10. William

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Une odeur d'alcool flottait dans l'atmosphère. William avança son visage de la table, se boucha une narine et renifla la poudre blanche. Un trait de dix centimètres. Un seul. Ses veines se réchauffèrent et sa tête se vida. Littéralement. La vie s'étala entre ses doigts, et il eut l'impression de toucher le bonheur. Une main ébouriffa ses cheveux.

— Je pense que ça va suffir, hein.

Liam commença à reprendre les paquets, mais William l'arrêta en agrippant son poignet.

— Laisse-moi en un. Pour après.

— Putain Will', j'ai pas envie que tu fasses une overdose. T'en a déjà pris trois dans la journée.

— Trois c'est que dalle.

— C'était. Tu y vas fort pour quelqu'un qui reprends.

Il retira d'un geste sec sa main, lui jetant en même temps un regard d'avertissement. William vit sa liberté s'envoler. Comment avait-il pu y résister autant d'années ? Pourquoi s'était-il infligé ce mal ? Patrick, avachi sur son pouf marron, buvait dans sa bouteille de Vodka avec un sourire moqueur.

— C'était pas mon objectif que tu replonges, fit Liam en se redressant. Je ne sais pas si c'est une bonne idée.

— Non mais t'es sérieux là ?

C'était lui qui lui avait fait découvrir ce monde, et ce n'était que maintenant qu'il regrettait ? Un peu tard. Liam soupira d'agacement et partit avec la came dans les mains. Le brun cala son dos dans le dossier du canapé, essayant de profiter des nouvelles tentations.

— Il a arrêté tu sais, déclara Patrick.

— Arrêté quoi ?

Il le regarda curieusement.

— La drogue. Depuis qu'il a failli y passer après une overdose, ça lui a foutu la trouille et il a arrêté. Du jour au lendemain.

Il porta le goulot à ses lèvres en même temps que Liam revenait, les mains vides cette fois-ci. William l'observa silencieusement. Il savait qu'il avait ralenti la consommation, mais pas qu'il s'était définitivement arrêté.

— Ne me regarde pas comme ça, j'ai dit que ça suffisait.

— Je ne te regarde pas pour ça.

— T'as intérêt.

— Dialogue de Restrie, se moqua Patrick.

William échappa un rire discret avant d'être coupé par la sonnerie. Liam se retourna et disparut dans le vestibule. Deux secondes après, une fille apparut. Il redressa ses épaules, tout à coup lucide. Elle. La nouvelle de Memphis. La fille s'immobilisa elle aussi, surprise par sa présence. Puis un énorme sourire vint fendre son visage. Gabrielle, s'il se souvenait bien. La copine de Sasha.

Liam arriva pas derrière, déposa une main dans le bas de son dos, posa son index sur son menton, tourna légèrement sa tête.

Et il l'embrassa.

William n'osa pas respirer. Ni bouger. Ni parler. Et elle coupa rapidement le baiser, une nervosité apparente sur ses traits.

— Qu'est-ce qu'il fait là ? demanda-t-elle avec agacement.

Elle était bien différente de la fille souriante et extravertie qu'il voyait à l'école.

— C'est mon cousin, dit simplement Liam. Et il travaille pou...

— Tais-toi.

Liam le fixa avec surprise. Puis Gabrielle éclata de rire.

— Excellente information, merci bébé. Je ne me serais jamais douté que la pépite du club des riches de Memphis travaillait pour un dealer.

Il sentit tous ses muscles se contracter. La came ne semblait plus avoir d'effet. Cette fille était une aiguille. Une maligne qui se tapait deux mecs à la fois, peut-être plus. Et il n'aimait pas la manière dont Liam la tenait près d'elle. Comme s'il avait peur qu'elle lui échappe des mains.

Il tenait trop à elle.

— Ely, comment tu sais qu'il est à Memphis ? questionna Patrick.

— Ely ? répéta-t-il.

Il transperça la blonde du regard.

— Parce que moi je la connais sous le nom de...

