19. Liam

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Son cri était étouffé par un bâillon. Il ne put voir son visage, recouvert d'un sac en tissu noir. Mais il devinait la panique dans son regard. La peur qui lui faisait perdre le contrôle d'elle-même. Tous les êtres humains qu'il avait attachés à cette chaise réagissaient de la même manière. Des petites choses terrifiées, suppliant pour avoir la vie sauve. Il fut juste peiné que ce soit son tour.

Ses hommes terminèrent de serrer les nœuds à ses poignets. Liam était appuyé contre le mur, les bras croisés sur sa poitrine. Il y avait une arme posée sur la table d'à côté. Chargée.

— Retirez-lui la capuche.

Ses yeux rencontrèrent immédiatement les siens au moment où on lui offrit la vue. Elle savait. Il n'y avait aucun doute quant à la raison pour laquelle on l'avait étouffée dans sa voiture. Un foulard la bâillonnait fermement. Mais elle arrêta de crier. Elle jeta un coup d'œil sur les côtés pour savoir qui la surveillait. Des hommes avec lesquels elle avait l'habitude de rire le soir, en fumant une cigarette.

Il se décolla de la paroi grise et se plaça derrière elle. Par des mouvements très calmes, il dénoua le foulard et le laissa tomber au sol. Puis il passa ses doigts dans sa chevelure blonde pour la recoiffer. Elle frissonna quand ses doigts effleurèrent son cou. Sa respiration devint plus bruyante.

— Tu aurais dû me dire que tu parlais espagnol. Tu aurais fait une parfaite interprète pour mes clients mexicains.

— Il t'a dit ?

— Qui, Patrick ? Il n'a pas eu le temps.

— Qu'est-ce que tu lui as fait ? paniqua-t-elle.

— La question que tu devrais te poser ma chérie, c'est qu'est-ce que je vais te faire à toi maintenant que je sais que tu m'as pris pour un con.

Il affermit sa prise sur ses cheveux et tira sa tête en arrière. Ses yeux s'arrondirent. Elle voulut se débattre à nouveau, mais ce fut vain.

— Je hais qu'on me trahisse, tu le sais non ? Je hais qu'on me vole mon argent. Je hais qu'on m'utilise pour arriver à ses propres fins. Et je hais qu'on me pense idiot.

— Je peux t'expliquer, souffla-t-elle.

— J'espère bien.

Il relâcha brutalement sa prise. Elle bascula légèrement en avant, le souffle court. Les pieds de la chaise crissèrent sur le sol en béton quand il la tira. Il s'assit face à elle, les coudes posés sur ses genoux. Elle se redressa. La peur s'était évanouie de ses yeux. Il n'y trouva que du regret.

— Je n'ai jamais su si c'était la bonne chose à faire, prononça-t-elle d'une voix rayée. Jamais dans ma vie je n'ai été certaine de mes choix. Mais j'ai joué le jeu, parce que c'était la seule manière de parvenir à mes fins. Je suis devenue Gabrielle Torella parce que c'était l'unique moyen d'accomplir un acte qui me procurait l'argent dont j'avais besoin.

— Tu l'as tué.

Ce n'était pas une question. Mais elle hocha quand même la tête.

— Emma n'était pas censée survivre. Alors je devais m'en prendre à son frère.

Il eut envie de rire tellement c'était évident. La bouteille, le cyanure. C'était Elena qui l'avait empoisonnée.

— Qui t'a donné ces ordres ?

— Il ne m'a jamais donné son nom. Tout ce que je sais, c'est qu'il travaille à Memphis et qu'il hait les familles fondatrices du Flamboyant, ainsi que ses héritiers. Il y a un rapport avec le Mur, mais je n'en sais pas plus.

— Donc il t'a demandé d'assassiner deux Rovel et toi tu n'as pas voulu savoir pourquoi ?

— Ce n'est pas la vérité que je cherche, juste des maudits billets.

— Pourquoi ?

Ses traits se figèrent dans du marbre. Sa question était pourtant simple. Pourquoi aller jusqu'à assassiner un riche héritier d'une famille puissante pour avoir de l'argent ? Mais elle garda le silence.

— Je t'ai posé une question.

Elle détourna le regard.

— Pourquoi ! s'énerva-t-il.

Il bondit de sa chaise et saisit sa mâchoire sans aucune douceur. Un gémissement de douleur jaillit de sa gorge.

