24. Madden

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Alexandre avait brusquement déserté le Palais et Mr Korel était reparti avec un étrange sourire aux lèvres. Madden n'aimait pas tous ces imprévus, ces sous-entendus, ces réactions mystérieuses. Elle voulait savoir. La peur lui nouait le ventre.


Erwin essaya d'appeler Alexandre plusieurs fois mais ce fut vain. Olivier arriva une demi-heure plus tard en demandant où était passé son fils, mais personne ne sut lui répondre. Les invités continuaient toujours à converser, ne remarquant rien. Elle prit le bras de Raven et la tira entre les convives.


— Acompagne-moi aux toilettes.


Elle ne lui avait pas vraiment laissé le choix. Mais Raven céda, comme d'habitude. Les deux filles se frayèrent un chemin dans la plus grande discrétion. Madden surveillait encore la foule dans l'espoir de voir Alexandre réapparaître. Ses recherches ne rapportèrent aucun résultat satisfaisant. Elles s'engagèrent dans un couloir illuminé de chandelles, leurs talons claquant sur les pierres. Il faisait nuit et les ténèbres les enveloppaient. Elle sursauta quand elle remarqua une présence à sa gauche. Sa main alla chercher celle de Raven, juste pour être sûre que si quelqu'un leur voulait du mal, elles seraient deux à y faire face. Mais elle reconnut les traits de son père dans la faible lumière des flammes.


Il agrippa férocement son bras.


— Viens ici.


— Lâche-moi !


Il la poussa vers une salle aux tapisseries médiévales. Une table en bois occupait le centre, mais c'était tout. Un coup d'œil dans son dos lui permit de savoir que Raven s'était enfuie. Avant qu'elle n'ait pu tenté de regagner la porte pour lui échapper, il prit son poignet pour contempler la bague qui ornait son doigt.


— Alors c'est vrai ?


Il n'y avait jamais eu tant de colère dans ses yeux. Elle avait cru pouvoir le repousser. Elle s'était crue plus forte que lui, plus rusée. Elle avait eu tort. Comme sa force physique ne fut pas suffisante pour se libérer, il lui restait son regard noir.


— Oui, c'est vrai.


— Oh non. Je ne crois pas.


C'est alors qu'il essaya d'ôter la bague. Elle cria. Frappa son bras. Lui ordonna d'arrêter. À vouloir la lui arracher, il enfonçait le métal dans sa peau. Il y parvint finalement, mais sa tentative pour la récupérer le fit perdre sa prise. Elle tomba mais Madden ne parvenait pas à voir où.


— Pourquoi tu as fait ça ?


— Je sais pourquoi tu veux te marier, tonna-t-il. Tu me crois idiot peut-être ?


Elle réalisa un pas en arrière.


— Il m'a proposé en mariage parce qu'il m'aime.


— Je t'en prie. Ne sois pas si naïve.


Il venait de la gifler rien qu'avec ses mots. Face à son incompréhension, son père eut un rire amer.


— Vraiment, tu l'as cru ? Je te croyais plus intelligente que ça, Maddy. En revanche, Charles a saisi sa chance pour s'approprier notre héritage.


— Charles n'a rien à voir avec tout ça.


— Ah non ? Il a bien dû mentionner son désir de racheter les jardins soi-disant pour te les offrir après, tout en faisant en sorte que le nom Layne apparaisse sur les papiers. Mais tu n'as pas dû y faire attention, comme d'habitude. Aveuglée par l'amour.


Il prononça ces mots avec un dégoˆut apparent. La rage commença à chauffer ses joues.


— Mais tu sais pourquoi il a fait ça, non ? répliqua-t-elle vivement.


— Nous pouvions nous en sortir sans eux.


— Menteur ! s'exclama-t-elle. Tu as investi tout l'argent que je t'ai fait gagner dans d'autres actions qui ont lamentablement chuté ! Tu n'as rien calculé du tout, tu te fichais bien des résultats de la bourse parce que tu savais que j'allais continuer à me vendre, continuer et continuer jusqu'à ce qu'un jour, tu obtienne ce que tu veux. Et j'ai été tellement bête de t'avoir écouté !


— Que sais-tu de ce que j'ai dû faire pour sauver ces jardins ? s'énerva-t-il à son tour. Ta mère a tout pris à son départ ! La moitié de nos richesses, elle a retourné mes contacts d'Amérique contre moi et a fait en sorte que je sois ruiné ! Certes, j'ai investi dans la Bourse là où il ne fallait pas, mais parce que c'était ma dernière option !


— Ça a toujours été ta spécialité de tout charger sur les épaules de maman, n'est-ce pas ?


— Parce que c'est une garce qui n'a toujours pensé qu'à elle-même.


Elle ferma les yeux, ne souhaitant pas entrer dans ce débat maintenant.


— Je me marierai avec Erwin, que tu le veuilles ou non.


— Je me tuerai avant de voir les Layne s'approprier ce qui ne doit appartenir qu'aux Scott, cracha-t-il.


— Mais je t'en prie, fais-le, résonna une voix derrière lui.


Le soulagement la travesersa quand elle vit Charles Layne passer le pas de la porte, juste derrière Erwin. Celui-ci se baissa jusqu'au sol pour récupérer ce qui semblait être la bague. Il la fixa un long moment dans sa main. Puis son regard croisa le sien.