— La ferme.

Ce fut à son tour de sourire. Liam les regardait tour à tour, essayant d'y comprendre quelque chose.

— Tu sais quoi ? reprit-elle. Tu ne dis rien, et je ne dis rien. Qu'en dis-tu ?

— Sasha est un mec bien. Il ne mérite pas ça.

— Qui est Sasha ? demanda Liam.

— Un ami, répondit-elle simplement.

— Elena putain, ne me prends pas pour un con.

Il commençait à s'énerver. Et un Liam énervé était dangereux. Comme elle gardait le silence, il tenta de trouver sa réponse dans les yeux de son cousin. Mais celui-ci ne pouvait pas se risquer à parler. S'il crachait la vérité, elle cracherait la sienne. Et il perdrait tout.

D'un mouvement rapide et calculé, il attrapa fermement son menton et enfonça ses doigts dans ses joues. Elle laissa échapper un petit cri, la tête basculée en arrière.

— Tu parles de Sasha Rovel bébé, c'est ça ? Comment le connais-tu ?

Son regard avait adopté l'étincelle du fou. Il tenait définitivement trop à elle. William avait deviné que ce serait dangereux. Pas forcément pour lui. Mais pour elle. Parce que Liam avait la sale habitude d'éliminer tout ce qui lui faisait mal. Elle s'accrocha à son bras et essaya de lui faire lâcher prise, mais ce fut en vain.

— Je t'assure que ce n'est rien, déclara-t-elle d'une voix tremblante.

— D'où vous vous connaissez, Will et toi ?

Sa respiration s'accéléra.

— D'où vous vous connaissez ! cria-t-il.

La veine sur son front paraissait prête à éclater. Patrick observait la scène avec un intérêt particulier, comme s'il s'agissait d'un film. Quand William fut sur le point de se lever, il l'arrêta avec sa main.

— Laisse. Ça fait cinq ans qu'ils font ce genre de scène, et ils finissent toujours pas baiser après.

Cinq ans. Quel âge avait-elle ? Sûrement pas vingt ans comme elle le prétendait. Sasha s'était fait avoir, et bien. Liam aussi, en un sens. Puisqu'il ne savait même pas qu'elle se rendait à Memphis. Ce qui l'étonna, puisqu'il avait assez de relation pour tout savoir d'elle.

À moins que Gabrielle, ou plutôt Elena, n'en ait aussi qui lui permette d'effacer certains aspects de sa vie.

Liam finit par la lâcher avant de lui asséner une gifle. Elle se retint grâce au mur, subissant l'humiliation en silence.

— Tout le monde dehors, ordonna-t-il en gardant ses yeux rivés sur elle.

William n'insista pas et récupéra son manteau posé sur une des chaises en bois. Patrick le bouscula un peu en passant à côté de lui, mais il sentit quelque chose se déposer dans la paume de sa main. Il fourra le sachet dans sa poche, sans que Liam ne s'aperçoive de rien.

— On se revoit demain, lâcha-t-il en gagnant la porte d'entrée.

Il eut envie de souhaiter bon courage à Elena, mais elle le dégoûtait déjà trop pour ça. Alors il n'attendit pas la réponse et sortit à l'air frais. Il récupéra sa moto à plusieurs mètres de la maison et conduisit jusqu'à chez lui, l'adrénaline affluant dans ses veines. Il se sentait puissant, invincible. Et il aimait ça. L'idée que rien ne pourrait le blesser. Ses doigts exercèrent une pression sur l'accélérateur. La visière ouverte, il sentait le vent frapper ses joues sans qu'il ne trouve cela gênant. Plusieurs voitures klaxonnèrent quand il les contourna, mais il les ignora. La vitesse lui conférait une excitation immense.