— Qu'est-ce qui nécessite autant d'efforts pour être payée ? Dis-moi ?

— C'est quoi ce bordel ?

Il se retourna d'un coup sec. William se tenait en bas des escaliers, les sourcils froncés devant la scène qui se déployait sous son nez. Elena échappa un rire sans joie. William la dévisagea. Mais d'un air étrange. Comme s'il connaissait déjà une partie de l'histoire.

— Gabrielle, dit-il. Ou devrais-je dire Elena ?

William jouait sur les deux camps : Memphis et cette maison. Il avait été là quand Elena avait débarqué. Il avait du être présent quand Sasha Rovel s'était baladé avec sa nouvelle petite amie à son bras dans l'école. Et il n'avait rien dit.

— Tu as de la chance que ce soit mon cousin qui soit tombé sur toi, sourit-il, et pas Emma. Elle t'aurait arraché les yeux et retiré la peau de tes muscles pour te pendre haut et court.

— Ça t'amuse hein, siffla-t-elle.

— Beaucoup.

William se tourna enfin vers lui. Il parut hésiter un moment, partagé entre le silence et la vérité. Mais la haine qu'il voua à Elena le poussa à parler.

— Elle a voulu m'empoisonner.

Son sang se glaça dans ses veines.

— Quand ?

— Lors d'une soirée. Elle avait peur que je divulgue sa vraie identité. Ou que je t'informe de son faux nom. Alors elle a voulu me faire avaler du cyanure mais elle s'est ratée.

Il fixa Elena, et pour la première fois dans sa vie, il voulut l'étrangler. Ce fut viscéral. Une envie qui lui déchirait les entrailles, un hurlement qu'il retenait avec peine. Elle avait osé s'en prendre à sa seule famille. Elle. Avait. Osé.

— J'ai pris peur, ok ? lâcha-t-elle avec une voix qui montait dans les aigus. Je ne voulais pas vraiment le tuer.

Il ramassa le pistolet sur la table et l'arma. Elle s'agita brusquement sur sa chaise. Ouvrit les yeux en grand, réalisant à quel point sa mort pouvait arriver rapidement.

— Mon amour, s'il te plaît écoute-moi.

Mon amour. Il tendit son bras. Son amour venait de se briser. Elle avait tout gâché, alors qu'ils auraient pu... ils auraient pu poursuivre ensemble. Ils auraient pu faire l'amour tous les soirs, vivre au jour le jour, coincés entre la police et les dealers. C'était la vie qu'il lui avait proposée, mais elle n'en avait pas voulu. À la place, elle avait fait pire. C'était à elle d'assumer.

— Liam, l'appela son cousin derrière lui. Ne fais pas ça.

— Elle a tenté de te tuer.

— Je ne veux voir personne mourir aujourd'hui.

Il était trop fragile pour se confronter une nouvelle fois à la mort. Et il le comprenait.

— Retourne en haut.

Elena commençait à pleurer compulsivement. Des supplications se déversèrent sur ses lèvres. Des mots qu'il ignora. Il tenta d'ignorer la douleur qui accompagnait la vision de son corps inerte, il voulut effacer d'un geste rapide de la main tous les souvenirs qu'ils avaient en commun. Il avait tué beaucoup de gens au cours de sa vie. Elle ne serait qu'une de plus.

Au moment où il allait crier à William de lui obéir une bonne fois pour toute, elle lâcha :

— Pour ton fils.

Le silence se posa brutalement dans le sous-sol. Liam ne s'entendit plus respirer. Son bras était tendu au-dessus du sol, son doigt posé sur la gâchette. Ces trois mots ne voulaient rien dire. C'était hors contexte.

— Tu voulais savoir pourquoi je voulais cet argent, reprit-elle. C'est pour ton fils.

— Tu délires, souffla-t-il.

— Il y a dix ans, je suis partie parce que j'étais enceinte. Je ne voulais pas que notre enfant grandisse dans un univers aussi hostile. Je voulais lui offrir le bonheur que nous n'avions pas eu la chance d'avoir.

Elle cligna des yeux et plusieurs larmes coulèrent.

— Il te ressemble.

C'était une blague, un maudite blague. Il n'avait jamais eu de fils. C'était n'importe quoi. Et puis, il l'aurait su non ? Où était-il sinon ? Comment s'appelait-il ? Il ne pouvait pas avoir été père pendant dix ans sans le savoir. Il baissa lentement son arme. Elle parut revivre à nouveau.

