils de se déclarer officiellement couple qu'il arrivait une deuxième merde. Ah moins que ce ne soit autre chose ? Son cœur se mit à battre plus violemment, mais il n'eut pas le temps de demander quoi que ce soit à Erwin.

Il vit.

Et tout à coup, la température baissa de quarante degrés.

— C'est quoi ces conneries ?

La moitié de Memphis se tut au son de sa voix. Il fixa son nom écrit sur le mur. Juste au-dessus d'un Erwin Layne barré. Impossible. On était novembre, jamais il n'y avait eu des désignés en milieu d'année. Il balaya la foule autour de lui. Tout le monde restait bouche-bée. Déconcerté. Comme lui. Il se tourna vers Lucas et Raven, ceux-ci l'observant avec pitié. Puis Alexandre. Il était devenu blanc.

Il regardait le nom d'Emma.

— Où elle est ?

Il ne savait pas pourquoi il voulait la voir. Pourquoi il voulait savoir où elle se trouvait. Son prénom était là, à côté du sien, et il avait besoin de la savoir vivante.

— Simon vient de me dire qu'ils arrivent, répondit Erwin.

Même les professeurs étaient sortis et certains fronçaient les sourcils. Quelque chose n'allait pas. Les règles ne pouvaient pas avoir changé, pas après trente ans de tradition. Et puis ce n'était pas une blague, c'était exactement la même peinture, la même grosseur, écrit avec le même pinceau sur ces mêmes maudites briques blanches. Son prénom et celui d'Emma. William Restrie, Emma Rovel. Liés pour l'année. La seule personne capable de le faire craquer. Pourquoi ne pas avoir choisi une fille dont il n'en avait rien à faire, à la place ? Il lui aurait expliqué bien gentiment qu'il était en couple et qu'elle ne l'intéressait pas. Il avait peur de céder face à elle. Peur de tout faire foirer.

— On m'explique là ?

Sasha Rovel émergea de l'attroupement, ses yeux ronds posés sur la paroi.

— On en sait pas plus que toi, répondit calmement Erwin.

Comment pouvait-il parler aussi normalement ? Comment ne pas hurler et ne pas désirer défoncer ce mur à coup de poings ? Il posa ses mains sur son crâne, prêt à s'arracher les cheveux. C'était la merde. La belle grosse merde.

— Où est ma soeur ?

— Elle arrive, répéta-t-il.

Au moment où il prononçait ses mots, des élèves s'écartèrent. Simon fut le premier à apparaître. Pauvre de lui. Si jaloux, si possessif, lui qui le détestait déjà. Ses traits se décomposèrent Emma s'avança, mit un peu plus de temps à réagir. William examina chacun de ses mouvements. Sa main sur sa bouche. Les mêmes yeux ronds que son frère. Un cri. On venait de l'empoisonner, et voilà son nom inscrit sur le Mur. Quelqu'un s'acharnait sur elle.

Memphis était devenu silencieux.

— Non, lâcha-t-elle. Non, non !

Elle recula, percutant le torse de Sasha. Celui-ci enroula ses bras au-dessus de sa poitrine, la tint fermement contre lui. Simon semblait sur le point de s'évanouir. Et William avait trop peur pour jeter un coup d'œil vers Alex.

L'horloge annonça huit heures. Le début des cours. Personne ne bougea.

On entendait seulement Emma pleurer.

Ce moment blanc flotta pendant de longues minutes. L'école entière contemplait ce changement, cette nouvelle règle imposée. Une nouvelle menace, une nouvelle distraction. Peu importait qui peignait ces mots, il n'avait pas l'intention de terminer le spectacle si tôt dans l'année.

— Ma-gni-fique, s'éleva soudain une fois, accompagné d'un applaudissement unique.

Il se tourna. Tout le monde fit de même. Une fille qu'il n'avait jamais vu de sa vie tapait ses mains, un sourire idiot plaqué sur ses lèvres. Ses longs cheveux blonds tombaient en cascade dans son dos. Bottes en cuir, mini-jupe, manteau anglais. Ses mèches de devant étaient collées à son crâne par ce qui semblait être de l'eau - ou du gel.

Emma se décolla du torse de son frère, lui lançant un regard mortel. William la fixa avec une envie de lui faire ravaler son sourire, par n'importe quel moyen possible.

