25. Emma

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Ses parents et ses frères étaient en train de dîner quand elle arriva dans le salon. Personne ne la remarqua au début. Ils étaient absorbés dans la contemplation de leurs assiettes, chacun mangeant en silence, deux sièges vides à côté. Elle avait fait en sorte de ne pas faire de bruit en entrant. Quelque part au fond d'elle, elle aurait voulu surprendre une conversation qui confirmerait ses doutes.


Non, pas des doutes, se souvint-elle.


— Thimothé, prononça-t-elle.


Toute sa famille fit un bond. Sa mère posa une main sur sa poitrine de soulagement en la voyant. Thimothé s'arrêta de manger. Diego aurait sûrement voulu se jeter à son cou, mais il comprit que ce n'était pas le moment.


— Prends tes affaires, celles de Diego et mettez-les dans le coffre de ma voiture.


Son père fronça brusquement les sourcils. Et Thimothé ne bougea pas. Personne n'osait respirer. Pas même elle.


— Viens t'asseoir si tu veux, proposa son père. On va rajouter une assiette.


Il s'apprêtait à se lever pour appeler le cuisinier, mais elle l'arrêta d'un ton catégorique.


— Non.


Il resta à sa place. De la curiosité brillait dans ses yeux. Pas même de la peur, ni du regret, simplement... le désir de savoir où tout cela allait mener. Et il la dégoûta.


— Thimothé, fais ce que je te dis.


Mais son père posa une main sur le bras de son frère. Elle vit rouge. Sa main plongea sous son menton et elle braqua l'arme face à lui. La lueur dans les pupilles de son père changea. Sa mère étouffa un cri avec sa main. Ses frères n'osaient pas bouger, comme s'ils avaient peur qu'au moindre mouvement, elle leur tire dessus.


— Je t'interdis de le toucher, menaça-t-elle d'un ton étonnamment calme. Tim. Maintenant.


Il ne chercha pas à comprendre et obéit immédiatement. Il était grand maintenant, assez grand pour comprendre que la situation était délicate. Et c'était elle qui était en position de force. Alors il tira par la main Diego et tous les deux disparurent à l'étage.


— Emma, articula son père, baisse ça.


Son index, posé sur le métal, descendit sur la gâchette. Elle le regardait, et tout ce qu'elle voyait était un monstre. Pas l'homme qui l'avait éduquée. Pas l'homme qui lui avait offert des cadeaux pour Noël, pas l'homme qui lui avait appris à lire avec des classiques français. Juste un monstre.


— Tu l'as tuée, souffla-t-elle en sentant les larmes percer peu à peu ses yeux.


Il ne répondit rien. Sa mère fixait le mur devant elle, comme pour échapper mentalement à toute cette situation.


— Tu ne le nies même pas, lâcha-t-elle avec un semblant de rire.


— S'il te plaît. Baisse cette arme.


— Dis-le. Raconte-moi comment tu as tué cette pauvre fille. Parce que tu ne voulais pas te marier avec elle, c'est ça ? Ou bien parce qu'elle ne vous servait plus à rien dans vos marchés économiques ?


Sa voix commençait à tourner dans les aigus.


— C'était un accident.


Elle ne le croyait même pas. C'était pathétique comme excuse.


—;Depuis quand un crâne explosé contre un mur relève d'un accident ? prononça-t-elle avec haine.


— Donne-moi une chance de m'expliquer et...


— T'expliquer de quoi ! s'écria-t-elle. Est-ce que tu sais ce que tu as engendré ? Est-ce que tu te rends compte de la monstruosité que tu as commise ! Et tu n'as rien dit, tu n'as rien avoué, tu nous a laissé essuyer ta propre merde en priant à l'église comme un putain de désespéré !


Un sanglot avala la dernière syllabe. Il n'était pas son père. Son père était mort, il n'existait pas.


— Sasha est mort par ta faute, ajouta-t-elle d'un ton plus fébrile. Leila est morte par ta faute. Pendant des années, des jeunes ont disparu par ta faute. Tout ça parce que tu n'as jamais avoué ton crime.