Il arriva dix minutes plus tard. Le jour commençait à noircir. Tandis que l'ascenseur descendait, il songea à la soirée de Lavandier. Allait-il y aller ou pas ? Peut-être qu'Alex accepterait de l'accompagner. Cette idée le réjouit. Il siffla gaiement en entrant dans la cabine, puis, face à la porte, inséra la clé dans la serrure. Les lumières étaient éteintes. L'appartement était vide. Alex était sûrement resté à la bibliothèque pour étudier.

Prendre une douche et préparer le dˆiner lui prit une heure. Il faillit faire brûler la viande mais évita la catastrophe de justesse. Pour évacuer l'odeur de la cuisine, il ouvrit la fenêtre et en profita pour fumer un joint. Puis il se servit un verre de whisky, plus heureux que jamais. Il commençait à faire froid dans la pièce, alors il se réfugia dans le salon après être certain d'avoir éteint le feu. Un message à Alex, "le dîner est prêt" avec une petite flamme à côté ; tout sourire aux lèvres, il ouvrit le sachet que Patrick lui avait donné et dessina un trait blanc. Les muscles de son visage se contractèrent, il inspira brusquement et la porte s'ouvrit. Son cœur parut bondir hors de sa poitrine. Il n'avait même pas sniffé la moitié de la trace, et la table noire la mettait en évidence. Le temps qu'il commence à s'affoler, Alexandre apparut dans le salon.

Son regard passa de la poudre à lui. Puis de lui à la poudre. De la poudre au verre de whisky. Et tout à coup, il devint blême.

— Non, souffla-t-il. Non, pas ça.

— Écoute-moi, paniqua William, c'est juste pour me rebooster ok, je vais arrêter après ça, c'est promis.

Il n'y crut pas lui-même. Alex laissa tomber son sac au sol et s'approcha lentement de la table. William fut pris d'une soudaine nausée. Il n'avait pas prévu ça. Alex aurait dû répondre au message, il aurait dû le prévenir de son arrivée et lui, lui aurait dû avoir le temps de tout ranger.

Il était foutu.

— Qui t'as donné ça ?

Ne rien dire. Laisser passer. Peut-être qu'Alexandre serait tellement exaspéré qu'il ignorerait cette découverte.

— William je te parle.

— Hein ?

Son cœur battait littéralement à trois cent à l'heure. Il grimaça légèrement, pris par surprise. Était-ce l'angoisse ou autre chose ? L'angoisse sûrement. Oui, l'angoisse. Le stress.

— Qui t'as donné ça ? répéta Alex en contractant sa mâchoire.

— Personne.

— C'est tombé du ciel c'est ça ?

Il faillit hocher la tête mais se retint à temps.

— Je suis désolé, tenta-t-il. Vraiment désolé. Je...

— Donne-moi le paquet.

La seule chose à laquelle il pensa fut : non. Il ne voulait pas connaître de descente. Il ne voulait pas attendre jusqu'au lendemain pour en redemander à Liam. Le lendemain était trop loin. Il en aurait besoin dans quelques heures et deviendrait fou s'il n'en possédait pas sur lui.

— Je ne peux pas.

— Fais pas le con et donne moi le sachet.

Il tendit sa main mais William ne céda pas. Il ne céderait pour rien au monde. Et puis merde, c'était sa vie non ? S'il avait envie de se détruire à la coca¨ine, il se détruirait à la coca¨ine. Et s'il voulait fumer tous les joints du monde, il fumerait tous les joints du monde. Il ne faisait de mal à personne.

— J'ai dit que je ne pouvais pas.

Les doigts tendus devinrent un poing. Alexandre ferma momentanément les yeux, puis retira son offre gestuelle.

_ C'est soit tu me le donnes, soit tu pars.

Il fut pris d'un rire nerveux.

— Sérieusement ? C'est quoi ce chantage à la con ?

— Ce n'est pas un chantage. C'est un choix.

La colère le fit se lever. Sa tête lui tourna brusquement, le sol tanga mais il fixa les pupilles vertes d'Alexandre pour se stabiliser.

— Et tu vas faire quoi si je choisis la coke à toi ?

— Tu disparais de ma vie.

— Si facilement ? Comme ça, en quelques minutes ?