— J'avais besoin de cet argent pour lui. Il est atteint d'une maladie mais aucun médecin français n'a pu le diagnostiquer proprement. Un professeur allemand m'a proposé de le prendre en charge mais le voyage est cher et il demande à être payé alors... c'était l'unique solution que j'ai trouvé.

Ses yeux passaient de l'arme à lui avec crainte.

— Tu n'avais pas le droit de faire ça, prononça-t-il d'un ton amer.

— Tu m'aurais poussé à avorter. Tu ne voulais pas d'enfants, je le savais.

— Et qu'est-ce que tu en savais ? Tu m'as demandé peut-être ?

Ses sourcils s'arquèrent de douleur. Non, elle ne lui avait jamais demandé. Elle l'avait supposé. Tout ça parce qu'il avait grandi dans un univers sombre, et qu'il n'avait pas l'intention d'en sortir. Mais il avait été le premier à accueillir William chez lui. Et son unique erreur avait été de vouloir l'aider.

— Il commençait à poser des questions sur toi, alors je suis revenue. J'avais l'intention de t'en parler.

— Ouais c'est ça, pour me voler mon fric et partir avec lui en Allemagne.

— Non. Je t'assure que j'allais te le dire avant mon départ.

— Après dix ans de silence. Il était temps.

Il s'appuya sur le rebord de la table et prit une grande inspiration. Un fils. Il avait encore l'espoir que ce ne soit qu'une blague.

— Comment s'appelle-t-il ?

— Victor.

Il tourna légèrement sa tête sur le côté. William l'observait d'un air inquiet. Ouais, c'était pour dire que sa situation était merdique. Il ne savait plus quoi faire d'Elena. Il ne pouvait pas la tuer, pas si son fils l'attendait chez elle. Il ne pouvait pas ôter une mère à son enfant. Tout à coup, un de ses hommes descendit précipitamment les escaliers et arriva avec le souffle court.

— Liam, il y a une fille qui veut te...

Mais une tête blonde émergea aussitôt du couloir, du feu à la place des yeux. Daniel, un autre de ses hommes, était en train de lui courir après mais échappa un soupir de découragement quand il aperçut Liam. Emma ne fit même pas attention à William. Ni même à lui.

Parce qu'elle regardait droit sur Elena.

— Toi !

Et elle se précipita vers elle. Liam aperçut assez tôt l'éclat de la lame dans sa main. Des photos dans l'autre. Et il put réagir à temps, agrippant sa taille alors qu'elle s'apprêtait à se jeter sur Elena. Un hurlement jaillit de sa gorge, sa main armée se tendit vers sa victime. Elle eut beau se débattre, il avait bien plus de force qu'elle.

— Je vais la tuer ! cria-t-elle.

— Calme-toi ! tenta-t-il de la raisonner.

Il attrapa son poignet et tenta de lui retirer le couteau d'une main. Elle était peut-être fine et faible, mais elle gesticulait trop pour qu'il puisse faire quoi que ce soit. La colère la rendait tremblante. Son cri de protestation se transforma en sanglot déchirant. Elle lui aurait enfoncé la lame dans la gorge s'il l'avait laissé faire. Elle avait l'air d'en avoir envie.

— Elle l'a tué ! s'écria-t-elle dans un ultime effort. C'est elle qui a assassiné mon frère, elle s'est faite passer pour une autre personne et...

— Emma, la coupa-t-il. Je sais.

Elle arrêta de se débattre. Elena la fixait sans aucune once de regret. Droit dans les yeux. En assumant pleinement ses actes. Elle était prête à tout pour sauver la vie de leur fils, prête à commettre les pires crimes si nécessaire. Et ça la rendait encore plus dangereuse.

Emma leva son bras pour lui tendre des photos. Il réussit à lui enlever le couteau de sa main et prit les papiers. Elena et Sasha devant leur appartement à Cannes, puis une autre de... lui. Lui et elle devant ces grilles même. Ils étaient côte à côte à se parler. Puis sur le cliché suivant, il l'embrassait. C'était il y avait une semaine, la veille de l'enterrement de Sasha.

— D'où viennent ces putains de photos ?

— J'en ai reçu des centaines, dit-elle calmement. Sur moi. Sur Simon, et même sur William. Depuis des mois.

Elle paraissait si tranquille, et si détruite à la fois.

— Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

— Ah ouais, et quand ? Le seul moment où j'ai pu te parler c'était après les funérailles, et tu avais l'air pressé.

