6. William

20 minutes de lecture

— Bon, il faut qu'on mette les choses au clair.


Emma lui paraissait déterminée. Il se réjouit de sa bonne humeur, même si de son côté, les choses n'étaient pas aussi joyeuses. Alexandre touillait son thé à sa gauche, Emma avait les mains posées à plat sur la table et Simon lui jetait des coup d'œil mauvais. Sans raison. Il eut envie de lui enfoncer son poing dans la face mais se retint par respect pour Emma.


— On a pris une décision avec Simon, reprit-elle. Et j'aimerais vous en parler à tous les deux. Je sais que ça peut paraître idiot au premier abord, et d'ailleurs Madden elle-même l'avait proposé à Erwin avant d'abandonner l'idée, mais j'ai envie d'essayer.


Alexandre stoppa son geste et William attendit le pire.


— Faire semblant.


Il en était sûr. C'était inévitable. Il échappa un rire moqueur tandis qu'Alexandre secouait déjà négativement la tête. Elle parut déçue de leur réaction.


— Hors de question, lâcha le roux.


— Écoute, à moi non plus ça ne m'enchante pas, rétorqua Simon, mais j'ai pas envie qu'elle perde la vie juste parce qu'on a été trop idiot pour ignorer un putain de mur.


— Ça ne marchera pas votre truc, commenta William.


— Ah oui, et pourquoi ? s'enquit Emma.


— Parce que la personne qui est derrière tout ça te connait suffisamment pour te mettre avec la seule personne qui devrait se tenir éloignée de toi. Alors elle devinera que tu te fous de sa gueule. Et peut-être qu'en retour, une voiture te percutera en plein milieu d'un croisement.


Ses yeux bleus réfléchirent un moment, puis elle articula :


— Alors jouons le jeu jusqu'au bout.


— Eh oh, on se calme, lâcha Simon en se redressant.


— C'est non de toute façon, trancha Alexandre.


— Tu ne céderas pas hein, sourit Emma. Toi qui espères tant que je disparaisse.


Il fixa Alexandre, puis Emma, puis de nouveau Alexandre. La tension était montée de trois crans. Il avait dû louper quelque chose.


— Pourquoi tu dis ça ? finit-il par demander à Emma.


— Oh, moi je dis plus rien, j'ai bien trop peur d'être rayée des papiers d'héritage.


Alexandre semblait vouloir la tuer. Il n'avait jamais vu une telle rage dans ses yeux. Et surtout, il avait déjà compris à quoi Emma faisait référence. Et il n'aimait pas du tout ça.


— T'es sérieux là ?


— Laisse-moi gérer, grommela-t-il.


— Te laisser gérer ? Alors menacer les gens pour les éloigner de moi pour toi c'est gérer ?


Il en avait marre, il avait envie de fumer et de partir. Une journée pourrie à rayer du calendrier. Surtout quand il savait Liam en train de l'attendre, bien impatient de réduire sa vie à néant.


— Vous savez quoi ? Décidez de ce que vous voulez, je m'en fous.


Il s'apprêtait à se lever mais Emma attrapa son poignet.


— C'est important pour moi.


— En quoi Emma ? Tu vas te rassurer pour rien. Ce gars ou cette femme veut ta mort, et c'est pas le Mur qui va changer la donne.


— Mais on peut essayer.


Il hésita. Simon aussi semblait plein d'espoir. Il n'était plus question de réputation, ou de tradition, c'était la vie d'Emma qui se jouait. Ou la sienne, à savoir. Une fois que le nom était inscrit sur le Mur, c'était comme avoir signé un pacte avec le diable. On finissait toujours par perdre quelque chose. Il observa sa main sur son poignet, se demanda si leur petit jeu allait tenir sur pied. C'était dangereux. Elle et lui... ça ne pouvait que mal se finir.


— William, tu ne peux pas accepter, s'opposa Alexandre.


— Si je dis non et qu'elle meure, je m'en voudrai toute ma vie, réfléchit-il.


— On ne sortirait pas pour de vrai, insista Emma.


— Et je devrais vraiment te croire ?


— Alex, j'aime Simon. Alors arrête maintenant.


— On a déjà eu cette conversation.


