Chapitre 16 : Il est si près de moi pourtant je ne sais pas comment l'aimer
Lundi 8 novembre
Mon cher journal,
Ces derniers temps, je ne me trouve pas gentille... Je suis souvent critique et la colère m'habite. Est-ce l'adolescence ? Ou ce que je vis actuellement. Peut-être les deux. En tout cas, je ne peux pas te cacher ce que je ressens. Si tu n'étais pas là, je suffoquerais de ne pas pouvoir m'exprimer. Mes parents je les dénigre souvent, mais crois-moi, ils le méritent.
Mon père, sans aucune gêne, ne cesse de parler d'une copine avec qui il court. Une fille beaucoup plus jeune que lui : Anne-Laure. Ma mère et moi la connaissons car elle fait partie du club de course à pied dont mon père est président. Même moi, je remarque qu'il est tout guilleret lorsqu'il parle d'elle. Je trouve ça tellement pathétique et ma mère qui sombre peu à peu. La pauvre... Finalement, je commence à comprendre son mal-être. Mais malheuresement, à cause de cela, elle est insupportable. Et parfois, elle nous fou sacrément la honte. Déjà qu'elle est excentrique, je ne te raconte pas quand elle va mal : acerbe, tarée et loufoque à la fois. Bref, passons car je redeviens méchante... et puis j'ai d'autres choses à te raconter.
J'ai enfin découvert le nom de mon supposé grand-père. Enfin... si c'est bien lui. Affaire à suivre avec ma visite prochaine à l'Ehpad, pour voir la Gaby. Finalement, c'est un nom parmis tant d'autres.
Aujourd'hui, j'ai revu Andréa. Avec sa triste mine à l'autre bout de la cour, je n'ai pas pu résister et je suis allée la voir. Comme prévu, dans les pages précédentes, je lui ai joué le jeu du : " Chez moi, c’est compliqué, la situation empire, et franchement, je n’ai pas le temps de penser aux garçons. " Et puis la suite : " Ne t’inquiète pas, je m’en fiche, c’était juste un petit coup de cœur. " Elle n’a rien répondu, comme je m’y attendais. Elle m’a juste expliqué sa trahison avec cette phrase : "Je n’ai pas pu résister au charme irrésistible de Thomas." Comme la majorité des filles du bahut, elle est tombée in love de lui. Que dire ? Nous sommes deux… autant que l’une de nous soit heureuse. En secret, je continuerai de l’aimer. C’est plus fort que moi.
À la récré, tous les regards, ce sont tournés vers eux : main dans la main. Moi, le coeur en miettes, j'ai détourné les yeux et suis partie retrouver Audrey et Agathe.
À midi, j'ai mangé chez Mimi. Depuis qu'elle m'a donné ce fichu carnet, je n'ose plus trop la regarder dans les yeux. Je ne l'ai toujours pas donné à mon père — et je ne compte pas le faire. Si je ne lui ai pas parlé de ma trouvaille, c’est parce qu’elle n’est pas vraiment sa sœur.
Enfin, tu le sais, je te l’ai sûrement déjà écrit : c’est la fille du dernier compagnon de ma mémé, Jean-Claude. Ils ont été ensemble presque vingt ans. Son père et ma grand-mère se sont rencontrés quand mon père avait huit ans, elle en avait trois. Mon père, élevé par ses grands-parents, était déjà en pension. Ils n’ont donc jamais vraiment grandi ensemble. Elle dit que c’est son frère, lui dit que c’est ma marraine. Tu vois le genre ? Un vrai enfoiré. Un peu comme son père, non ? Punaise, j’arrête… je vais finir par être mauvaise.
En résumé : elle ne sait rien de plus que je ne sais déjà.
Ce soir, ma mère et moi, nous retrouvons seules. Sabrina est chez son nouveau copain, un certain Karim. Espérant qu'il soit moins barje que son premier et moins dangereux que son dernier — il était en prison.
Dés son entrée au collége, le même que le mien, ma soeur a filé du mauvais coton. Au bout d'un an, elle a été virée et s'est retrouvée dans l'établissement publique de notre petite ville. Ça a été encore pire qu'avant. Elle a commencé à fumer — pas que des cigarettes d'ailleurs. Mais aussi : à voler, boire, découcher... C'est rajouté à la fête son comportement totalement impulsif, imprévisible et nuisible.
Depuis, elle méne ma mére en bâteau et cela contribue en la mésentente de mes parents. Mon père — qui n'est pas le sien — ne supporte pas l'attitude désinvolte de ma soeur.
Il y a quelques mois, c'est même parti en sucette. Sa chambre était tellement sale et désordonnée qu'il a tout foutu par la fenêtre. Sabrina a voulu se la jouer rebelle avec lui. Et mon père qui ne sait s'exprimer avec nous que par les coups lui a foutu une vraie torgnole — sans grande surprise. Ça a beuglé dans tous les sens dans cette baraque. Ma soeur lui a carrément pointé un couteau. Tous des dingues !