— Vous êtes des dramatiques hein, vraiment.

Une impulsion traversa ses veines. Avant qu'il n'ait pu se jeter sur elle pour l'étrangler, Erwin le retint, posant une main sur son bras, l'autre au-dessus de son épaule.

— T'es qui toi ? demanda Emma avec la plus grande méfiance.

— Gabrielle, annonça-t-elle en tendant gaiement sa main. Enchantée.

Quand elle vit que personne n'allait la serrer, elle haussa les épaules et réajusta la anse de son sac Vuitton. Il ne l'avait jamais vu dans les parages, ni même dans le monde bling bling de ses amis. Malgré le rejet évident, elle continua de sourire.

— Gabriella en prononçant le rrr roulé. C'est de l'espagnol. Mais bon, si vous le prononcez en modo francés, ce n'est pas très grave.

Comme s'ils en avaient quelque chose à faire.

— Excuse-moi Gabrielle, l'interrompit Erwin, mais on est sur quelque chose d'important là. Alors si tu veux bien...

— Oh mais je sais, je connais toute cette tradition. C'est drôle, ça fait du divertissement.

— Je vais la tuer, murmura Simon.

Madden émergea d'on ne sait où, filant droit vers Erwin. Mais elle se tourna au dernier moment vers la blonde et celle-ci lui adressa un salut de la main. Elle s'arrêta, étonnée.

— Dégage, cracha Emma. T'as rien à fou...

— C'est Gabrielle comment ? la coupa son frère.

— Torella, annonça-t-elle, visiblement très joyeuse qu'on lui demande quelque chose sur elle.

— Et c'est quoi ton Instagra...

Emma le frappa sur le torse en s'éloignant un peu.

— Espèce de crétin.

Elle marcha vite en direction des bâtiments, suivie d'un Simon livide.

— C'était qui, ta copine ? demanda-t-elle innocemment.

— Ma sœur, répondit-il d'un air sombre.

— Oh.

Elle sortit son téléphone de son sac, consciente que des centaines d'yeux la dévisageaient. Ça ne semblait pas la déranger. Quand elle s'approcha pour lui donner son Instagram, William se retourna, se sentant nauséeux.

— Où étais-tu passée ? demanda-t-il à Madden quand il s'approcha d'elle.

— J'ai appelé Philippe. Emma n'est pas dans l'état de supporter cette nomination.

Puis elle se pinça la lèvre, le scrutant avec insistance.

— Surtout avec toi.

— Ah ouais, et tu comptes faire quoi ? Effacer ces noms avec de la javel ?

— Il va venir dans la journée pour parler avec le directeur.

— Ce sera bien la première fois qu'ils se préoccupent de ce foutu Mur, marmonna-t-il.

— Mon père était déjà au courant de la tradition. Ils le savent tous, ils ne l'ont juste pas pris au sérieux au début. Les Layne refusent peut-être d'ouvrir les yeux, mais je sais que Philippe ou mon père ont fait le lien entre Leila et le Mur. Et toutes les conséquences qui nous sont tombées dessus.

— Faut que j'aille lui parler, dit-il en fixant le hall où elle avait disparu.

— Laisse la respirer un peu, lui conseilla Erwin.

Les élèves commençaient à bouger, certains entraient dans les amphithéâtres résonnants. Les professeurs prirent ce mouvement de masse comme un signe et gagnèrent leur salle respective. William n'avait aucune envie d'assister à une classe d'anglais économique. Il voulait parler à Emma. La rassurer. Lui dire qu'ils s'en sortiraient. Même si c'était un mensonge.

Lucas, qui participait au même cours que lui, le poussa en avant. William promit à Alexandre de le retrouver à la cafétéria lors de la pause. Il s'assit tout au fond de la salle, Lucas sur ses talons. Auparavant, ils prenaient place à l'opposé. Mais leur conversation lors de la pause cigarette au repas les avait définitivement réconciliés. William avait eu l'impression de retrouver une part de son passé, ce morceau de chair disparu qui l'accompagnait dans les soirées, fumait avec lui sur le balcon et répondait avec un sarcasme qu'ils partagaient. Et il était vraiment heureux de se retrouver à côté de lui dans ce cours. Si seulement son bonheur n'était pas entaché par le Mur.