— Oui, et cette fois-ci, c'est moi qui ai le dernier mot.


Elle reporta son regard sur lui, le sonda silencieusement. Elle attendait un signe. Même léger. Mais il n'avait pas envie de perdre Alexandre non plus. Il n'avait jamais été très fort pour faire des choix. En ce moment même, il aurait préféré léguer cette prise de décision à quelqu'un d'autre, juste pour ne pas en assumer la responsabilité.


— J'en sais rien.


Sa main se retira. Alexandre poussa sa chaise et se leva.


— Il faut qu'on parle. Attendez-nous ici.


William suivit son petit-ami, saisissant en même temps son paquet de cigarette. Une fois dehors, il en alluma une. Alexandre glissa une main sous ses cheveux roux, fixa la ruelle vide face à lui.


— C'est pas que je n'ai pas confiance en toi, commença-t-il.


— Ah ouais ? Parce qu'on dirait quand même.


— Je n'ai pas confiance en elle, c'est tout. En vous deux ensemble.


Il se retourna pour le regarder fumer.


— Si c'était une autre fille, j'aurais dit oui.


Alexandre mémorisait. Il observait, classait les gens par catégorie et les éliminait de sa confiance au seul faux pas. Mais les gens changeaient. Leur vie évoluait. Emma n'était plus la fille désespérée du début d'année. Peut-être qu'elle l'aimait encore, peut-être qu'une part d'elle aurait voulu qu'ils finissent ensemble, mais elle s'était tournée vers Simon et ne semblait pas vouloir le lâcher. Tout comme lui ne voulait pas lâcher Alex. Mais comment le lui faire comprendre ?


— Approche.


Il n'hésita pas avant de faire un pas dans sa direction. William entoura ses doigts autour de sa nuque, enfonça son regard dans le sien.


— Je t'aime toi, ok ? Arrête de regarder dans tous les sens dans la peur d'une menace. Je n'ai jamais eu l'intention de te trahir.


— Je te l'ai dit, ce n'est pas de...


— Tu te souviens de notre conversation sur le balcon ? Quand je t'ai raconté l'accident. Puis ma chute dans les drogues.


Il hocha légèrement la tête.


— Je te l'ai raconté parce que j'avais confiance en toi. Je savais que tu me comprendrais. Tu étais cette partie lumineuse que je cherchais depuis longtemps, et je me sens bien maintenant. Emma, c'est différent. Elle est quelque chose d'aussi sombre que moi, et aujourd'hui, je n'ai pas envie de plonger dans le noir. C'est toi que je veux.


Quelque chose se resserra autour de sa gorge. Savoir que Liam l'attendait. Entendre le coup de pistolet, se souvenir de ses propres mots. "Je ferai ce que tu voudras." Il avait besoin d'Alexandre plus que quiconque. Il devait se souvenir qu'il existait de bonnes choses sur terre, des personnes qui valaient la peine de se battre pour elles. Et il eut envie de lui hurler : ne te laisse pas corrompre par la jalousie. Ne devient pas comme eux. Il n'y a qu'un seul soleil dans l'univers, fais en sorte que ce soit toi.


— Alors tu vas accepter ?


Il retira ses mains et fuma à nouveau. Il détourna exprès le visage pour l'éloigner des volutes blanches.


— Je pense, oui.


Alex se détourna lui aussi jusqu'à lui montrer son dos.


— Alors va lui dire.


— Qu'est-ce que tu en penses ?


— C'est ta vie, pas la mienne.


Il n'avait pas la force de débattre plus longtemps. Après avoir écrasé sa cigarette dans un cendrier, il poussa à nouveau les battants de la cafétéria, retrouva Emma qui s'entretenait avec Simon. Elle s'arrêta de parler quand il arriva.


— C'est oui, déclara-t-il.


Un énorme sourire éclaira son visage. Elle se leva et se jeta à son cou. Il fut surpris par son geste, peut-être un peu secoué par sa conversation avec Alex aussi. Quand il l'entoura avec ses bras, il sentit ses côtes jaillir de son pull.


— Merci, étouffa-t-elle dans son épaule.


Une pensée le frappa : elle avait peur de mourir. La Emma prête à mourir de faim pour se faire remarquer avait laissé place à une adulte consciente de la valeur de la vie. Il était fier d'elle.


