Marche ou rêve
de
Alexandre26

— Je pense ? Je dors ? Pourquoi je vois rien ?
— Ooooohhh… pourquoi y a autant d’écho ?
— Y’a quelqu’un ?
— Oui oui, y a quelqu’un.
— Aaaargh ! Pourquoi je vous vois pas ?
— Ben j’sais pas moi… Ouvrez les yeux, pour commencer.
— Quoi ?
— J’dis : ouvrez les yeux, parce que c’est quand même chelou de parler à un type debout les paupières soudées…
— J’ai peur.
— Peur de quoi ?
— J’ouvre les yeux et… soit vous êtes ultra moche, soit vous êtes un monstre horrible qui attend juste que je cligne des yeux pour me croquer l’âme…
— Aaah… Voilà pourquoi c’est noté “Dossier compliqué” en rouge.
— Dossier compliqué ? Je vous permets pas monsieur ! D’abord, vous êtes qui et pourquoi vous êtes dans ma chambre ?
— Okaaaay… un drôle d’oiseau, celui-là. Bon écoutez, j’ai une éternité de boulot et pas l’éternité de temps, donc on va compter jusqu’à trois, et vous ouvrez les yeux. Un… deux… trois…
— Non. J’ai pas confiance. Je reste là.
— Vous… vous restez là ? En plein milieu du passage ? Mais vous savez même pas où vous êtes !
— Justement. Et c’est très bien comme ça. Tant qu’il se passe rien, ben… il se passe rien.
— Okay… en fait vous n’êtes pas original, vous êtes juste complètement…
(bruit de corne)
— Je suis quoi ?!?
— Nouveau ici, hein ? Ici, impossible de dire des gros mots.
— Genre… bande de (corne) ! Espèce de mangeur de (corne) ! Vous êtes tous des cacapouillis !
— Ah tiens, “cacapouillis”, ça passe. Intéressant.
— Monsieur, j’appelle la sécurité angélique.
— Sécurité… angélique ?? Non non non, ok, c’est un rêve et j’ai été trop loin. C’est ce curry pas frais, j’en étais sûr. J’y vais.
— Aaaargh ! Baissez cette lumière, bande de fada ! (…tiens, “fada”, ça passe aussi.)
Une fois que mes yeux se sont habitués à la blancheur, je compris que la situation était, comment dire… flippante.
Des pancartes sur les murs :
“Welcome.” “Bienvenido.” “Shalom.” “T’es pas mort, t’es en transit.”
Super rassurant.
Au centre, un bureau, envahi de dossiers empilés jusqu’au plafond.
Derrière, un petit homme barbu, des lunettes rondes au bout du nez, en train de fouiller dans une montagne de papiers comme s’il cherchait les clefs de l’univers. Ou une agrafeuse.
Il ne leva même pas les yeux.
— Alors… nom, prénom, date de naissance, numéro de sécu, taille de caleçon, signe astrologique…
— Y’a une des questions, c’est une blague ?
— Oui. Le numéro de sécu. Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ici ?
— Et la taille du caleçon ?
Il me lança un regard torve, presque prédateur.
— Ça, ça viendra plus tard. Mouahahaha…
Il se racla la gorge.
— Pardon. J’ai besoin de vacances.
Il tamponna un dossier. Puis un autre.
Puis il s’arrêta net.
— Ah. Voilà. C’est bien ce que je craignais. “Dossier sensible, Alexandre G . Code 17-B.”
— Code 17-B ? Ça veut dire quoi ?
Il leva lentement les yeux vers moi.
— Ça veut dire… entre deux mondes. Pas tout à fait mort, pas tout à fait vivant. Pas prêt à lâcher prise.
Un long silence.
— Vous êtes actuellement dans… la Salle des Transits.
Il fit un geste large.
— Ici, on trie les âmes. Les âmes compliquées. Les rebelles. Les traumatisés. Les fuyards.
— Charmant , charmant avec sa je prendrai un menu xl avec un coca s’il vous plaît ?
Il soupira.
— Et sarcastique, en plus. Parfait. On va bien s’entendre. Bon, je vous lis les options.
Il prit un petit dépliant “welcome to the paradis paradis ou presque" :
— 1. Réincarnation aléatoire. (Déconseillé pour les allergiques au gluten.)