— Ça va ? demanda Lucas.

— J'en sais rien.

Il laissa passer un silence que seuls les voix des élèves s'installant devant eux brisa.

— J'ai envie de m'en foutre complètement, reprit-il en fixant le tableau noir. De voir si quelqu'un oserait me dire quelque chose si je laissais Emma en paix. Mais voilà, c'est Emma. Elle y croit dur comme fer à cette malédiction.

— Ouais, surtout depuis cette bouteille.

— Tu sais ce qui me fait peur ?

Leur professeure prit place derrière le bureau, leur souhaitant un heureux good morning.

— Vas-y, dit.

— Ce n'est pas moi qu'on vise. C'est elle. Celui qui a choisi son nom savait parfaitement qu'en me plaçant à côté, elle allait en souffrir. Il la connaissait, ou il la surveillait, j'en sais rien. Mais ça me fait vraiment flipper.

Il n'imaginait pas son état à elle.

— Donc si on refuse de se mettre ensemble, termina-t-il, ce sera elle qui paiera le prix.

— Le Mur surprend, parfois.

— Non, lança-t-il alors que l'enseignante tentait d'imposer le calme. La personne qui nous a désigné connaissait Emma, alors il devrait aussi me connaître. Et il doit savoir que j'ai aucune peur de mourir.

— Tout le monde a peur de mourir.

— Pas quand tu te retrouves avec un flingue dans la bouche à treize ans.

Le rétroviseur s'alluma et Mme Halloway commença son cours. Il sortit sa tablette, son clavier connecté et s'efforça de prendre des notes. Il n'était pas mauvais en anglais, il arriva à comprendre le trois quart de ses explications sur la bourse londonienne. Pendant une petite demi-heure, il réussit à oublier le Mur, à oublier Emma, oublier la raideur d'Alexandre et son silence froid. Ce fut presque parfait, jusqu'à ce que la porte s'ouvre. Toute la classe se tourna dans la même direction.

— William Restrie ? appela Tom.

Le délégué de leur promotion. Sans même que William ne se dérange à produire un geste, Tom croisa son regard.

— Monsieur Rovel te demande dans le bureau du directeur.

Il maudit cent fois le nom de Madden Scott. Lucas tapa sur son épaule quand il s'en alla en guise d'encouragement.

Bye ma'am, dit-il en sortant.

Mme Halloway lui adressa un léger sourire. Il l'aimait bien. Tom ferma la porte et lui indiqua le chemin avec un mouvement du bras.

— Inutile de te dire où c'est.

Il lui adressa un bref hochement de tête et se dirigea vers le bâtiment de l'administration. Aussitôt qu'il arriva dans le couloir extérieur des bureaux, Simon émergea de l'ombre et le poussa vers l'arrière.

— Eh, mec, calme-toi !

— Écoute-moi bien Restrie, cracha-t-il en réduisant la distance entre eux. Si je te vois la toucher, l'effleurer ou ne serait-ce que la regarder trop longtemps, je te bute, c'est clair ?

— C'est quoi ton problème ? Je t'ai pas attendu pour prendre soin d'elle.

Il avança d'un demi pas, se dressant dans toute sa hauteur, lui montrant que ce n'était pas un crétin comme lui qui allait la séparer de sa meilleure amie.

— Mon problème, c'est que ton putain de nom est écrit à côté de celui de ma copine.

— Oh, vraiment navré de l'apprendre, ironisa-t-il.

— Je t'ai vu l'embrasser dans ma soirée, je t'ai vu lui faire du mal jour après jour alors si tu touches à un seul de ses cheveux, je...

— Simon !

Il se retourna. Emma s'avança, son regard lançant des éclairs. Simon s'écarta en enfonçant ses doigts dans ses cheveux, sa colère transformée en peine immense. William n'eut même pas le cœur à riposter. Il lui faisait plus de la peine qu'autre chose. Le pauvre avait voué tellement d'efforts pour garder Emma près de lui qu'il ne supportait plus la moindre menace. Et Emma aussi dut le sentir, puisqu'elle prit sa main, l'éloigna et glissa des mots à son oreille. Il déposa un baiser dans le creux de son cou, une main posée sur sa hanche. Elle finit par le lâcher pour s'approcher de William.