— Je t'aurai à l'œil, Restrie, le prévint Simon.


— Je ne la toucherai pas.


— Tu la touches déjà beaucoup.


Emma se détacha et lui jeta un regard noir.


— Ne commence pas.


Quelque chose lui disait qu'il n'était pas prêt de se taire, le Beaulait. Il sortit rejoindre Alex qui se trouvait encore dehors, les joues rosies par le froid. Ses tâches de rousseur ressortaient sur sa peau pâle.


— On va à la bibliothèque ? proposa-t-il.


Son air laissait à entendre qu'il laissait le sujet de côté pour l'instant, qu'il faisait l'effort de fermer les yeux. William l'en remercia silencieusement. Cette fausse relation ne l'arrangeait pas, surtout qu'il ne savait pas du tout comment commencer ni comment si prendre.


— Non, je dois aller faire quelque chose.


— On a cours dans une heure et demie.


— J'y serai.


— Tu vas où ?


— Quelque part.


Il descendit les trois marches en pierre, s'éloignant peu à peu d'un Alexandre immobile. Il n'avait pas envie d'entendre plus de questions, puisqu'il ne répondrait à aucunes d'entre elles. S'il connaissait sa destination, il était capable de crever les pneus de sa moto pour l'empêcher d'y aller.


Arrivé près de son véhicule, il enfonça le casque sur sa tête et démarra. Les roues crissèrent sur le gravier. Le vent fouetta son cou laissé à découvert alors qu'il s'engageait sur la route. Sa veste se gonfla, il baissa sa visière. Appuya sur l'accélérateur. Plus tôt il arriverait, moins Liam lui reprocherait son manque de politesse ou toutes les conneries qu'il aurait trouvé. Traverser Cannes fut moins évident qu'il n'avait prévu et il passa à plusieurs reprises entre les files de voiture, recevant des coups de klaxons toutes les cinq secondes. Le paysage commença à changer après dix minutes de trajet. Les appartements luxueux laissèrent place aux foyers sociaux. Des terrains industriels remplacèrent la plage flamboyante. Des grillages vieux de trois décennies, de la ferraille jonchant l'herbe marron. Puis les hangars que Liam lui avait indiqué. Une résidence se situait un peu plus loin.


Il arrêta le moteur à quelques mètres, rangea son casque dans le coffre arrière et contempla silencieusement les énormes battants gris qui demeuraient fermés. On aurait dit un lieu abandonné. Pourtant, à l'intérieur, ça devait fourmiller.


— C'est toi le cousin ?


Il fit volte-face. Un homme tatoué du bout des doigts jusqu'au menton se tenait entre deux piliers de béton, la mine suspicieuse.


— Ouais.


L'homme emprunta un chemin gravillonné. William supposa qu'il devait le suivre. Une partie de lui était restée dubitative face au hangar. Jamais Liam n'aurait localisé sa planque aussi à découvert.


Ils arrivèrent face à une maison isolée. Dans le jardin, une balançoire rouillée attendait l'arrivée d'un enfant. Il y avait des rideaux fleuris derrière la fenêtre du devant. Il eut presque envie de rire face à la tromperie évidente de Liam. L'homme frappa deux fois à la porte, attendit plusieurs secondes et frappa une troisième fois.


— Non sérieux ? Je croyais que ces systèmes-là étaient obsolètes.


Il ne lui répondit pas. La porte s'ouvrit sur un autre homme un peu plus jeune, le débardeur si grand qu'il semblait nager dedans. Ses yeux se posèrent immédiatement sur lui.


— Tu savais qu'ils se ressemblaient autant ?


Ce n'était pas à lui qu'il avait posé la question. Le tatoué ignora sa question et le poussa pour rentrer. L'autre resta un moment au pas de la porte, comme hésitant sur la procédure à accomplir.


— Reste là, finit-il par dire. Je vais l'appeler.


William observa une fois de plus les alentours. C'était triste. Désolé. Abandonné. La police avait déjà dû fouiller chaque recoin de ces environs avant de les oublier définitivement. Ils ne s'attendaient pas à trouver les plus gros dealers de la région dans une petite maison familiale aux rideaux fleuris.


— Cousin.