Aussi, il est inutile de dire que nous sommes tranquilles, du moins pour ce soir. Quand elle est seule, ma mère est une autre personne, presque comme une vraie maman. Avec ses cheveux courts d'un noir corbeau, elle fait deux têtes de moins que moi. Elle se tient aussi droite qu'un piquet, sûrement pour paraître plus grande qu'elle n'est. Ses traits du visage sont fins, mais déjà bien ridées. Elle a cinquante-trois, et moi treize, quarante ans d'écart : deux générations nous sépare, comme bien d'autres choses. Pour autant, nous arrivons quelque fois à nous retrouver, comme ce soir-là...
Il est vingt heures quand je la vois se servir un café. Elle ouvre le tiroir du meuble ancien de notre cuisine et en retire une petite pochette. À l'intérieur, un jeu de cartes, mais pas n'importe lequel : un Oracle. Quand elle ne va pas bien, ma mère se tire les cartes. Intriguée, je la regarde faire et ne vois pas ce qu'elle peut comprendre à un dix de pique qui recouvre une dame de la même famille. Malgré tout, son jeu est noir. D'un geste rapide, elle balaie la table tout en récupérant les cartes. Elle me regarde et me demande si je souhaite un tirage.
Surprise, je ne me fais pas prier, cela fait des années que j'en rêve.
Tout d'abord, elle mélange le jeu tout en me demandant de penser à ma question. Euh...Quelle est ma question ? Bon, je vais opter pour : vais-je rencontrer l'amour ?
— Quand tu auras terminé, tu me dis stop, dit-elle.
Au bout d'une minute :
— Stop !
Elle me demande de couper le jeu de la main gauche — celle du coeur, me dit-elle. Ce que je fais. Elle me montre les deux cartes à la coupe : un valet de trèfle et un 8 de trèfle, un couple.
Pas la peine d'être voyante, j'ai compris de qui il s'agissait... Je me renfrogne. Elle déplie l'ensemble des cartes devant moi et m'invite à en choisir, toujours de la main gauche. J'éxécute. Elle me désigne comme le 8 de coeur :
— Une jeune fille blonde, me dit-elle.
Peu à peu, un jeu qui oscille entre le rouge et le noir s'installe sur la table de notre cuisine. Je suis à côté d'un 9 de pique : ça pue. Mais aussi, du valet de trèfle :
— Un amoureux sincère et gai.
Punaise, je ne sais pas où elle est allée le chercher celui-là.
Elle ne me prédit rien de bien concret, mais elle évoque des difficultés et des obstacles à affrontrer. Super ! Elle voit un jeune homme à côté de moi.
— On dirait que ce jeune homme est hésitant, me déclare t-elle.
Plus loin de mon 8 de coeur, un valet de coeur. Elle le pointe du doigt.
— Celui-ci c'est ton grand amour !
Mes yeux la regardent interloqués. Wow ! Ma tête la fait rire et nous rigolons. Le jeu se termine...
Bizarre pour une première fois. Ma foi, à voir. J'y crois sans y croire. Par ailleurs, je crois au signe. Je profite de cette acalmie pour lui poser des questions sur mon " grand-père " paternel :
— T'as déjà entendu parler de mon grand-père toi ?
— Oui bien sûr !
Je la regarde abasourdie.
— Ah bon ? je lance.
— Oui, son nom serait inscrit sur un livre de cuisine qui était à Saint-Hilaire. Husson, je crois. Après, j'ai également entendu dire qu'il s'agirait de Monsieur Hanoteau, son ancien patron. Un homme marié, me dit-elle sans détour.
— Mais attends, mon père sait tout ça. Il t'en a déjà parlé ?
— Pffff... Tu sais ton père c'est un grand menteur. Il ment comme il respire. On ne saura jamais déméler le vrai du faux. D'ailleurs, dans tes cartes, je l'ai vu à côté d'une autre femme...
Je n'écoute déjà plus et me rends bien compte qu'elle m'a tiré les cartes simplement pour voir ce qu'elle voulait voir. Dépitée, je regagne ma chambre, pleine de doutes et d'amertume.
J'allume mon poste radio CD et lance un disque que j'ai gravé quelques jours plutôt où s'échappe la chanson que j'écoute en boucle depuis quelques jours :
Il pense a moi, je le vois je le sens je le sais
Et son sourire me ment pas quand il vient me chercher
Il aime bien me parler des choses qu'il a vues
Du chemin qu'il a fait et de tous ses projets
Je crois pourtant qu'il est seul et qu'il voit d'autres filles
Je ne sais pas ce qu'elles veulent ni les phrases qu'il dit
Je ne sais pas où je suis quelque part dans sa vie
Si je compte aujourd'hui plus qu'une autre pour lui
Il est si près de moi pourtant je ne sais pas comment l'aimer
Lui seul peut décider qu'on se parle d'amour ou d’amitié
Moi je l'aime et je peux lui offrir ma vie
Même s'il ne veut pas de ma vie
Des fois, j'ai l'impression d'être aussi vieille que cette chanson tant mon coeur est déjà épuisée. Entre amour et amitié, je ne sais plus où me situer et cette quête qui me semble vaine.
Ce soir, je suis encore plus paumé que ma bien aimée Céline Dion.
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