Son bras commençait à peser, mais elle n'aurait baissé l'arme pour rien au monde. Elle la protégeait. De lui, de toute cette vérité effrayante qu'Alexandre n'avait fait que compléter quand il l'avait appelée. Elle s'était alors assise et avait fixé le vide face à elle, en espérant qu'il s'agisse d'un cauchemar. Mais il n'y avait rien à nier. Tout était pendu sous son nez, il fallait juste qu'elle accepte.


Mais avec l'acceptation venait toujours le sacrifice.


La mention de Sasha l'avait fait flancher. Il contractait violemment les muscles de son visage pour retenir l'expression de sa douleur.


— Je ne voulais que vous protéger.


— Tu es un menteur, cracha-t-elle. Tu t'es caché pour toi, pour ne pas te retrouver derrière les barreaux.


— Et tu crois que j'y ai pris plaisir ? s'écria-t-il à son tour, sa voix plus grave que d'habitude. Tu crois que tout était planifié, que je lui ai explosé le crâne contre ces briques pour le plaisir ? C'était une dispute Emma ! Une putain de dispute qui a mal tourné, c'est tout !


— Ça ne change rien au fait que tu l'as tuée.


Il ne put répondre face à ça. Sa mère se tourna alors lentement dans sa direction, les joues humides de larmes.


— Ma chérie, s'il te plaît. Viens t'asseoir.


Elle continuait de fixer son père dans les yeux. Elle voulait savoir si, au moins une fois dans sa vie, il regrettait. S'il savait tout le malheur qu'il avait causé. Le Mur, ce Mur qui condamnait chaque année deux personnes et qui en avait fait disparaître des dizaines, c'était à cause de lui. Parce qu'il avait eu un jour les mains pleines de sang, qu'il avait enterré bien profondément le corps en espérant que son souvenir s'oublie. Mais rien n'était jamais si facile.


— Emma, insista sa mère.


— Je ne m'assaierai pas à la même table que lui. J'emmène Tim et Diego loin d'ici. Quelque part où ils seront vraiment en sécurité, pas sous le toit d'un...


Elle n'eut même pas de mot pour le décrire.


— Nous étions jeunes, fit sa mère. Nous ne savions pas quoi faire, alors nous avons menti. C'était de la survie.


— Comment as-tu pu te marier avec lui en sachant ce qu'il avait fait ?


— Je l'ai su après. Mais je l'aimais. Et rien n'aurait pu changer cette vision que j'avais de lui.


Emma sécha rapidement les larmes sur ses joues.


— Je ne sais pas comment tu as fait, parce que j'en suis incapable.


— Tu as le droit de lui en vouloir. Mais baisse cette arme, ma chérie. Baisse-la avant qu'un drame similaire n'arrive.


Mais elle ne pouvait se résoudre à baisser son bouclier. Elle le haïssait et le craignait à la fois. Ces mains qu'elle voyait, ces mains s'étaient emparées du cou de Lana pour enfoncer sa tête dans les briques. Il avait cogné, cogné jusqu'à ce qu'il ne reste d'elle que de la bouillie de cervelle et d'os brisés. Puis il avait construit sa vie comme s'il n'en avait pas ôté une.


— Je ne peux pas, murmura-t-elle avec un timbre étranglé.


Des pas résonnèrent derrière elle. Elle regarda rapidement dans son dos. Thimothé portait deux sacs et l'attendait avec Diego. Ses yeux s'arrondirent à la vue du pistolet. Elle recula de quelques pas tout en visant continuellement son père, par peur qu'il ne se jette sur elle pour le lui arracher et lui faire subir le même sort qu'à Lana.


— Maintenant, je sais pourquoi tu voulais prier, dit-elle avec l'index toujours posé sur la gâchette. C'est parce que tu savais qu'à ta mort, tu finirais en Enfer.


Il la regarda dans les yeux longtemps. Si longtemps qu'elle put presque croire à un message inaudible qu'elle aurait dû comprendre. Mais il n'existait rien de tel. Seulement la vérité. Et cette fois-ci, il ne pouvait l'omettre.


— Pars si tu veux, déclara-t-il finalement. Mais laisse-moi mes fils.


Il n'y eut aucune peine dans sa voix. Il était conscient qu'elle ne changerait jamais d'avis, alors il voulait reprendre le peu qui lui restait.


— Ils ne vivront pas une minute de plus sous le toit d'un meurtrier.