Il n'eut rien à dire à ça. C'était vrai. Il n'avait pas cherché à lui parler, parce qu'il avait jugé ça inutile. Il envoyait ses hommes veiller sur sa sécurité uniquement parce que William le lui avait demandé. Celui-ci s'avança et lui demanda silencieusement les photos. Liam les lui donna.

Il était dégoûté. D'Elena, du fils qu'elle avait caché, de ces foutus clichés pris par il ne savait qui. L'horreur s'afficha sur les traits de William. Il lui demanda qui était au courant, elle répondit Simon et Erwin. Il demanda pourquoi elle n'avait rien dit à la police, elle répondit qu'ils resteraient impuissants et que, de toute façon, elle voulait les garder pour elle. Pour essayer de trouver elle-même la réponse.

Elle n'avait plus confiance en personne.

— Elle doit mourir, cracha-t-elle amèrement en plantant ses yeux bleus sur Elena.

Elle s'apprêtait à faire un pas en avant, mais William l'arrêta en posant une main sur son bras. Liam reprit son arme et la coinça sous la ceinture de son pantalon. Il détacha les cordes qui maintenaient prisonnières Elena. Elle s'était tellement débattue que ses poignets saignaient. Il l'aida à se relever. Il voulut paraître sec, froid, mais il ne put s'empêcher de la toucher avec délicatesse. Emma le dévisagea d'un œil critique.

— Je veux la tuer.

— Tu ne tueras personne, la coupa-t-il.

— Si, elle.

— Est-ce que tu sais ce que c'est que tuer ? Est-ce que tu as déjà pointé une arme sur quelqu'un et appuyé sur la gâchette, est-ce que tu as vu un regard se vider ?

Il prit son silence pour un nom.

— Alors arrête de dire des conneries, termina-t-il.

Ses doigts s'enroulèrent autour du coude d'Elena, et il la tira dans les escaliers. Elle ne chercha pas à s'enfuir. Elle n'avait pas peur de lui, plus maintenant, plus après l'avoir vu fléchir. Il la poussa dehors. Un vent glacial balaya ses cheveux blonds en arrière.

— Avance.

— Laisse-moi prendre un manteau.

— Avance j'ai dit.

Elle lui jeta un regard noir mais finit par obéir. Il la suivit par derrière. Ils arrivèrent à sa voiture, il lui ordonna de monter côté conducteur. Puis il s'installa sur le second siège. Face au pare-brise, un océan de nuages noirs leur faisait face.

— Conduis-moi à mon fils.

Elle ferma brièvement ses yeux.

— Non, il n'est pas prêt.

— Si tu t'es inventé cette histoire pour ne pas que j'appuie sur la détente, je te jure que ta mort sera bien plus agonisante qu'une simple balle.

— Tu crois vraiment que je te mentirais de cette manière ?

— Je n'en sais rien, Elena. Je ne te reconnais plus. Je ne sais pas qui tu es. Alors démarre cette putain de bagnole et conduis-moi à mon fils ou je n'hésiterai pas à faire plaisir à Emma en lui ramenant ta tête.

— Arrête avec tes menaces, tu es fatiguant à force.

Elle démarra. Ils roulèrent en silence. Seul le bruit du moteur s'élevait dans l'habitacle. De temps en temps les tic tac rythmés du clignotant. Ses mains étaient crispées au volant. Elle regardait droit devant elle, blanche comme un drap.

— Tu as vu quelqu'un d'autre après ton départ ?

Il avait besoin de savoir.

— Juste pour des nuits.

Il se souvenait des soirs où il la récupérait dans son lycée. Une fois, il avait vu un garçon la draguer. Le mec était tellement misérable que ça se remarquait du premier coup d'œil. Elle avait tenté de lui fausser compagnie mais il avait insisté. Liam était arrivé et lui avait fait comprendre de s'éloigner. Plus tard, quand ils s'étaient disputés, elle était partie avec lui. Elle avait couché avec lui. Juste une fois, avait-elle dit. Pour elle, les hommes n'étaient que des instruments pour son propre plaisir. Le gars avait cherché à la voir par la suite, mais elle l'avait bloqué sur tous les réseaux sociaux et l'avait menacé avec un couteau hors du lycée. Il n'y avait eu que Liam dans sa vie. Le seul qu'elle n'avait pas repoussé après une nuit de plaisir.

