Chapitre 18 : L'air de la montagne

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 Depuis mes dernières découvertes, la reprise de l'école a été rude. Je me pose cent mille questions et j'en dors mal la nuit. D'autant plus que l'orthodontiste vient tout juste de me resserer les bagues. Je souffre le martyr ou je ne sais quel saint.

 Dans mes rêves : des flashs d'autres époques que je n'ai même pas vécues. Autant dire que les réveils sont plus que brutaux. C'est comme si je passais d'un monde à l'autre. La chute est aussi terrible que ma tête. C'est dire !

 Les jours passent et se ressemblent, si ce n'est que mes journées sont désormais rythmées par les multiples embrouilles d'Andie et Thomas. Résultat : Thomas m'appelle tous les soirs. Si cela ravi mon coeur, je me méfie... Il est tellement épris d'elle... Ça me désole. Elle, semble plus mesurée. Les choses ne sont vraiment pas justes.

 Depuis quelque temps, je m'éloigne d'elle et reste constament avec Audrey et Agathe. Je sais qu'Andie est jalouse comme un poux, mais pour l'instant elle ne dit rien. Qu'importe !

Audrey m'arrache à ma rêverie :

—Ça te dit de dormir chez moi samedi ?

Je ne réfléchis pas longtemps :

— Grave ! On regardera le film d'horreur " La colline a des yeux ", ça te dit ? Apparement, il fout vraiment les chocottes, j'adore !

— Trop ! J'ai hâte Mariiiiie ! Mon père va être trop content de te voir.

Cette perspective des jours à venir m'enchante, quand je me rappelle soudainement que mon père m'a planifié un cross ce dimanche. Arfffff, l'enfer sur terre !

— J'ai oublié, je reprends, j'ai un cross dimanche. Si tu veux, je viens vendredi soir jusqu'à samedi après-midi.

— C'est encore mieux, me dit-elle, on accompagnera les " footeux " à leur entraînement comme ça.

 Je réponds par la positive et reste songeuse. J'avais presque oublié : chaque vendredi, après l'école, mes copines font un détour pour rentrer chez elles et passent par la case football. En clair, elles accompagnent les garçons à leur entraînement de football. Ce moment-là, c’est un peu le repaire des ados en quête de sensations fortes. Depuis quelque temps, il se murmure qu’il y a de l’alcool, des clopes, et même des histoires de flirt qui vont un peu trop loin. D'un côté je suis curieuse. J’aimerais voir de mes propres yeux ce qui s’y passe, comprendre ce qui attire tant mes copines. Mais de l’autre, je sais que je ne suis pas comme elles. Je me fais confiance : je ne ferai rien qui pourrait me compromettre. Pourquoi ? Je ne sais pas exactement. Peut-être parce que je veux rester fidèle à moi-même. Je n’ai pas envie d’être une fille qu’on regrette d’avoir été. J’ai, malgré moi, un petit côté fière. Et ça, c’est au moins quelque chose que j’ai pour moi : la dignité.

 À midi, comme à l'accoutumé, je mange chez Mimi. Mimi, la soeur par alliance de mon père, mais aussi : ma tante, ma marraine et ma nounou depuis que je suis née. Pour moi, elle est comme une deuxième maman, un peu comme ma soeur Élisabeth.

 Depuis que j'ai l'âge de me créer des souvenirs, Mimi et son mari Alain, ainsi que leurs trois enfants : Vincent, Virginie et Julien, m'embarquent avec eux dès qu'ils le peuvent. Destination : la montagne, dans leur chalet. Mon endroit préféré au monde. Souvent, ils louent le haut, et nous, nous sommes en bas. C'est étroit pour six, mais à l'intérieur nous sommes comme une grande famille, la mienne le temps d'un instant. Ce chalet est fait tout de bois, du sol au plafond et je ne sais pour quelle raison, cela confére au lieu un côté magique. J'aimerais y passer le reste de ma vie. Là-bas, inutile de dire que l'on s'occupe de moi : Virginie me fait des nattes, Mimi des plats gourmands, Alain m'emméne pêcher ou skier selon la saison, et le reste du temps, les garçons, beaucoup plus âgés que moi, jouent avec moi. C'est mon paradis sur terre et je promets qu'un jour, moi aussi j'aurais un chalet et même un 4x4, comme eux : ma famille de rêve.