Il pâlit au mot "meurtrier". Elle fit signe à ses frères de la suivre, baissa son arme, fixa une dernière fois son père dans les yeux. Elle aurait voulu voir l'homme derrière l'assassin. Celui qui la prenait dans ses bras petite, qui la faisait rire quand elle était triste. Peut-être qu'un jour, elle réussirait. Elle parviendrait à lui pardonner. Dans un an. Dix. Quarante ans. La veille de sa mort, peut-être. Ou jamais.


Pouvait-on pardonner à quelqu'un d'avoir tué ?


Il y avait du vent dehors, du vent froid. Thimothé venait de fermer le coffre et s'engouffrait dans la voiture. Elle le rejoignit dans l'habitacle, vérifia que Diego était bel et bien à l'arrière. Puis elle démarra. Aucun de ses frères ne posa de question. Pourtant, elle voyait leurs expressions. Celle de Tim était inquiète, mais il réfléchissait aux derniers mots qu'il avait entendu. Diego était terrifié.


— Où est-ce qu'on va ? demanda ce-dernier.


— Chez un ami.


Thimothé la dévisagea.


— Papa ne nous ferait jamais de mal. Tu n'es pas obligée de faire tout ça.


Elle garda le silence. Fatiguée de répondre, fatiguée de se justifier. Il ne pouvait pas comprendre. Il ne savait pas ce que leur père avait fait. Il parlait pour rien dire, dans le vide.


Il n'y eut pas une parole jusqu'à ce qu'ils arrivent chez Liam. Un grillage cassé cognait contre un poteau en métal. Ce bruit métallique lui donna envie de crier. Elle ne sentait plus ses mains, plus son cœur qui battait. Tout cela était si... irréel. Elle entra dans la maison, guida ses frères jusqu'au salon. Elle fut soulagée que personne ne s'y trouve.


— Vous allez rester ici en attendant que je revienne, leur ordonna-t-elle.


— Où est-ce que tu vas ? demanda Thimothé avec un air paniqué.


— Je reviendrai, promis. Dans peu de temps.


Elle encadra son visage entre ses mains et déposa un baiser sur son front. Comme elle l'aimait, son petit frère. Elle ferait tout pour lui. Pour qu'il soit heureux, ou au moins en vie. Dans ce monde, il y avait des menaces partout. Et il était encore jeune pour comprendre, trop jeune pour remarquer tous les défauts de cette société.


Mais elle le ferait pour lui. Jusqu'à ce qu'il atteigne la vingtaine et qu'il comprenne pourquoi son frère fut assassiné, un triste soir de Noël. Il apprendrait. Comme elle avait appris avant lui.


— Prends soin de Diego en mon absence.


Elle s'approcha de ce-dernier et déposa également un lourd baiser sur son front.


— Tu reviens hein ? voulut s'assurer Thimothé.


Elle hocha la tête avec un sourire.


— Bien sûr.


Quand elle toucha la poignée de porte, les escaliers craquèrent. La silhouette de William se détacha de l'obscurité du couloir. Il ne prononça rien. Il ne lui demanda pas où elle se rendait. Tout ce qu'elle dit fut :


— Mes frères sont dans le salon. Je serai là dans une heure.


Puis elle claqua la porte derrière elle.


Elle arriva à Memphis vingt minutes plus tard. Les grilles étaient fermées, les lampadaires allumés. Elle sortit de son sac la photo qu'elle avait reçue quelques heures auparavant. La dernière. Et non pas d'elle, mais du Mur, quarante ans auparavant. Le jour exact où ils avaient trouvé les traces de sang, le jour où ils avaient retrouvé son corps flottant dans la mer, quelques kilomètres plus loin. Elle mit un pied dehors. Le vent balaya ses cheveux.


Elle grimpa sur les statues qu'ils avaient l'habitude d'utiliser lors de la soirée du Mur. Elle atterrit avec souplesse de l'autre côté, observant les alentours. Tout était plongé dans le noir. Pas un seul chat ne traînait.