Quand elle fit un pas pour le rejoindre, son père la bloqua avec son bras. Catherine Layne entra au même moment.


— Va te faire foutre Charles.


— Laisse passer Madden, répondit celui-ci.


— Je ne te laisserai pas utiliser ma fille pour t'enrichir.


— Les jardins lui appartiendront à elle ainsi qu'à Louise. Je ne fais que l'aider. Tu préfèrerais qu'elle se prostitue à la place, comme elle l'a fait pendant des mois ?


Il savait. Erwin le lui avait dit, tout avait été planifié. Ce mariage n'avait rien d'une impulsion amoureuse. Elle essaya de ne pas se montrer blessée, de se dire qu'au final, Erwin et elle auraient fini mariés, mais ignorer les faits était impossible.


— Mêle toi de tes affaires. Toute ta vie, tu n'as fait que nettoyer ton joli cul en laissant les autres se salir à ta place. Alors continue.


— N'oublie pas tout ce que j'ai fait pour toi et Philippe.


— Oh mais bien sûr, tout ce que tu as fait, rit-il jaune. Tout ce qui s'est passé, c'est ta faute. Tu n'as fait qu'essuyer les restes de tes propres erreurs.


— J'ai pris ce qui m'était dû.


— Mais est-ce que tu as pensé un seul instant au reste ?


— Ce n'est pas lui qui a transporté le corps jusqu'à la mer, prononça alors doucement Catherine.


Tout le monde se tourna vers elle. Madden ne comprenait plus rien. Elle n'avait aucune idée de quoi il parlait, aucun repère dans leur conversation, mais le mot "corps" venait de glacer son sang. Son père était devenu une statue de pierre.


— Qu'est-ce que tu viens de dire ?


— Ça suffit, les coupa brusquement Charles, qui commençait à perdre ses couleurs.


— Non non, laisse Cathy répéter ce qu'elle vient de dire. Comment est-ce que tu sais ça ?


Erwin observait sa mère d'un air terrifié. Il serrait compulsivement la bague dans sa main. Catherine leva les yeux sur Henri, des pupilles vides et mortes. Cette femme s'était tellement muée dans le silence qu'elle avait fini par en perdre son humanité.


— J'ai tout vu, Henri.


— Tais-toi, dit précipitamment Charles.


— Non. J'en ai marre de me taire.


— Ton fils, lui rappela-t-il.


Elle se souvint tout à coup de la présence d'Erwin. Sa haine froide prit place à la tristesse. Elle garda les lèvres scellées. Comme elle l'avait fait toute sa vie. Et Madden se demanda pendant un moment ce que cette femme avait du garder pour elle pendant toutes ses années. Et si ce secret était ce qui avait fini par la tuer.


Charles se tourna de nouveau vers Henri.


— J'ai récupéré ce qui était à moi. Et aujourd'hui je rends à tes filles ce qu'on leur a promis depuis leur naissance. Tu devrais me remercier pour ça.


— Très bien.


La surprise fut la même pour tout le monde.


— Mais les termes du contrat de mariage seront selon mes propres désirs.


Le visage de Charles s'obscurcit à nouveau.


— Non.


— Alors nous allons avoir un problème.


Erwin essayait d'attirer son attention par des mouvements de tête. Son menton dessinait un grand U jusqu'à l'autre côté de la table. Elle se retourna pour contempler la salle.


Il lui suffisait de faire le tour.


Alors elle recula sans que son père ne remarque son absence. Charles le remarqua mais ne fit aucune remarque. Il soutint même le contact visuel avec Henri de sorte que celui-ci ne fasse attention à rien d'autre. Elle contourna la table et avança à pas plus rapides vers Erwin. Au moment où son père la vit dépasser sa hauteur, Erwin attrapa sa main et la tira hors de la salle. Il y eut des voix graves, son nom prononcés. Mais elle ne se retourna pas.


Ils traversèrent les couloirs et atterrirent dans la cour intérieure. Des murs de pierre à moitié effondrés leur faisaient face. La lune, ronde et blanche, s'élevait au-dessus de ces remparts glacés. Le souffle d'Erwin se transformait en buée au-dessus de ses lèvres. Il prit sa main et replaça la bague autour de son doigt. Le diamant n'était pas abîmé. C'était comme si personne n'avait tenté de l'enlever.


— Je t'ai demandé en mariage parce que je t'aime.


— Je sais, souffla-t-elle.


Leurs lèvres se touchèrent. Il glissa une main sur sa hanche, la ramena un peu plus contre lui. Il colla son front contre le sien et leur respiration se mêla entre leurs visages étroitement rapprochés.


— Ils ont parlé d'un corps, murmura-t-elle.


— N'y pense pas. Ne pense à rien de tout ce qu'ils ont dit.


— Mais ils...


— Je suis fatigué d'essayer de percer tous les secrets.


Il s'écarta un peu pour poser sa main sur son cou. Son pouce vint caresser doucement sa joue.


— Qu'ils aient leur propre tragédie. Nous avons déjà la notre.


Il l'embrassa à nouveau, et cette fois-ci, elle ne répliqua rien.


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