— Désolée. Il est hyper tendu.

— J'ai cru comprendre, ouais.

Elle poussa un soupir fatigué, ramena une mèche derrière son oreille. Ses sourcils se froncèrent. Son regard partit loin à la dérive, mais il vit ses yeux s'humidifier.

— Eh. Faut que tu tiennes le coup.

— Je sais, souffla-t-elle en luttant contre les larmes.

Il posa son bras contre ses omoplates et la colla contre lui. Elle tremblait. Ses mains s'accrochèrent désespérément à son sweat.

— J'ai juste envie que tout s'arrête, étouffa-t-elle.

Simon était retourné dans l'ombre et les scrutait depuis sa cachette. Emma et lui ne seraient pas les seuls à prendre cher. Il y avait Alexandre. Il y avait Simon. Deux personnes que chacun avait préféré sur l'autre, juste après cette terrible soirée où la limite entre l'amitié et l'amour s'était effacée. Mais au final, n'avait-il pas toujours été question d'eux ? Les éternels Emma et William, amis d'enfance qui, après douze ans de lien étroit, ne savaient plus trop comment s'appeler ?

Est-ce que celui qui avait inscrit leur nom savait tout cela ?

Elle s'éloigna, sécha les larmes qui avaient accidentellement coulé.

— Je voulais reprendre ma vie en main, avoua-t-elle. Reprendre du poids, arrêter de boire, essayer d'avoir une santé mentale stable. Mais comment... comment faire maintenant ?

— Emma, stop.

Il encadra son visage entre ses mains. Voir autant de larmes s'accumuler dans ses pupilles lui planta une aiguille dans le cœur.

— On va s'arranger. Ce Mur ne va rien changer pour toi. Tu vas quand même reprendre du poids, tu vas arrêter de boire, tu vas aller mieux. Ok ?

Elle échappa un petit rire, puis le força à retirer ses mains.

— Non, William. Non.

— Pourquoi ?

Ses doigts étaient enroulés autour de ses poignées. En un geste, il aurait pu se dégager, mais il ne voulait pas. Il aimait le contact de la peau contre la sienne.

— N'oublie pas avec quoi on m'a tenu en laisse tout le long. N'oublie pas l'excuse de Leila pour que j'aille chercher le numéro de ton cousin dans ton téléphone. J'aurais pu envoyer chier Simon quand il m'a menacé de tout te balancer. J'aurais pu envoyer chier Leila de la même manière. Mais je ne l'ai pas fait. Je me suis enfoncée sous la peur que tu saches ce que j'avais fait. Quand tu as tout appris, mon monde a explosé. Je me suis sentie libre, mais vide. Complètement vide.

Elle recula d'un pas, comme si se tenir trop près de lui lui faisait physiquement mal.

— Puis je disais que tu étais mon "meilleur ami".

Son rire eut quelque chose de douloureux. Elle se retourna et rejoignit Simon. Il avait certainement entendu. Ce hall résonnait fort. La porte du bureau s'ouvrit sur un inspecteur de police qui lui fit signe d'entrer. Philippe était appuyé contre le bureau. Ses doigts frottaient ses lèvres d'un air pensif. Il redressa un peu ses épaules quand il fut face à lui.

— William. Un plaisir de te voir.

— Plaisir réciproque.

— Il faut qu'on parle, toi et moi.

— Je vous écoute.

Philippe se tourna vers le policier.

— Pouvez-vous nous laisser nous entretenir, s'il vous plaît ?

Le lieutenant lui jeta un coup d'œil suspicieux, hésitant pendant plusieurs secondes. William comprit pourquoi quand il suivit son regard. Sa transpiration anormale. Son genou qui tressautait. Mais peut-être qu'il était juste inquiet pour Emma.

— Oui, bien sûr.

La porte claqua dans son dos. Philippe essuya sa main moite sur son pantalon.

— Emma sera escortée de deux agents de sécurité à partir de maintenant. En veux-tu aussi ?

— Non, ça va.

L'idée d'être suivi sans arrêt ne l'enchantait guère. Et puis, comme il avait dit à Lucas, ce n'était pas lui le principal visé. Même si la mesure de Rovel pouvait paraître extrême, il n'en fut que plus heureux de la savoir protégée. Le Mur cachait une menace qu'on avait sous-estimée avec le temps.