Les lampadaires de la rue éclairaient légèrement la cour intérieure. Assez pour qu'elle puisse arriver face au Mur. Son nom était encore inscrit à côté de celui de William. Au final, ils l'avaient fait non ? Ils s'étaient mis ensemble. Ils avaient couché ensemble. Il avait sacrifié Alexandre, elle avait sacrifié Simon. Toute son adolescence, elle avait rêvé de ce moment. Pourtant, depuis la minute où elle s'était éloignée de Simon, elle n'avait jamais cessé de penser qu'elle commettait une erreur. Était-elle vraiment amoureuse de William ? Ou aimait-elle simplement ses désirs destructeurs ?


L'amour était un secret. Leila en était morte, Lucas y avait trouvé sa paix. On en souffrait, on en guérissait. On y plongeait comme avec une drogue, on en devenait dépendant. On l'utilisait comme un instrument. Elle fixa le Mur, puis leva la photo à hauteur de ses yeux. Une partie de la paroi fut remplacée par la photo. Des traces pourpres. Vingt ans auparavant, ces briques avaient été enduites de sang.


Personne ne s'était jamais demandé d'où cette tradition était née. Les élèves avaient fini par l'accepter. Pas de remise en question. Pas de recherches, pas de "pourquoi". C'était triste, mais peut-être que les gens ne voulaient pas que cette tradition disparaisse. C'était une sorte de divertissement, un spectacle gratuit. On qualifiait les romains de barbares, avec leur combat sanglant entre gladiateurs et leurs cris de joie, mais l'homme n'avait pas changé depuis. La douleur des autres rassurait. On se disait "ce n'est pas moi qui souffre" et on s'en amusait. Les animaux regardaient leurs proies se tuer entre elles par instinct, l'être humain pour le plaisir.


Elle ne sut pourquoi elle était venue ici. Une impulsion. Le sentiment que c'était ici qu'elle trouverait toutes ses réponses. Ici que tout avait commencé, ici que tout se terminerait. Devant son nom, celui de William, et ceux de Madden et Erwin barrés. Si on l'inspectait un peu plus, on pourrait peut-être apercevoir la trace du L de Leila.


Un cliquetis résonna derrière sa tête.


— Ne te retourne pas.


Ce fut une voix qu'elle reconnut. Elle n'eut pas peur. Elle savait déjà pourquoi il braquait une arme sur elle. Ce qu'il voulait, pourquoi il le voulait. C'était ce qu'elle était venue chercher - la vérité. Sa main glissa dans la poche de son menteau pour en ressortir aussitôt.


— Est-ce que ça vous a amusé de torturer des élèves pendant toutes ces années ? demanda-t-elle d'un ton posé.


— Beaucoup.


— Et à me suivre, à violer mon intimité ?


— Encore plus.


Un professeur. Qui l'aurait accusé ? Il semblait si passionné dans son travail quand, en réalité, il n'était passionné que par la crainte que reflétaient ses victimes. Et être enseignant n'avait fait qu'agrandir son champ de vision. Il avait fait face à chacun d'eux dans leur pires jours. Quand ils étaient trop fatigués pour suivre les cours, ou fâchés, ou tristes. C'était lui qui avait jeté Raven hors de la salle, le seul professeur qui connaissait la vraie version des faits. Juste pour la faire souffrir un peu plus.


— Je dois dire que tu as été intelligente, reprit-il. Tu as réussi à remarquer tous les indices que je semais, tu n'as pas paniqué autant que je le pensais. C'est quand même dommage que tu n'ais pas deviné le vrai rôle d'Elena avant que je ne t'envoie les preuves.


— Pourquoi elle, d'ailleurs ?


— Parce qu'elle n'était qu'une pauvre fille perdue capable de tout pour sauver son fils. Je lui ai promis de l'argent, elle a pris mes ordres à la lettre sans se plaindre. Une brave femme.


— L'argent que vous a donné Leila pour inscrire son prénom et celui de Lucas ?


Il y eut un bref silence. Elle sentait sa présence dans son dos, le canon levé au niveau de sa tête. Elle n'avait pas peur. Elle avait affronté trop de fois la mort pour encore trembler devant elle.


— Oui. J'avais l'habitude de laisser quelques élèves décider des noms. Pour une vengeance personnelle, ou la jalousie. Les raisons ont toujours été multiples, parfois surprenantes. En vingt ans, j'ai réussi à connaître le genre humain mieux que n'importe qui. Quand Leila Revigne a fait sa requête, je me suis dit que le résultat serait intéressant. Je l'ai laissée faire, j'ai gagné beaucoup d'argent. J'ai laissé Lucas et Raven faire également, pour mener à bien leur petit complot. Mais une fois tout le drame terminé, j'ai voulu passer à l'action.