Liam était appuyé contre le chambranle, ses cheveux ébène plaqués sur son crâne. Son sourire parfait lui donna des frissons. Il mordit légèrement le joint qu'il avait entre les dents avant de finalement l'accueillir entre ses doigts. Les années ne l'avaient pas changé. Il restait le démon déguisé en charmant fou dément.


— Tu n'as rien dit à personne j'espère.


— Non.


— Bien. Est-ce que Chloé se doute de quelque chose ?


— Je l'ai convaincu que t'avais laissé tomber.


Il eut un rire sec, avant de se redresser.


— Toujours aussi idiote celle-là.


Son poing se serra. Mieux valait ne pas le contredire. Prendre sur lui, endurer toutes ces petites remarques censées le faire sortir de ses gonds. C'était ce à quoi il s'attendait.


— Allez, reste pas planté là.


Il l'invita à l'intérieur de la maison. Des voix étouffées de la télé lui parvinrent. L'intérieur était assez bien entretenu, hormis l'odeur de cannabis qui flottait jusque dans les recoins les plus éloignés. Une assiette à moitié vide était posée sur la table du salon. Une bouteille de bière se tenait debout à côté. Une fille émergea du couloir, en culotte et débardeur noir. Ses cheveux bruns tombaient salement sur son épaule.


— Jess ! gueula une voix derrière la paroi. Reviens putain !


La fille passa à côté de lui sans même lui adresser la parole. Elle semblait fatiguée de vivre. Il aurait dû avoir de la compassion pour cette créature décharnée, mais tout ce qu'il réussit à sentir fut du dégoût. Il était passé par là lui aussi, et elle lui rappelait celui qu'il aurait été si Chloé ne l'avait pas tiré du cauchemar. Liam s'enfonça dans la maison et William le suivit. Il passa la porte du garage, descendit les escaliers, s'enfonçant peu à peu dans l'obscurité. Puis une autre porte s'ouvrit, laissant la lumières des néons blancs émerger. Sur des tables gisaient des paquets. Gris, blancs, petits, gros, de toute taille. Des sacs noirs étaient posés contre les briques rouges. Des hommes, un peu plus loin, faisaient les mélanges, équipés de toutes sortes d'outils. Deux filles s'occupaient de l'emballage. Il y avait du travail un peu partout, ça grouillait d'ordres, de blagues salaces et de sourires carnassiers.


William resta immobile au pied de la dernière marche. Il n'avait aucune envie de toucher à cette poudre blanche. Il connaissait l'attrait qu'elle avait. Il avait peut-être réussi à s'en éloigner avec les années, mais il pouvait encore la sentir en lui. Goûter ses effets. La seule raison pour laquelle il n'avait jamais replongé, c'était parce que personne ne lui en avait posé sous son nez.


Liam se retourna, ayant remarqué son arrêt.


— Putain William, tu viens de croiser un fantôme ou quoi ?


Il remonta à reculons la marche. Il devait sortir de là. Respirer de l'air frais.


— Je ne peux pas, souffla-t-il.


— Eh, je vais pas te forcer à en prendre ok ? C'est pas mon objectif.


— Ah ouais ? C'était pas ce que tu voulais quand tu m'as dit à douze ans de sniffer ce qu'il y avait sur la table basse ?


Liam ferma brièvement les paupières, puis posa sur lui un regard froid.


— Pas ici s'il te plaît.


Les deux filles le dévisageaient. Le sous-sol était tout à coup devenu silencieux.


— Où alors, dis-moi ? éclata-t-il. Je n'ai pas envie d'être là ! Je n'ai pas envie de te suivre dans ton marché de drogues, je veux juste que tu me foutes la paix ! Tu comprends ça ou t'as besoin que je te fasse un dessin ?


Mais peu importait l'agressivité qu'il mettait dans ses mots, il avait toujours l'impression d'être le gamin intimidé qui n'osait pas élever trop la voix par peur de se recevoir un coup de crosse dans la face. Et Liam restait cette figure qui le terrifiait. Cette force contre laquelle il n'arrivait pas à lutter.


— Je ne vais pas te laisser partir, prononça-t-il après plusieurs secondes de silence. Pas cette fois.


— Pourquoi ? Qu'est-ce que tu attends de moi ?


