Chapitre 3 : Béquillou

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 Dans mon lit, je me retourne, enlace mon oreiller et replonge dans ce sommeil qui m’enveloppait précédemment de toute sa tendresse… Malheureusement comme toutes bonnes choses, elles ont une fin.

 — Marie réveille-toi ! TU VAS ÊTRE EN RETARD. MARIE !

Bon sang, mais comment peut-on avoir une voix aussi agaçante. Je n’ai même pas le temps d'émerger. Ma mère recommence.

 — MAAAAARIE TU TE DÉPÊCHES !

 J’ouvre la bouche mais rien ne sort. La porte de ma chambre s’est déjà ouverte. Et là, c’est une tout autre histoire. La voix a changé et elle est beaucoup plus grave à présent. Face à mon père, j'ose à peine bouger. Sans me regarder, il m'aboie l'ordre de me dépécher. Comme à chaque fois qu'il hausse le ton, je suis terrifiée et mon corps se raidit instantanément. De toute sa supériorité, il me terrifie, je dirais même qu'il me fait froid dans le dos. Le moindre faux pas et je risque d’attaquer la journée avec une belle dérouillée.

 Ouf, il s’en est allé. Un peu de répit, le temps pour moi de me préparer et de discipliner cette affreuse tignasse. Je donne quelques malheureuses tentatives de fer à lisser, mais rien à faire. Il est 7h30 et je dois vite retrouver mon père qui m’attend déjà en bas. Une minute de plus et je frôlerai sa détestable crise de nerfs et son célébrissime serrage de dents.

 Je descends les quatorze marches de l’escalier plus vite que je ne l’avais fait jusque-là. Je glisse — m'étale à la dernière marche et m’écrase, flanc contre la porte, bras en vrac, genou râpé. Il me fixe, figé, l’air dépité, puis détourne les yeux, comme si ma chute l’avait trop gêné pour être regardée. J’attrape mon sac par l’une de ses anses, me regarde furtivement dans le miroir du salon. Je suis absolument hideuse. Avec cette tête-là, je risquerai de faire peur à un enfant. Désespoir. Pourquoi suis-je si laide ? Et pourquoi dois-je porter cette affreuse parka ? Je les hais !

 8h45 : l’heure de retrouver mes copines dans la cour de récréation. Comme à l’accoutumé, les potins vont bon train et nous nous racontons chacune notre week-end. 9h : la sonnerie retentit et nous regagnons bruyamment nos classes respectives.

 Comme prévu, la première heure de la matinée est destinée à ce bon vieux Victor Hugo. La lecture des questions du devoir me donne la soudaine envie de m’arracher les cheveux.
Bien évidemment, je suis navrée de constater que je ne me rappelle pas de tout. Quelle bécasse : j’ai lu ce livre il y a 24 heures à peine…
Dernière question de l’évaluation : comment se nomme l’amour de Cosette ?
Bon sang ! Mais c’est vrai ça ! Comment s’appelle-t-il celui-là ? Et d’ailleurs comment s’appelle le mien d’amour ? Pathétique, je suis pathétique. Je ne sais même pas pour qui bat mon cœur. Alors comment savoir pour qui bat celui des autres ?

 — Marius ! m’entends-je crier.

 Immédiatement, je mets les mains devant ma bouche. Je crois que j’ai pensé beaucoup trop haut. Tous les regards de la classe se tournent vers moi, dont celui de ma professeure. Beaucoup trop menaçant à mon goût.

 — Moins 3 points sur ton devoir ! La prof n’y est vraiment pas allée de main morte ! En même temps, quelle idée de crier la réponse en pleine évaluation ? m’interroge Andréa de ses grands yeux verts.

 Des miens, je la regarde en la suppliant d’oublier cette honteuse scène. À sa bouche en coin je suppose qu’elle s’inquiète, mais elle m’aime beaucoup trop pour continuer d'insister. Dans un silence presque mortuaire, nous arrivons en salle de permanence. Je m’assoie seule, comme tous mes camarades, mais bien devant, histoire de me sentir complètement isolée. Cette journée commençait déjà mal en me levant et elle finit par se confirmer. Mon stylo encre à la main, j’attaque mes devoirs de la semaine. Je dois absolument récupérer les points perdus précédemment.