— Vous avez brisé une règle.


— Les règles, c'est moi qui les ai établies. Et c'est moi qui les déferai.


— Non, c'est juste que vous vous êtes raté. J'aurais dû mourir. Et j'ai survécu.


Elle entendit sa respiration devenir pesante.


— C'est vrai. J'avais pensé qu'une petite chose fragile comme toi se briserait au moindre coup, mais tu m'as désagréablement surpris.


— Il paraît que ceux qui veulent mourir sont les derniers à partir.


— Et ceux qui veulent vivre sont les premiers.


— C'est peut-être ça, la tragédie.


Il échappa un petit rire.


— Vous, les riches, vous vous plaignez de problèmes inexistants. On vous gave la bouche d'aliments, on vous dorlote comme des oisillons et vous trouvez un moyen de sauter du nid pour vous écraser lamentablement. Vous êtes une race de faibles. Vous ne seriez rien sans vos lustres en cristal ou vos voitures hors de prix. Mais vous vous pensez quand même intouchables, puissants. Le monde baise vos pieds parce que vous possédez ce que tout le monde rêve d'avoir. Et le jour où quelqu'un décide de ne pas se plier, vous trouvez le moyen de l'écraser au sol.


— Ce n'est pas la richesse qui a tué votre sœur.


— Oh si.


Elle fronça les sourcils.


— Lana était fiancée à Philippe Rovel, reprit-il, pour une seule raison. Le Flamboyant avait besoin de plus de terrains pour s'étendre. Au début, ils ne voulaient en faire qu'un restaurant, mais le projet s'est vite agrandi. Ma famille possédait ce qu'ils désiraient. Alors on a proposé un marché à ma sœur : que les quatre familles du Flamboyant rachètent les terres Duvois en échange d'un mariage. Par cette union, elle garderait la possession des terrains.


Alexandre avait mentionné une signature de Charles.


— Mais ça ne s'est pas passé comme prévu, devina-t-elle.


— Layne a signé à la place de Rovel. Lana s'est fâchée. Si ce n'était pas Philippe qui allait racheter, elle ne pourrait jamais avoir accès à ses terres. Mais ils avaient déjà tout planifié. Ils ont commencé à se disputer dans le hall. Ils ont marché jusqu'à ce Mur, il n'y avait plus grand monde dans l'école, personne autour d'eux. Le ton est monté, Lana a menacé de briser leurs fiançailles et d'empêcher le contrat d'achat d'être signé. Philippe s'est énervé, il l'a prise par le cou et a enfoncé son crâne dans ce mur.


Ce Mur qui lui faisait aujourd'hui face.


— Est-ce que vous avez assisté à tout ça ?


— Non. Pas moi. Une jeune fille nommée Catherine Collin qui allait en cours avec moi.


Plus tard devenue Catherine Layne. Elle avait vu, elle avait raconté. Elle aurait sûrement dénoncé Philippe si Charles n'avait pas acheté son silence.


Les jumeaux l'appelaient la reine des glaces. Le mensonge l'avait figée, elle était devenue une marionnette dans les mains de son mari. Condamnée à connaître la vérité.


— Ils ont retrouvé son corps quelques jours après. Je suis allé à la police, je leur ai donné le nom de Philippe Rovel et j'ai demandé à Catherine de m'aider. Mais elle n'a rien dit. Les Rovel ont reçu l'appui des Voseire, ils ont eu assez de pouvoir et d'influence pour convaincre les autorités que Philippe n'avait rien à voir avec tout ça. Ma famille avait prévu de donner à la justice les preuves de l'achat, raconter comment on avait agi dans le dos de Lana, mais la veille de leur plainte, quelqu'un a frappé à la porte de notre maison. Quand je suis rentré, j'ai vu le sang sur les rideaux. Je n'ai jamais su où se trouvaient les corps. Mais j'ai compris que si je disais un mot, j'y passerais aussi. Je devais être plus malin. Plus rusé qu'eux. Alors j'ai créé le Mur.