Il fit un pas dans sa direction. Alex recula. La constatation qu'il avait peur le fit jouir intérieurement. L'inébranlable et imperturbable Alexandre Voseire était terrifié. William ne put retenir un sourire.

— Mais au fond, pourquoi ça m'étonne ? Je n'ai jamais été assez parfait pour toi. Toujours quelque chose à me reprocher. Toujours un détail qui t'agaçait. La coke n'est qu'une excuse pour te débarrasser de moi.

— Je t'aime William, articula-t-il. Mais je n'aime pas ce que tu consommes.

— Mais ça, fit-il en désignant la poudre, c'est ce qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Et j'en ai ma claque des putains de crises. J'en ai ma claque des souvenirs qui viennent me gifler au moment le plus innoportun. Je veux juste être heureux, vivre normalement, tu comprends ça ? Mais non, comment pourrais-tu comprendre. Tu as une vie parfaite. Tu ne sais pas ce que c'est que de perdre espoir, ni de voir tes proches mourir sous tes yeux, ni de devoir combattre tes cauchemars chaque nuit. Le problème avec le soleil, tu vois, c'est qu'il ne connait que la lumière.

Ses mots laissèrent un goût amer dans sa bouche. Le visage d'Alexandre n'avait pas bougé, mais dans ses yeux, une douleur vive perçait ses iris.

— Je pars, si c'est ce que tu veux.

Il s'agenouilla près de la table et sniffa ce qui lui restait à sniffer, ignorant le regard brûlant d'Alexandre. Qu'il se permette de lui dire quelque chose et il jurerait ne plus jamais lui adresser la parole. Comme pour le provoquer, il empoigna la bouteille d'alcool et avala une grosse gorgée. L'atterrissage de la bouteille contre la surface ébène produisit un bruit sec qui fit sursauter le roux.

— Je récupérerai toutes mes affaires demain.

Alors qu'il prenait sa veste, Alexandre demanda :

— Tu as revu Liam, c'est ça ?

— Ma vie ne te concerne plus dorénavant.

Et il claqua la porte. Il voulut se convaincre que son départ avait un bon motif. Qu'il faisait cela pour son propre bien. Qu'eux deux, ça n'aurait jamais pu fonctionner. Ils étaient trop différents, nés dans des mondes opposés. Son reflet dans le miroir de l'ascenseur le dégouta. Il se retourna. Fixa les portes. C'était mieux ainsi. Oui, mieux ainsi.

Quand les battants s'ouvrirent, il prit une grande inspiration et se fit violence pour ne pas remonter, ouvrir la porte à la volée et lui demander de lui pardonner. Jamais il ne pourrait abandonner la coke à présent. C'était si évident. Son mode de vie devenait incompatible avec le sien. Il lui ferait du mal, c'était tout ce qu'il parviendrait à faire.

Oui, c'était mieux ainsi.

Il arriva face à l'immense bâtisse des Lavandiers quinze minutes plus tard. Dans la nuit noire, une lumière rougeâtre émanait des fenêtres. Les murs vibraient d'une musique lourde. L'endroit parfait pour lui. L'atmosphère était pesante à l'intérieur. Plusieurs filles le suivirent du regard, leur langue caressant leurs lèvres. Des cocktails se passaient de main en main, des pilules de toutes les couleurs, des joints aussi. William dut bousculer quelques corps pour se frayer un chemin jusqu'à la cuisine. Un mec bécotait une fille assise sur le plan de travail. Il détourna la tête pour se concentrer sur les bouteilles d'alcool. Il choisit une Tequila, but directement au goulot. Sa poitrine se gorgea d'adrénaline. Il était bien. Il était heureux. Enfin dans son élément, retour à sa vraie nature. Un rire le secoua et un peu de liquide coula le long de son menton. Les deux amoureux lui lancèrent un regard dédaigneux avant de partir.

— C'est ça, cassez-vous, murmura-t-il après s'être essuyé d'un revers de la main.