Il n'eut pas de réponse à sa question. Liam s'approcha d'une table, soupesa un paquet dans sa main. Puis il balaya la salle du regard.


— Vous êtes payés pour bosser, pas pour vous gratter les couilles.


Tout le monde se remit au travail, comme électrifié par son ton cassant. Le regard de Liam se perdit un instant dans les paquets, il leva les yeux vers les filles et vers deux gars qui trafiquaient des ordinateurs. Puis il se tourna et le dépassa.


— Suis-moi.


Dans le salon, il vira celui qui regardait la télévision, lui ordonnant de se rendre en bas. Liam éteignit l'écran puis l'invita à s'asseoir sur le canapé. William obéit à contrecœur. Il savait qu'il pouvait sortir à tout moment. La porte était ouverte, elle se tenait à seulement quelques mètres de là où il se tenait. Pourtant, ça n'empêchait pas de se sentir prisonnier.


Liam s'adossa contre le mur, les bras croisés. Il avait des tatouages autour du biceps qu'il n'avait jamais remarqué. Il se les était sûrement fait après son départ.


— Qu'est-ce que Chloé t'a raconté ?


— La vérité, lâcha-t-il d'une voix froide.


— Et c'est quoi cette vérité ?


— Tu m'a drogué.


Il échappa un rire amer. Le tatoué du début débarqua dans la pièce mais Liam l'arrêta d'un regard noir.


— Dégage.


— Je dois récupé...


— Dégage j'ai dit.


Il étouffa un juron et disparut derrière la cloison. William était certain que cette maison n'en était qu'une parmi tant d'autres. Et Liam contrôlait absolument tout, il était le chef qui allait de maison en maison, au courant de tout, se prenant pour l'oreille de la Provence. Alors évidemment, son autorité n'était pas questionnée. Et il savait que s'il s'y prenait bien, Liam  pourrait faire en sorte de le protéger. Lui et son entourage.


Lui et Emma.


— Je t'ai récupéré parce que tu étais la seule famille qui me restait, Will. J'avais pas forcément envie d'avoir un gosse chez moi, surtout avec mes affaires qui commençaient à prendre de l'ampleur, mais tu comptais à mes yeux.


— Pourquoi, parce que je portais le même nom que toi ?


— Parce que t'étais un gamin perdu putain. Ils t'auraient placé dans une famille d'accueil de merde, dans une école de merde et dans une banlieue de merde. Je sais ce que c'est d'être pris en charge par les services sociaux. Je ne voulais pas que tu vives le même cauchemar que moi.


— Comme c'est aimable, ironisa-t-il.


Il enfonça ses doigts dans ses yeux, les frottant brièvement. Pourtant, William avait beau faire preuve de sarcasme, il écoutait. Et pour la première fois, il obtenait l'explication qu'il avait attendu toute sa vie. Le pourquoi.


— Tout ce que je connaissais comme remède, c'était la came. Ça avait fonctionné pour moi, je pensais que ça aurait le même effet pour toi. Tu hurlais la nuit. Parfois, tu refusais même de dormir, et je devais te shooter aux somnifères pour que tu fermes les yeux. Alors dis-moi, qu'est-ce que j'étais censé faire ? Te laisser pleurer dans ton lit tous les soirs et laisser tes démons te bouffer ?


Il n'eut pas de réponse à ça.


— Je voulais simplement t'aider, Will. Juste ça. Chloé a peut-être fait passer ça pour un acte égoïste, mais ce n'était pas le cas.


— Et je devrais te croire ?


— Sois sincère et dis moi dans les yeux que la drogue ne t'a pas aidé. Que sans ça, tu t'en serais sorti parfaitement bien.


Il ne bougea pas. Ne parla pas.


— Non, voilà. Parce qu'au fond de toi, tu sais que cette merde a quand même été utile.


— Tu ne sais rien de tout ce que j'ai dû endurer pour m'en défaire, grinça-t-il.


— Ne me prends pas pour un ignorant, mon époque de junkie est passée pour moi aussi. Je sais ce que c'est.


Il s'en doutait légèrement. Déjà, quand les choses étaient devenues sérieuses, Liam s'était calmé sur la came. Depuis que son marché s'était étendu, son rôle avait pris de l'importance. Il ne pouvait pas se permettre d'être ailleurs.