— Bon, écoute-moi bien. Vous avez été nommés tous les deux. Vous vous connaissez depuis longtemps, c'est même moi qui tiens ton compte bancaire. Ma femme te considère comme partie intégrante de la famille, mes fils également. Alors... si vous vous mettez ensemble, je pense que ce serait pour le bien de tout le monde.

Il aurait pu en rire, si seulement la surprise ne l'avait pas étouffée.

— Philippe, je suis ravi d'avoir été intégré les Rovel, vraiment. Mais Emma sort avec Simon, et moi avec Alexandre.

— Mais tu aimes les filles quand même, non ?

Cet homme qu'il avait admiré durant son enfance venait soudainement de sombrer dans les ténèbres de l'idiotie.

— Oui, répondit-il d'un ton sec.

— Alors je ne vois pas le problème.

— Vraiment ?

Philippe s'approcha alors et posa une main sur son épaule. William frissonna à son contact.

— Je connais ma fille, William. Je n'ai jamais été assez bête pour croire ses mensonges. Elle est amoureuse de toi depuis longtemps. Et ce n'est pas que je n'aime pas Simon, c'est un gentil garçon, mais dans ce contexte-là, ça m'arrangerait beaucoup que vous soyez ensemble. Cherche la faille dans leur couple et insère-toi y. Prends soin d'elle, protège-la.

S'il savait, le pauvre. Il n'avait fait que causer le désastre dans son existence.

— Et Alexandre alors ?

— Alexandre fera comme il faisait avant, il ramènera d'autres garçons chez lui et se contentera d'eux.

— Vous êtes cruel, cracha-t-il.

Il n'avait pas peur de lui cracher la vérité en face. Ce n'était pas parce qu'il lui achetait un costume Armani tous les mois qu'il devait s'agenouiller et baiser ses pieds.

— Tu peux me traiter de monstre si ça te chante, j'en ai absolument rien à faire. Je n'ai qu'une fille, et elle vaut cher à mes yeux. Alors s'il te plaît, rends-moi service et sors avec elle.

— Ou quoi ?

— Je n'aimerais vraiment pas en venir à ça, William, l'avertit-il d'une voix menaçante.

L'argent. Toujours l'argent. C'était lui qui remplissait son compte bancaire. Un claquement de doigt et il se retrouvait sans un rond.

Philippe prit son silence comme une réponse positive.

— Bien. Je suis heureux qu'on puisse s'entendre, toi et moi.

Il se dégagea de sa prise et lui jeta un regard noir.

— Je ne vous ai rien promis.

— Mais tu le feras. Je le sais. Vous deux, ça a toujours été une évidence.

Il ne sut si ces derniers mots étaient plus destinés à le rassurer lui-même qu'à s'approcher de la vérité. Il sortit du bureau sans avoir envie de savoir. Seul dans la cour intérieure, il passa ses mains sur son visage, souffla un bon coup. Il n'avait aucune intention de quitter Alex. Il était bien avec lui. Certes, il y avait parfois quelques tensions, mais il l'aimait.

Sa poche arrière vibra. Il sortit son téléphone et vit "Liam" s'afficher. Ça faisait trois fois déjà qu'il ignorait ses appels. Il décida de prendre celui-ci, certain que s'il raccrochait, Liam enverrait ses hommes défoncer la porte de son appartement avec des mitraillettes dans la main.

Il appuya son dos contre une colonne de pierre.

— Quoi ? lâcha-t-il en collant le téléphone contre son oreille.

— Ah, enfin ! Je commençais à m'inquiéter.

— Laisse-moi un peu de temps, ok ?

— Je t'en ai laissé du temps, cousin. Ça suffit maintenant. Tu as l'adresse, si dans une semaine tu ne te pointes pas, ton neveu risque de ne jamais voir le jour.

Sa mâchoire se contracta.

— C'est bon. J'y serai.

— J'espère bien. Je ne vais pas te tuer, tu sais. Je ne vais pas te faire de mal non plus. Ton bien-être m'importe plus que tout le reste.

— Va te faire foutre, Liam.

Il raccrocha. Glissa le téléphone dans sa poche.

Et abattit son poing contre la colonne.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Cassiopée . ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0