 Quelques minutes plus tard : BAM ! Un vacarme. Des cris. Des pas qui résonnent. La surveillante ? Dépassée. Ça déboule. Une marée d’élèves. Trop. Beaucoup trop. Fini le calme. Fini le bureau rien qu’à moi.

Clac.
Un bruit. Léger. Sous ma chaise.
Clac-clac.
Ça s’accélère.
CLONG !
Un choc. Fort.
Mon corps se fige. Mon instinct hurle : surtout ne bouge pas.
Et là…

 — Je peux m’asseoir à côté de toi ?

Mon rythme cardiaque s’emballe, mes épaules se contracctent, je suis totalement paralysée. Les tintements métalliques m’aident à revenir sur terre. Après quelques secondes je réponds oui de la tête.

 — Merci, me répond cette voix quasi inconnue.

 La tentative de mon voisin à s’asseoir est laborieuse. Aidé par deux béquilles, il a du mal à se stabiliser. Sans m’en rendre compte, je l’aide à tirer sa chaise et à lui déposer l’attirail à nos pieds. En me baissant, j’aperçois qu’il a un plâtre à son pied droit. Je remarque également les petits mots écrits dessus et je l’imagine entouré d’une panoplie d’ami(e)s. Déjà, je l’envie.

 — Excuse-moi je ne me suis pas présenté la dernière fois que l’on s’est vu. Je m’appelle Thomas et toi ?

Nos regards se croisent et mon corps s'embrasent. Sentant le rouge qui me monte aux joues, je feinte de chercher quelque chose dans ma trousse et lui réponds avec le peu de courage qu'il me reste.

 — Ma humm — je tousse — Marie. Fnis-je par dire, quasi inaudible.

 D’un sourire à m’en tomber à la renverse, il me répond simplement : « Enchanté ».

 J’ai du mal à regagner mon souffle. Rien, il n’y a plus rien autour. Ni les regards assassins des filles de l’assemblée, ni les yeux surpris de mes amies. Lui et moi, simplement. Je le regarde surprise, il me regarde amusé et s’engage une discussion que je ne contrôle plus. Pendant l’heure qui vient, nous profitons de l’incapacité de la surveillante à gérer ce vacarme pour discuter. Il m’explique qu’il joue au football et que c’est la raison pour laquelle il est venu s’inscrire dans ce collège. D’ailleurs, c’est lors d’un entrainement qu’il s’est fait cette vilaine blessure au pied droit. Il me raconte qu’il a une sœur et un chat, Roméo. Le belâtre me pose quelques questions comme : le nombre de mes frères et sœurs, ma matière préférée à l’école ou bien encore le sport que je pratique. Naturellement, je lui réponds et étonnement je me surprends à lui confier que je suis la benjamine de 5 sœurs, que l’EPS est ma matière préférée et que je pratique la course à pied depuis que j’ai l’âge de courir.

  Ce premier échange entre lui et moi… Tellement plus simple que cette fichue interrogation sur Victor Hugo. Qui l'aurait cru ? Moi, Marie, en train de parler avec Thomas. Thomas ! L’élu. Le plus beau garçon du bahut. Et surtout… celui qui fait battre mon cœur. Et vu sa manière de se pencher vers moi, ce petit sourire en coin, ses yeux noisettes qui accrochent les miens — il semble vraiment s’intéresser à moi. Ce n’est pas juste une impression. Ce regard, ce geste, cette façon qu’il a de passer une main dans ses cheveux, comme s’il voulait me plaire… Ça me fait tourner la tête.

Thomas, voilà la réponse de l’une de mes questions de la veille. Thomas, voilà le prénom de la personne pour laquelle bat mon cœur. Thomas, voilà l’antidote à tous mes maux.

Finalement, cette journée est fantastique, et Victor Hugo est peut-être sympa après tout.

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