— Et tu crois que ta petite explication larmoyante va justifier toutes tes menaces de mort ? Ces fois où tu posais le canon sur mon front en me demandant si je voulais mourir ?


— Que tu le croies ou non, c'était pour ton bien. L'homme a la phobie de mourir. Et comme toutes les phobies, elle détruit. Je voulais te rendre plus fort, plus résistant à la réalité. Ce monde est un putain de trou à connards, et je voulais que tu sois prêt à les affronter.


Il bascula sa tête en arrière et fixa le plafond.


— Puis l'ange Chloé est arrivée, elle m'a menacé de tout balancer aux flics si je refusais de te donner à elle. J'ai pas eu le choix. Alors pour la faire chier, j'ai continué à tourner autour de toi. Je voulais continuer ce qu'on avait commencé, puis t'étais heureux quand tu me voyais. Peut-être que tu t'en rappelles pas, mais moi je te revois sourire chaque fois que tu m'apercevais.


Non, il ne s'en rappelait pas. Liam avait toujours été la figure même du cauchemar. Cette ombre qui le recouvrait et l'étouffait. Ou peut-être était-ce juste lui qui, avec le temps, s'était imaginé ses propres monstres.


— Puis Chloé t'a enfermé et t'as merdé.


— Comment tu sais ?


— Je sais tout, Will. J'ai toujours tout su de toi.


Il ne sut s'il devait en avoir peur, ou si au contraire il devait prendre ça comme une marque d'affection.


— Tu peux te droguer avec de la came. Mais pas avec des médocs putain. J'avais envie de te tirer de cette baraque et de te secouer pour remettre tes neurones en marche. Je t'avais dit en plus. Jamais les médocs. C'est trop puissant et c'est pas fait pour ça. Mais j'avais plus aucun contact avec toi. J'ai haï Chloé pour ça.


— Chloé voulait que je m'arrête.


— Sauf qu'elle était trop lente d'esprit, elle ne se rendait compte des choses que trop tard. Et elle ne pouvait pas t'aider, pas comme moi. Elle ne savait pas ce que c'était que de chercher à oublier.


William fixa ses mains, toucha la peau dure de ses doigts. Il n'aimait pas la tournure que prenait la conversation. Sa vision changeait, Liam ne lui apparaissait plus comme le démon qu'il s'était imaginé et il n'aimait pas ça.


— J'ai besoin de savoir maintenant. Est-ce que tu t'en es vraiment sorti ?


— Pourquoi tu veux savoir ça ? attaqua-t-il.


Sa main frappa brusquement la paroi.


— Parce que tu es mon putain de cousin ! cria-t-il. Alors ouais, tu peux t'imaginer toutes les horreurs à mon compte, c'est vrai que je flingue des gens, c'est vrai que je détruis des familles mais ma famille à moi c'est toi, et jamais, au grand jamais je ne laisserai quelqu'un la toucher !


William enfonça ses doigts dans ses cheveux d'un air nerveux.


— Non je m'en suis pas sorti.


Les traces de colère sur ses traits s'évanouirent. Liam resta debout au milieu du salon, attendant la suite.


— Souvent je fais des crises. C'est comme si... comme si mes souvenirs devenaient réels. Il suffit d'un grésillement d'une radio. D'un verre qui se casse. Ou même la vue du sang. Le monde autour de moi n'existe plus et j'étouffe. J'ai fini à l'hôpital une fois. La crise durait trop longtemps et ils ont dˆu m'endormir.


Il se tut après ça. Il n'avait aucune idée du pourquoi il lui avait raconté ça, il s'était refusé à lui parler de sa vie privée, ou de toute chose s'approchant trop de sa vie. Mais quelque part, il avait l'impression que Liam était le seul à vraiment pouvoir le comprendre. Ça ferait du bien quelqu'un qui ne qualifiait pas ça de "crise d'angoisse."


— Et tu comptes vraiment vivre comme ça toute ta vie?


— Ça passera avec le temps.


— On sait tous les deux que c'est des conneries.