Il reprit une gorgée puis se retourna pour contempler la pièce. Ses yeux se posèrent sur un corps adossé contre le chambranle. Ses cheveux blonds, ses lèvres fines et son sourire malicieux. Gabrielle. Ou Elena. Il ne savait plus lequel des deux étaient son vrai prénom.

— Tu fous quoi ici ? lâcha-t-il d'un air mauvais.

— Je voulais m'assurer que tu ne dirais rien.

— Et tu savais que je me trouverais ici ?

— Les Restrie n'appartiennent qu'à un seul endroit.

Elle se décolla du mur et se positionna devant lui, sa poitrine contre son torse. Il ne bougea pas, même quand son odeur de Vodka vint titiller ses narines.

— Tu devrais t'éloigner, la prévint-il.

— Pourquoi ? Je te fais peur ?

Il se mit à sourire et attrapa la bouteille. Mais elle lui bloqua le bras. Pas qu'il ne pouvait se dégager de son emprise, mais la curiosité l'empêcha de forcer. Elle avança doucement son visage, les lèvres humides entrouvertes. Le rythme de son coeur s'accéléra. C'était une mauvaise idée. Une très mauvaise idée. Elle posa sa bouche contre la sienne.

Mais il était abonné aux mauvaises idées.

Sa main alla chercher quelque chose à toucher sous son tee-shirt. Elle emprisonna sa nuque avec ses bras, se colla contre lui. Sa langue le dévora de l'intérieur, il fut même surpris par la force qu'elle y mettait. Le plaisir le traversa des pieds à la tête. Son esprit se vida, seules demeurèrent les basses bruyantes de la musique.

Puis, sans savoir pourquoi, une phrase lui revint à l'esprit. Je voulais m'assurer que tu ne dirais rien.

Il la repoussa brusquement, la rage se déversant dans ses yeux bruns.

— C'est quoi que tu veux ? M'attirer dans ton lit pour que je ne puisse rien dévoiler à Liam ?

Elle ouvrit la bouche de surprise avant d'éclater de rire. Un rire qui n'avait rien d'heureux.

— Je pensais que tu appréciais ce genre de réconfort.

— C'est ça, prends moi pour un idiot.

— Mais tu sais, en m'embrassant, tu m'as prouvé une chose.

Il voulut réfléchir, mais une brume épaisse enlisait son cerveau. Elle le fixa avec des yeux emplis d'innocence.

— Tu ne sors pas réellement avec Emma.

Soulagé que ce ne soit que ça, il but une nouvelle gorgée de la Tequila.

— Si tu savais le nombre de mecs qui embrassent des filles dans le dos de leur copine.

— Sauf que tu sortais avec quelqu'un déjà quand tu as été nommé.

— Dis-moi, tu sais beaucoup de choses pour quelqu'un qui vient d'arriver à Memphis.

Un sourire satisfait étira ses lèvres.

— En Espagne, on appelle ça les "cotillas", les ragots, c'est une vraie tradition chez nous.

Sa silhouette se brouilla légèrement. Il cligna plusieurs fois des yeux, tout redevint net.

— Qu'est-ce que tu viens de dire ?

Il avait complètement oublié. Son sourire s'évanouit et un soupçon léger occupa son regard.

— C'est très vexant ce que tu viens de faire, tu sais.

— De quoi ?

— Ne pas prêter attention à ce que ton interlocuteur te dit, soupira-t-elle, un brin agacée.

— C'est pas de ma faute si t'es ennuyante.

Sa bouche se tordit dans une grimace.

Que te vayas a la mierda.

— Je parle pas espagnol désolé.

Elle fit un pas vers lui, toute trace d'amusement évanoui.

— Tu es un crétin. Ce n'était pas prévu que tu te rapproches de Liam. Ni que tu travailles pour lui. Et par ta faute, tu vas tout foutre en l'air.

— Qu'est-ce que...