— Et toi ? fit-elle.

— Pas le temps pour des gonzesses.

C'était plus pour les protéger qu'autre chose. Il préférait que ses hommes n'en ramènent pas non plus. Elles risquaient gros si un rival voyait en elles la possibilité d'un marché.

— Tu as oublié Sasha, lui fit-il remarquer.

— Il ne compte pas.

— Non bien sûr, tu l'as baisé pendant des mois mais il ne compte pas.

— Deux fois, rétorqua-t-elle. Et c'était pour un but bien précis qui n'avait rien à voir avec de l'amour ou de l'attraction. Il fallait que je gagne sa confiance, c'est tout.

— Pour ensuite lui tirer une balle dans la poitrine.

— Tu as fait bien pire alors tu n'es pas le mieux placé pour me donner des leçons.

Le silence revint à la charge. Les minutes qui passèrent lui parurent éternelles.

— Tu devrais être content de la mort du Rovel, reprit-elle. Son père t'achètera plus de came.

— Je me sers peut-être de la souffrance des autres pour me faire de l'argent, mais je ne la crée pas.

— Je l'ai créé pour toi, tu devrais me remercier.

— La ferme putain.

Elle échappa un petit rire moqueur.

— Toi aussi tu as changé.

Peut-être oui. Plus le temps passait, et plus il était fatigué de la Mort. Entendre des hommes hurler de douleur lui brisait les tympans. Devoir exploser des têtes le dégoûtait. Le temps lui avait ôté son goût de la souffrance.

— Conduis.

Ils arrivèrent dans un quartier insalubre. Des graffitis décoraient les murs et des grillages cassés traînaient sur les trottoirs. Les poubelles débordaient, avec des machines à laver posées à côté. Elle se gara devant des porches d'immeuble et sortit. Il la suivit jusqu'au palier où elle inséra des clés. Il n'aimait pas l'obscurité qui y régnait. Ces néons qui grésillaient. Tous ces recoins noirs qui pouvaient cacher des dangers. Il sortit son arme et la serra fort dans sa main. Elena monta des escaliers sans prêter attention à tous ces détails. Elle était habituée.

Elle ouvrit la porte numéro 14. Des sons d'une télévision leur parvinrent. L'entrée était petite, l'appartement en lui-même ne semblait pas bien grand. Des figurines de soldats traînaient sur le sol.

Une femme rousse émergea de ce qui semblait être la cuisine. Son regard s'illumina quand il se posa sur Elena mais s'éteignit soudainement quand ce fut sur lui. Il rangea le pistolet en le dissimulant sous sa veste.

— Tu peux partir, lui dit Elena avec un sourire doux.

— Ok, dit-elle simplement. Tu m'appelles la prochaine fois que tu as besoin de moi.

Elle mit rapidement ses chaussures et se précipita à l'extérieur sans même le saluer. Elena s'engouffra dans le salon. Il la suivit. Un film passait à la télévision, et Liam le reconnut instantanément. Il faut sauver le soldat Ryan. Un garçon était assis par terre et plongeait sa main dans un paquet de bonbons.

Elena s'assit sur le fauteuil près de lui. Liam se tint en retrait. Il avait l'impression de s'immiscer dans un monde qui n'était pas le sien. Elena lui parut différente. Quand elle était partie, elle n'était qu'une gamine. Aujourd'hui, elle était une femme. Une mère.

— Tu as fait tes devoirs ? demanda-t-elle d'une voix à la fois dure et douce.

— Oui.

Il avait ses yeux rivés sur l'écran. Des coups de feu résonnaient dans la pièce. Elena se pinça les lèvres et continua d'observer son fils. Liam ne pouvait voir que l'arrière de son crâne, ses cheveux aussi bruns que les siens. Et il se rendit compte qu'il ne voulait pas en savoir plus. Qu'il voulait partir. Qu'il avait juste voulu être sûr qu'elle ne mentait pas.

— En anglais la prof m'a dit que j'avais fait des progrès, déclara-t-il avec une certaine satisfaction.

— Elle vous a déjà rendu vos évaluations ?

Il secoua la tête.

— Demain.

Liam ne voulait pas en entendre plus. Il disparut dans le vestibule et ouvrit la porte à la volée. Cet univers ne lui correspondait pas. Peut-être qu'elle avait raison. Il n'était pas fait pour être père.

— Liam ! l'appela-t-elle alors qu'il avait déjà descendu les escaliers. Attends !