— Pour menacer la vie des élèves ?


— Pour vous attendre. Memphis était le passage obligatoire des descendants du Flamboyant. J'ai appris le mariage de Catherine à Charles l'année d'après, j'ai compris que leur union n'était qu'un moyen de la garder sous silence. Plus tard, Philippe et Adélaïde, puis Scott et Voseire chacun avec des femmes sorties de la bourgeoisie française. Les enfants sont nés les uns après les autres. J'ai observé. J'ai attendu. Le Mur est devenu, pendant ce temps-là, une tradition. Mais c'était une tradition qui vous était destinée, un cadeau de ma part.


— Pourquoi nous ?


— Détruire votre lignée. Prendre à ce cher Philippe ce qu'il avait de plus cher. Quand j'en aurai fini avec lui, je m'attaquerai à Charles. Puis à Voseire, cet enfoiré qui a agi dans l'ombre et a tout planifié. Vos familles n'auront plus d'avenir sans leurs enfants. Ils se ruineront et le Flamboyant ne deviendra qu'un lointain souvenir.


— Vous êtes un malade.


— Ce sont eux qui m'ont rendu malade, Emma.


— Vous ne parviendrez pas à vos fins. On vous retrouvera avant que vous ne puissiez toucher à quelqu'un d'autre.


— J'aurais pu te tuer à tout moment sous le nez même des hommes de Restrie et des bodyguards de ton père. Il suffit de détourner l'attention, de se fondre dans la foule. De devenir quelqu'un d'assez pauvre et humble pour qu'ils s'en désintéressent. Vous tomberez comme d'autres sont tombés avant vous, avant même que vous ne puissiez lever la tête pour savoir qui vous tire dessus.


Avant vous. Des personnes. Des élèves qui s'étaient refusés d'obéir au Mur et qui, par leur mort, avaient contribué à alimenter la tradition. Leurs fins n'avaient rien d'accidentel. La malédiction du Mur n'était rien d'autre qu'un crime déguisé. Il y avait derrière elle un tueur. Quelqu'un qui n'hésiterait pas à appuyer sur la gâchette.


Quelqu'un qui n'attendait que ça, d'ailleurs.


— Je ne vous laisserai pas faire.


Il éclata de rire.


— Toi ? Princesse, tu ne seras même plus là pour entendre leurs cris d'agonie.


Elle ferma brièvement ses paupières. "Je reviendrai", avait-elle promis à ses frères. Plusieurs fois elle l'avait dit. Comme pour se convaincre elle-même que c'était vrai. Mais une part d'elle savait que ce moment arriverait. Elle avait échappé trop de fois à son sort, elle avait survécu trop longtemps. Elle avait couru, couru pour essayer de semer la mort. Mais aujourd'hui elle était fatiguée.


— Je n'excuserai jamais le crime de mon père, souffla-t-elle. Mais en voulant rétablir la justice, vous ne faites que reproduire sa monstruosité. Vous n'êtes pas mieux que lui.


— Je n'ai jamais prétendu le contraire.


Elle fixa le Mur. Son sort avait été fixé le jour où on avait écrit son nom sur cette paroi. Donc c'était ainsi que sa vie devait prendre fin ? Aussi simplement ?


— Un dernier mot ?


Non, non elle n'était pas prête. Thimothé, Diego, ils l'attendaient, elle leur avait promis. Elle devait rejoindre Simon, lui demander pardon, lui dire qu'elle l'aimait et qu'elle voulait passer sa vie avec lui. Retrouver Erwin, le serrer dans ses bras, retrouver Madden, Lucas, Raven, même Alexandre. Embrasser une dernière fois William, ce garçon qui avait grandi à ses côtés et qui la connaissait mieux que quiconque. Elle voulait quelques heures de plus, histoire de partir le cœur léger. Ou ne pas partir du tout. Pas encore, voulut-elle hurler. Oui c'est vrai, à plusieurs reprises elle avait voulut mourir, ne plus exister, mais ce n'était pas sérieux, elle ne l'avait pas vraiment désiré.

Pitié.


— Alors ? la pressa-t-il.


Elle cligna des yeux mais aucune larme ne s'échappa.


— Allez vous faire foutre.


Puis il tira.


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