Elle enfonça ses doigts dans ses joues et débloqua sa mâchoire de force. Son mouvement fut trop rapide pour qu'il puisse le parer. Il sentit quelque chose se déposer sur sa langue. Sa tempe cogna brusquement le placard et le monde devint flou. Ses mains s'accrochèrent désespéremment à l'évier. Le liquide qu'elle avait fait couler dans sa gorge s'apprêtait à glisser dans son oeusophage, mais il se pencha à temps pour tout retenir dans sa bouche. Il cracha le liquide avec de la salive, mais sentit un goût d'amende se coller contre les parois de sa gorge. Des larmes vinrent innonder ses yeux quand il enfonça deux doigts dans sa bouche. Son estomac se convulsa et il vomit.

Sans aucun souffle, il se retourna pour l'attraper. Mais Elena était déjà partie. Le tournis le fit vaciller. Un goût d'amande. Du liquide. On avait retrouvé du cyanure dans la Vodka qu'Emma avait ingurgité.

L'horreur le saisit.

Du cyanure.

Il étouffa tous les jurons connus, rinça rapidement l'évier et essaya d'atteindre la porte. Il se rattrapa à plusieurs reprises au tabouret, pris par de violentes nausées. Une veine sur sa tempe palpitait de manière sourde. Son heure était arrivée. Il allait mourir. Cette pensée le terrifia au plus profond de son âme. Il n'avait pas envie. Il ne voulait pas partir si brusquement, pas avant d'avoir parlé une dernière fois à Emma, pas avant de demander pardon à Alex, pardon à Lucas, pardon à tous ceux à qui il avait fait du mal.

Il entra dans la foule dansante, se laissa aveugler par les lumières rouges. Elles lui rappelaient du sang. Ses mains, ses bras en étaient recouverts. Et tout autour de lui, des visages reluisant d'éclats pourpres riaient, se mouvaient suavement. Leurs rires se suspendirent au-dessus de sa tête. À chaque pas qu'il réalisa, ses poumons se rétractaient un peu plus. Ses mains furent prises de convulsion. Il avait froid. Il avait chaud. Il voulait sortir de là, respirer, respirer. Il poussa brutalement des corps, ignora les protestations. Le monde semblait irréel. Comme dans un rêve.

Oui... un rêve...

La tentation de fermer les yeux pour se laisser porter fut forte, mais les vitraux de la porte de la terrasse le réveillèrent un peu. Il déverouilla la serrure et se jeta dehors. Des tremblements le saisirent. Il allait mourir. Il allait mourir. Aujourd'hui, ce soir. S'il pleurait, est-ce que ce serait grave ? Est-ce que ça rendrait sa mort plus dramatique ? Les pensées s'emmêlèrent, se cognèrent entre elles, il n'arrivait plus à les trier. Il y avait un éclat bleu face à lui.

— Eh, mec ? Tu fous quoi ?

Aussitôt que la voix atteignit ses oreilles, il l'oublia. Un éclat bleu. Très grand. Une piscine ? Oui, peut-être qu'un peu d'eau fraîche lui ferait du bien. Il s'y dirigea, marchant sous l'action du miracle. Respirer. Soulever sa poitrine. Mais il n'y arriva pas, et un sanglot éclata dans sa gorge. Les reflets de l'eau au-dessus de petites lumières brouilla sa vue.

Un peu de fraîcheur pour calmer sa fièvre brûlante.

Son pied s'aventura dans le vide, son corps tomba avec lui. La masse épaisse d'une eau glacée l'enveloppa. Les sons extérieurs s'évanouirent. La vie se résuma à ce bourdonnement contre ses oreilles, à ses mouvements ralentis. Il tombait au ralenti. Il mourait au ralenti. Les mèches de cheveux flottant librement autour de sa tête. Sa main tendue vers la surface, inerte. Un espoir pathétique. La lumière n'était pas fait pour lui. Son coeur appartenait à l'obscurité.

Alors il ne lutta pas. Son dos cogna le fond.

Et comme ça, brusquement, William Restrie disparut.

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