2. Retours temporaires : cauchemar, rêve prophétique, hallucination induite.
3. Rappel en mission. Cas rare. Nécessite validation du Conseil et de Jésus. (Lui-même.)
Ou option D vous nous faites confiance
Il me regarda comme un proviseur fatigué par un élève qui a mangé du LSD.
— Votre dossier a été rouvert parce qu’il y a eu un déclencheur. Une faille. Un choix. Et une promesse… non tenue.
Là, je déglutis.
— Quelle promesse ?
Il posa un doigt sur un vieux dossier relié de cuir.
— quelqu’un à plaider pour vous
— Et sinon, on capte Netflix ici ?
Il ne rit pas. Il appuya sur un bouton sous son bureau. Une porte s’ouvrit, toute blanche. Avec écris au dessus option D …
- et je fais quoi maintenant?…ohoooohhhh monsieur le barbu c’est pas que je n’aime pas franchir des portes multidimensionnelles qui vibres mais je ne vous cache pas l’idée que je fais un peu dans mon froc … c’était pour sa la taille du caleçon ?? Ohohhhhh
- Eeennnnttrreee mon enfant suit la lumière divine et que chaque pas que tu fasse te rapproche un peu plus de moi …
- Dieu c’est toi ???
- Non c’est toujours moi le vieux barbu je deconnais Ahahha en vrai avance tu fait bouchon
- … la porte ce rapprocha de moi et je la traversa un peu contre ma volonté et quand je rouvrit les yeux j’étais dans des wc ..je dirais ceux d’un restaurant nu comme un verre et devant moi des vetements plier avec un petit mot dessus griffonner “ je t’avais dis qu’il me fallait ta taille de caleçon moahahahha”
- Une fois enfiler je ressembler à un pingouin avec c’est vêtements du dimanche .. quand j’ouvris la porte la salle étais remplis de monde assis à table dans un brouhaha les serveur courrait dans tous les sens et jeu même pas le temps de comprendre qu’on me mis un plateau en main en me gueulant dessus table 4 allez allez chaud et sans même réfléchir je mis dérogea comme si je connaissais la salle et ce métier
- Serveur serveur on est prêt à commander
- Hein quoi ??
- je me retourna et là un autre serveur ce rapprocha de moi t’inquiète alex je m’en occupe toi gère l addition de la 18 … sa tête sa voix me disais quelque chose
- …je le regardai avec des yeux ronds, le cerveau en PLS.
— Attends… tu m’as appelé comment ?
— Alex. Il me fit un clin d’œil. Comme toujours. T’as oublié ou quoi ?
Il fila entre deux tables avec l’aisance d’un gars qui connaissait le plan de salle comme sa poche. Moi, je restais planté là, avec mon plateau vide, habillé comme pour un enterrement de première communion.
- Table 18… Table 18… je répétai comme un robot, en regardant autour de moi.
- Les gens mangeaient, riaient, buvaient. D’autres pleuraient. Certains étaient seuls, d’autres en famille, en couple. Il y avait toutes les époques, tous les styles. Une femme en sari parlait avec un gars en treillis militaire. Deux enfants jouaient à cache-cache sous une nappe. Une vieille dame tricotait, tranquille.
Je le fixais encore, ce serveur au sourire en coin, cette voix qui me parlait comme si on se connaissait depuis toujours. Et puis il s’éloigna, se mêlant à la foule.
Je pris une grande inspiration et me remis en mouvement. Plateau en main, je filai entre les tables. Automatiquement. Comme si mon corps savait quoi faire, pendant que ma tête flottait à des kilomètres.
Et c’est là, au moment de passer près du comptoir, que je l’entendis.
— Alors c’est l’histoire d’un mec …
Je m’arrêtai net.
Sa voix. Un mélange de gouaille et de tendresse. Comme une gifle suivie d’un câlin.
Je tournai lentement la tête. Il était là, derrière le bar, une serviette jetée sur l’épaule, un verre à essuyer qu’il ne rincera jamais.
Coluche.
Pantalon trop large, bretelles pendantes, t-shirt jaune vif. Et ce regard, mi-facétieux, mi-grave. Le mec qui t’avait déjà tout compris rien qu’en te regardant.
— Bah alors, Alex, t’as vu un fantôme ?
Il rigola tout seul, s’alluma une clope (même ici ?!), et reprit :
C’est l’histoire d’un mec…
Le brouhaha de la salle m’empêchait d’entendre. Alors il parla plus fort.