 Souvent, Mimi, et quelques fois Alain, quand il est là, parlons de "Picheronde". En vérité, c'est Picherande, mais petite je n'arrivais pas bien à le prononcer alors c'est resté. Nous parlons aussi des " pêtards " pour dire les " tétards " car j'avais également du mal avec ce mot-là. Encore aujourd'hui, ça les fait rire.

 Ces derniers temps, Mimi tousse beaucoup. En même temps, elle fume beaucoup trop et elle ne fait pas très attention à son poids. Ma Mimi est grosse, mais c'est comme ça que je l'aime.

Ce midi-là, Mimi me regarde bizarrement de ses yeux bleu azur. Elle tousse une nouvelle fois, puis dit :

— J’ai croisé ton père hier. Une coïncidence ! Il était étonné quand je lui ai parlé du carnet. Il ne voyait pas du tout de quoi je parlais...

Silence. Mes yeux s’écarquillent.

— Ne t’en fais pas, je ne t’en veux pas. De toute façon, il m’a dit qu’il s’en fichait, qu’il n’en voulait pas. Ton père… Rien d’étonnant.

Je reste figée, puis j’ose une question :

— Tu savais qu’il avait été malade ?

— Bien sûr. Quand mon père s’est mis avec ta grand-mère, ton père était déjà à Job.

— Job ? je demande, intriguée.

— Mais Marinette, tu n’es pas au courant ? Vous ne parlez jamais, ton père et toi ?

— Bah… non.

— En même temps… je suis bête. Ça ne me surprend pas. Tu sais, tu peux me parler à moi, te confier. Tu es grande maintenant, et je te promets de répondre à toutes les questions que tu me poseras.

Sans m’en rendre compte, mes épaules se relâchent. Pour la première fois, je sens que quelqu’un va m’aider dans ma quête.

Elle commence alors son récit :

— Job, c’est la ville où ton père a séjourné pendant sa maladie. En 1963, à huit ans, il a attrapé une sorte d’angine, selon les médecins. Mais son état s’est vite aggravé : ses chevilles et ses jambes ont enflé, les douleurs abdominales sont devenues insupportables. Finalement, c’était bien plus grave. Une forme de leucémie, je crois : une purpura rhumatoïde aiguë.

Je l’écoute, suspendue à ses mots.

— Il a d’abord été hospitalisé à Chamalières, puis à l’Hôtel-Dieu, là où tu es née. Tu vois où c’est ?

— Oui, je réponds, en attendant la suite.

— Il y a passé l’hiver, même Noël. Les médecins lui ont administré un sérum pendant vingt-quatre jours. Et c’est à ce moment-là que ta grand-mère lui a révélé qu’il avait un père. Jusque-là, Patrick pensait que le sien était mort.

Je suis bouleversée. C’est comme si elle me parlait d’un inconnu.

— En 1964, il a été transféré à l’aérium "Les Mélèzes", à Job. Une sorte de confinement. Les visites étaient limitées à une fois par mois. Il n’avait que huit ans… Ce n’était pas simple. Il est revenu à la vie normale vers dix ou onze ans, en décembre 1965, pendant les élections présidentielles.

Je reste totalement abasourdie. Cependant, je ne perds pas le Nord et lui pose cette question qui me tarode depuis un bail :

— Mais toi, tu sais qui c'est mon grand-père ?

Chose surprenante elle se met à rire.

— Ma pauvre, personne ne le sait. Ta grand-mère : une vraie tombe. Par ailleurs, elle a laissé supposer des choses, comme si elle aimait semer le doute... Une femme particulière ta grand-mère, même si je l'aimais bien. Ce que je sais, c'est qu'elle le surnomait "Bob", lorsqu'elle parlait de lui. Me concernant, j'ai toujours pensé qu'il s'agissait de son patron : Monsieur Hanoteau, parce qu'il ressemblait drôlement à ton père.

— Pourtant, ma mère et Nathalie m'ont raconté que ma grand-mère aurait laissé son nom dans un livre de cuisine. Je l'ai justement retrouvé et ce n'est pas Hanoteau qu'il y a d'inscrit mais Husson.

— Ah oui ! J'en ai entendu parler. Tu vois bien que c'est tiré par les cheveux !

— Mouais.

— L'entreprise où travaillait ta grand-mère existe toujours. Si tu veux, on ira se renseigner.

Sans une hésitation, j'accepte la mission.

En sortant de chez Mimi, je suis troublée mais aussi réconfortée d'avoir trouver une allié dans ma quête. Avec elle à mes côtés, je me sens rassurée.

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