Il se retourna à contrecœur. Elle s'arrêta, une main posée sur la rambarde.

— Pourquoi est-ce que tu pars si vite ?

— On a pris un différent chemin, mieux vaut ne pas les croiser.

Il s'apprêtait à lui tourner le dos mais elle descendit d'une autre marche.

— C'est toi qui a insisté pour venir ici. Reste maintenant. Comme ça il pourra te...

— Pour quoi , Elena ? s'énerva-t-il. Faire semblant d'être une famille ? Remplir un rôle que j'ai manqué pendant dix ans ? Qu'est-ce que tu veux, dis-moi ?

— J'avais espéré qu'on parte ensemble en Allemagne, prononça-t-elle d'une voix plus basse.

Elle se moquait de lui. Ou bien elle avait besoin que quelqu'un lui ouvre les yeux. Elle était capable de tuer un homme mais pas de regarder la réalité en face, quelle façon d'exister.

— Paie ton putain de médecin et casse-toi. Si tu remets les pieds dans cette région, tu es morte.

Il eut le temps d'apercevoir deux paires d'yeux qui le fixaient depuis le haut de l'escalier. Il était assez grand pour comprendre. Assez âgé pour se souvenir. Il pourrait dire qu'il avait vu son père au moins une fois dans sa vie.

— Alors tu vas me laisser affronter ça seule ?

Il claqua la porte du hall. Sa voix ne pouvait plus l'atteindre. Et il ne reviendrait pas sur ses pas pour l'entendre gémir. Elle lui avait enlevé son enfant, à elle de s'en occuper jusqu'au bout. Victor était peut-être son fils génétiquement, mais pour lui, c'était un gamin comme les autres. Il ne le connaissait pas. Et il ne comptait pas à ses yeux.

Il fit le retour sans penser à quoi que ce soit. C'était peut-être la dernière fois qu'il verrait Elena. Elle partirait en Allemagne, et si elle revenait en France, elle devrait aller autre part. C'était terminé, donc. Il eut un petit rire dénué de joie. Ça avait été rapide.

À son arrivée, il fit comprendre à ses hommes que parler était la dernière chose dont il avait envie. Qu'ils gardent leurs questions et leurs problèmes pour le lendemain. Il sortit sur la terrasse pour fumer. Des grincements lui parvinrent. William et Emma étaient chacun assis sur la balançoire. Ils parlaient. Liam était trop loin pour entendre quoi que ce soit, alors il se contenta de les observer. Les souvenirs de sa propre jeunesse lui frappèrent l'esprit. Il se sentait déjà vieux, décharné. La seule bonne chose qu'il avait gardée de cette époque-là venait de partir.

William se leva de la balançoire et se plaça devant Emma. Il posa son index sous son menton et releva sa tête. Liam expira sa fumée blanche. Leurs lèvres s'approchèrent. Elle s'agrippa aux chaînes rouillées comme si ce rapprochement lui faisait mal. Pourtant, elle ne recula pas. William parut hésiter, laissant planer plusieurs secondes d'inaction.

Puis, finalement, il l'embrassa. Ce fut bref. Elle détourna aussitôt la tête, ses phalanges devenues transparentes. Bref mais suffisant. William resta immobile, avalant le rejet d'un air calme.

La jeunesse, songea Liam. Un cadeau empoisonné. On pensait être le plus misérable des êtres humains, puis on vieillissait et on se rendait compte qu'on avait tout eu. C'était comme le bonheur. On ne l'appréciait que quand on ne le possédait plus.

Emma se leva, le contourna et se dirigea vers lui. Il posa la cigarette entre ses lèvres, inspirant longuement.

— Où est-elle ?

Il fit mine d'observer le paysage, mais en réalité, il pensait à tout sauf au temps qu'il faisait.

— Là où elle ne pourra plus faire de mal à personne.

— Pourquoi je devrais te croire ?

— Parce que je te le dis.

Elle le fixa d'un air suspicieux. Il avala sa dernière bouffée.

— Si ton histoire avec William se confirme, continua-t-il, tu viendras vivre ici. Au moins jusqu'à ce que je trouve qui s'amuse à faire l'apprenti photographe.

Le soupçon ne s'évanouit pas de ses pupilles. Elle jeta un bref coup d'œil à l'intérieur de la maison qui se voyait par la baie vitrée. Puis à lui. Mais pas à William.

— Ok.

Ce fut tout.

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