— C’est l’histoire d’un mec !
D’un coup, silence. Même les verres ont arrêté de trembler. Il était là, debout sur une table bancale, veste froissée, sourire en coin, les bras ouverts comme un vieux Christ fatigué.
— C’est l’histoire d’un mec qui passe sa vie à vouloir prouver qu’il vaut quelque chose. Il court partout, il tombe, il gueule, il se relève. Et le jour où il croit qu’il a compris… paf. Rideau.
J’ai cligné des yeux. C’était pas possible.
— Attends… t’es Coluche ?
Il haussa les épaules, comme si c’était une connerie parmi d’autres.
— À c’qu’on dit, ouais. Enfin, j’suis plus en service depuis longtemps, mais j’fais des extras pour les cas perdus. Et toi, t’es le pompon.
— T’as pas changé.
— Toi non plus, t’as l’air aussi perdu qu’un curé dans un bordel.
Il sauta de la table, les bottes résonnant sur un sol qui n’existait pas vraiment. J’aurais juré qu’on flottait, mais ici, même les lois de la physique ont pris leur RTT.
— Allez viens, faut que j’te montre un truc. C’est pas grand-chose. Juste un coin où les gens pleurent sans faire de bruit.
On a marché. Enfin… on a glissé, je crois. J’avais les jambes molles, l’impression d’être un rêve qui tient debout.
— Tu sais, ici, y a pas d’jugement. Pas d’Dieu qui gueule, pas de diable au fond d’un puits. Juste des gens. Comme toi. Comme moi. Des mecs qui ont couru toute leur vie sans jamais s’arrêter pour respirer.
Il s’est tourné vers moi. Son regard n’était plus drôle.
— C’est ça ton vrai crime, p’tit gars. T’as cru qu’il fallait souffrir pour mériter. Qu’il fallait porter la croix de tout l’monde. Tu sais ce qu’ils ont tous en commun, ceux qui passent ici ? Ils ont tous cru qu’il fallait courir pour exister. Alors ils ont couru : après l’amour, après l’argent, après les likes, après les autres. Et un jour, leur corps dit “stop”, leur cœur dit “j’ai mal”, et leur âme… ben elle débarque ici, avec un ticket à la main et des cernes longues comme le bras…
— Bon. C’est pas tout ça, mais moi, j’ai du boulot. Tu crois quoi ? L’au-delà, c’est comme un resto en plein coup de feu. Si tu traînes trop, y a plus de place.
Il m’a tendu la main. Je l’ai serrée, machinalement.
— Attends, tu pars comme ça ?
Il tira une dernière latte de sa clope, qu’il écrasa nulle part.
— On dirait pas, mais le service ici, c’est du non-stop.
Il me lança un clin d’œil.
— Et toi, t’as un monde à emmerder de nouveau. Doucement, hein… pas la peine d’foncer comme un bourrin dès la première marche.
Je souris malgré moi.
— Merci. Enfin… je sais pas trop ce que je dois dire dans ce genre de situation.
— “Merci”, c’est bien. “À la prochaine”, c’est mieux. Ici, on fait des allers-retours sans prévenir, c’est comme les grèves SNCF, sauf qu’on a de l’humour.
Il se redressa, rajusta ses bretelles pendantes comme si ça comptait encore.
— Ah, et au fait… évite les plats en sauce pendant un moment, ça t’a pas vraiment réussi la dernière fois.
Je secouai la tête en rigolant.
— Même ici, on me parle de bouffe.
— Faut bien garder les bonnes habitudes. Allez, file avant que je te colle un tablier pour de bon, serveur céleste.
Il leva la main comme pour me saluer, puis ajouta en se retournant :
— Et si tu recroises un vieux barbu qui te demande ta taille de caleçon… cours. Crois-moi, j’connais le lascar.
Il éclata de rire avant de disparaître entre deux tables, emportant avec lui cette légèreté qu’il savait si bien balancer même au milieu de l’absurde.
Je restai un instant immobile, un poids un peu plus léger sur les épaules. Un rire me chatouilla la gorge.
Puis je pris une inspiration.
Et je marchai vers la porte.
Des milliers d'œuvres vous attendent.
Sur l'Atelier des auteurs, dénichez des pépites littéraires et aidez leurs auteurs à les améliorer grâce à vos commentaires.
En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.
Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion