Chapitre 7 : La rose et l'armure
Et puis, ce jour, le jour de son enterrement. Il faisait très beau, le soleil tapait fort, trop fort.
Sabrina et moi, nous sommes montées en voiture avec ma sœur Natacha qui semble toujours dans les nuages et son mari de l'époque, Benoit. Celle-ci pleurait, elle regrettait son passé avec mon frère qui n’avait pas été très glorieux. Là aussi, j’ai très vite compris, que c’était trop tard.
D’abord, nous sommes allés à la morgue. Quand j’y pense c’est horrible ce mot. Il n’aurait pas pu choisir autre chose comme : endroit de recueillement, ou dernier aurevoir, par exemple.
Alors je suis entrée dans cette petite pièce, très éclairée, toute blanche. Et lui, oui, lui… sur un lit d’hôpital. À ma droite, les yeux clos. Beaucoup de monde était autour. Sa mère à son chevet, le regardait. Et moi indécise ne sachant que faire. Je me suis postée devant à le contempler. Il avait son pull favori, qu’il portait souvent, avant.
Sa mère le couvrait de baisers et je trouvais ce spectacle effroyable. Néanmoins, j’ai voulu le toucher pour lui laisser une dernière marque et surtout pour ne pas regretter. De ma main, j’ai touché sa joue gelée. J’avais comme l’impression qu’il était fait entièrement de glaçons, je ne comprenais pas vraiment. Je me disais simplement, que cela devait se passer lorsque l’on mourrait.
Ensuite, on a dû tous partir, car ils, ces hommes en noir, devaient l’enfermer, le mettre dans son cercueil, le couper du monde car lui maintenant n’en faisait plus partie. Il n’avait plus le droit d’être avec nous, car lui contrairement à nous, son cœur ne battait plus, il ne respirait plus, il ne pensait plus. C’est à cet instant précis que j’ai vu la mort, que je l’ai comprise tout du moins, que je l’ai haï au plus profond de mon être. Une nouvelle fois, je m’effondrai, on l’emprisonnait comme un lion en cage, sauf que là je ne le verrais plus jamais. Et rien qu’à cette pensée je fus dangereusement triste. Oui dangereusement, car après cela, moi, je n’étais plus une enfant. J’avais grandi beaucoup trop vite en une seule journée.
Puis, ce fut le passage à l’église, je crois que je n’avais jamais vu autant de monde. Beaucoup de gens attendaient dehors, ne pouvant entrer dans l’enceinte. J’étais au premier rang, à côté de papa et je le regardais du coin de l’œil. J’attendais une expression de sa part, un signe, mais rien, comme d’habitude il ne laissait absolument rien paraître. À cette époque, je pensais qu’il n’avait pas de cœur.
Ses collègues de boulot passaient devant nous, et le regardaient très attristés. Il acquiesçait en guise de merci, "merci d’être venu, de compatir".
Deux chansons retentirent, chansons choisies par ma sœur Nathalie — encore une sœur — mais sa vraie soeur. Une chanson dédiée, et une autre racontant ce qu’est le rôle d'un frère et de ce que cela fait de le perdre. Une chanson tout à fait pertinente mais qui me piquait, touchait, tuait de l’intérieur.
Place ensuite, à la mise sous terre. Chacun des proches déposait une rose sur son nouveau logis. Je pleurais encore, dans les bras de Nathalie, celle avec qui je n'avais encore jamais partagé de câlin jusque-là.
Et tout cela sous un soleil de plomb.
Comment une chose si terrible pouvait elle arriver, les jours de beaux temps, les jours de fête, les jours où nous sommes censés être heureux ?
C'est dans la voiture, en rentrant, que j’ai raconté avec mon vocabulaire de CM2 cette journée sur les pages de mon journal intime flambant neuf.
Cette journée où j’ai appris que le malheur pouvait frapper n’importe quand, n’importe où, que la vie ne tenait qu’à un fil et qu’il fallait dès à présent profiter pour lui, qui n’avait pas eu le temps.
Mais c'est aussi ce jour, ce moment précis où j'ai laissé tomber cette rose que mon innocence s'en est allée à tout jamais et que ma carapace déjà bien installée est devenue impénétrable. C'est ce jour où la vie m'a brisé le cœur et que depuis, il ne s'en est jamais véritablement remis.
J'entends encore mon père dire qu’il ne veut aucune fleur artificielle sur cette tombe, et je la regarde tristement aujourd'hui, ornée de quelques pots de fleurs en plastique. Je suis déçue, mais c’est le temps après tout qui change les choses et même les gens.
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