S'en étaient, mais elles étaient rassurantes. Liam tira une chaise jusqu'en face du canapé et s'assit dessus. William releva de nouveau son regard, reprenant peu à peu contenance. Il n'oubliait pas qui il était. Ce qu'il était capable de faire. Liam pouvait devenir un fou furieux en cinq minutes s'il avait de bons motifs en main.


— Bon écoute, j'ai une proposition à te faire. J'ai eu vent de tout ce qui se trame à Memphis. Les flics sont en train de creuser la terre de toute la région pour savoir qui a été assez con pour empoisonner une Rovel. Et je sais qu'elle est quelqu'un de proche pour toi. Tu veux la garder en vie, n'est-ce pas ?


Comment faisait-il pour toujours avoir une longueur d'avance sur lui ? William aquiesça, dépité de devoir se retrouver là à établir un marché avec Liam.


— Je te garantis ma protection. Mes hommes sont partout, et Cannes regorge de recoins discrets. Je sais qu'elle est escortée, mais si quelqu'un veut vraiment la tuer, ses deux bodyguards ne serviront à rien. En revanche, moi, je pourrais peut-être anticiper.


— Tu veux quoi en échange ?


— Un petit coup de main. Tu vois, le luxe s'articule autour de trois piliers fondamentaux : l'argent, l'apparence et la déchéance. Le Flamboyant n'échappe pas à cette règle. Jusque là, je n'ai pas pu garantir la sécurité à mes clients, alors ils ne me font pas forcément confiance, et je les comprends tout à fait. Mais toi, tu fais partie de leur clan.


— Qui sont tes clients ?


— Scott est le plus avide. Rovel commence à gratter et Catherine Layne se débrouille pour avoir chaque mois son dûe.


Qui aurait cru que la mère des jumeaux se droguait ? Eux qui l'appelaient leur reine de glace, cette femme silencieuse et toujours droite, chérissant silencieusement ses fils ? Il en eut les frissons dans le dos.


— Tu veux que je le leur donne moi-même.


— Oui. Ils seront prévenus avant, ne t'en fais pas. Et le réseau est assez solide pour qu'aucun flic ne tombe sur toi.


— Un inspecteur s'occupe de l'affaire de la bouteille empoisonnée, et il paraît assez insistant.


— Je le connais. Ne t'occupe pas de lui, je m'en charge.


Il avait interrogé Alexandre quelques jours auparavant, qui l'empêcherait de faire pareil avec lui ? Mais Liam semblait confiant. Et il pouvait bien lui trouver tous les défauts du monde, il y avait une chose qui ne changerait jamais : ses promesses étaient réelles.


— J'accepte sous une seule condition.


— Dis-moi.


— Si quelqu'un de mon groupe d'amis, Lucas, Emma, Madden ou n'importe qui d'autre te demande de la came, ne lui donne rien.


Depuis qu'il avait appris ce que Lucas avait subi, il avait peur pour lui. Peur qu'il ne se réfugie dans la drogue le jour où la cigarette ne lui suffirait plus.


— Lucas Layne a déjà fourré son nez dans certains groupes de dealers de Cannes, des petits merdeux amateurs, mais il est vite sorti à ce que j'ai entendu dire.


Raven avait dû le tirer de là d'une quelconque manière.


— Alors, est-ce que tu feras ce que je te dis ?


— Oui, c'est bon. J'ai besoin de ta parole moi aussi.


— J'ai dit que j'acceptais.


Liam redressa ses épaules avec un immense sourire plaqué sur les lèvres.


— Ça fait du bien de te retrouver.


Il revenait au même point de départ, quand Liam lui passait les paquets pour les donner à ses clients, plus jeune. Mais cette fois-ci, il lui était indispensable. Il vivait dans le monde du bling bling, et le bling bling intéressait son cousin. Si ça pouvait sauver Emma, il s'y engageait volontiers. Personne n'en saurait rien.


Pourtant, il eut beau ne voir que les côtés positifs, la sensation de commettre une immense erreur le saisit. Ce monde était vicieux. Un seul pas, et tout devenait sombre. Il fallait tendre les bras vers l'avant pour tenter d'anticiper en vain ce qui allait surgir de l'obscurité.


Et peut-être que face à lui, il y avait un trou.


C'était juste qu'il ne le voyait pas encore.


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