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Le monde semblait se résoudre à cette voix de reproche qui terrifiait et agaçait Doc en même temps.

Un rendez-vous, Doc, un rendez-vous !

— Je ne prends pas de nouveaux patients ! Dégagez ! C’est la mode, tous les médecins sont surbookés, même les inactifs, ceux en vacances, les morts…

Un rendez-vous ! Vous devez donner un rendez-vous ! De gré ou de force vous le donnerez !

— Jamais ! Vous n’en aurez pas ! protesta Doc, avec l’énergie du désespoir.

Un rendez-vous, Doc ! Vous devez donner...

— Je suis un Doc Libre, je ne suis pas un numéro ! clama-t-il, brandissant le poing.

Effarée, Sylvie se précipita vers Doc, descendu de voiture et courant sur la chaussée. Se précipitant pour le rattraper, elle le tira pas le bras.

— Hé Doc ! T’es complètement barré ! À qui tu parles ?

— Pas de nouveaux patients ! Pas de…

— Hé ! Allô ! Mais allô quoi ?

— Hein ? Tu me dis quoi ?

— Mais enfin qu’est-ce qu’il te prend ?

— Ben t’as pas entendu la voix ?

— Mais quelle voix ? C’est le bruissement de branches de cette forêt pourrie qui tombe en décomposition… Il n’y a rien.

— C’était la dame blanche ! Une vielle bique qui avait décidé d'avoir toutes les maladies du livre. Elle voulait toutes les faire... Je l'avais virée... Elle revenait toujours... Elle me hante ! Elle veut ma peau ! On ne peut pas tout soigner ! beugla Doc.

— Il n’y a personne, je te dis ! Juste une nappe de brume ! C’est vraiment hyper humide par chez vous. Je vais attraper un rhume moi, avec ces conneries.

— Bordel ! Personne tu dis ? T’as rien vu ?

— Personne. T’es un trouillard, toi en fait.

— J’ai ouï ! J’ai ouï ! Je sais bien que j’ai ouï !

— Oh la la… Le mec… T’es drôlement atteint, mon pauvre. Faut prendre des vacances, tu sais ? Un séjour à la montagne te ferait du bien.

— La montagne ? Ouais… Genre la Suisse ? Hum… Faut que je me barre d’ici… C’est trop flippant. On étouffe... Je m'asphyxie. Il me faut changer d'atmosphère !

— Atmosphère... Atmosphère... commença Sylvie.

Puis se détournant :

— Ouais, ben en attendant, on remonte en voiture et tu me déposes à l’hôtel, hein ? Parce que si on reste sur la route comme ça, genre deux cons, on va finir par se faire écrabouiller.

— Pff ! Il passe jamais personne. Si t’as un problème ici, tu meurs ! Une nuit, de garde, un confrère s’est enlisé dans la neige… On ne l’a retrouvé qu’au printemps.

— Mort ? Congelé ?

— Mais non. Barré à Marseille. Écœuré de la vie et du métier. Il vend des Chouchous dans un Food-truck.

— Tu te fous de ma gueule ?

— Non, la vérité si je mens !

— Mais qu’est-ce que c’est que ce pays de…

— Ne dis pas de mal de la région… Ça porte malheur. Il y en a qui on essayé... Viens ! Silence ! Plus un mot !

Sylvie et Doc reprirent la route dans un brouillard de plus en plus dense, une purée de poix.

— Doc, t’es sûr qu’on est toujours sur la route ?

— Mais oui. Je connais comme ma poche. Le problème…

— Le problème ?

— C’est comme si l’hôtel du Parc avait disparu… Genre volatilisé.

— Non, mais, attends… T’es paumé ?

— Moi paumé ? Jamais. Je suis le Doc !

— Un Doc complètement à la masse, il fallait que ça tombe sur ma pomme ! C’est pas vrai…

— Attends, il y a un truc là ! Bordel, mais qu’est ce que c’est que ce binz !

Dans la brume, de lueurs tremblotantes et mouvantes se devinaient. Une dizaine au moins se suivant.

— Fonce Doc, c’est rien qu’un effet du brouillard ! On va pas se faire avoir à chaque fois avec ces conneries.

— Nan ! T’es dingue, toi !

— Doc, fonce dans le tas ! On n’arrivera jamais à l’hôtel si on s’arrête toutes les cinq minutes.

— T’es une grande malade, pauvre fille !

— Doc ! Les fantômes ça n’existe pas !

— Pfff ! Tu me prends pour un demeuré ?

Doc stoppa la voiture.

— Hé Doc, c’est vous ? Oh la la… fit une petite voix haut perchée.

Cette fois, Sylvie entendit distinctement et elle en resta bouche-bée, baba.

— Ben merde, alors !

— Doc, vous avez pu sortir de la ville ? demanda la petite voix.

— Mais de quoi vous me parlez ?

— Les gens sont comme fous… Ils errent dans les rues comme des zombis.

— Quoi ? Depuis quand ?

Un groupe de vieux, probablement des séniles retraités, inactives sangsue de la société, la cause des réformes de retraite tant souhaitées par tous les gouvernements Français, se rassemblait, portant des bonnets ridicules avec lampe frontale, des bâtons de marches, des godillots et paquetages.

— Mais qu’est-ce que vous foutez, là, demanda Sylvie, d’une impertinence totale, méprisant les us et coutumes locales.

— Bah, on marche ma petite dame, fit un gaillard au pompon rouge.

— Vous marchez, la nuit, par ce temps épouvantable ?

— Quoi le temps ?

— Qu’est-ce qu’il a le temps ?

— Il ne fait pas encore nuit, d’abord, il est à peine dix-neuf heures.

— Le brouillard ! appuya Sylvie, faisant un grand geste circulaire.

— Ça ? Peuh, c’est rien.

— C’est juste un peu brumeux.

— Et encore, il y a des endroits, il n’y en a meme pas.

— Rien ? s’étouffa Sylvie.

— On est les marcheurs de la Conches, ma petite dame ! Rien ne nous arrête ! fit un bonhomme branlant, désignant son fanion avec fierté comme un étendard. On fait cent-vingt kilomètres par semaine, nous madame.

— Mais…

— C’est fini oui, coupa sèchement Doc. C’est quoi cette histoire en ville ? demanda Doc, à la meneuse du groupe.

— Si vous aviez vu ? Les gens… Mon Dieu !

— Et pas un seul médecin en ville !

— Où étiez-vous Doc ?

— J’étais là ! Je bossais... Toujours je bosse !

— Non, il n’y avait personne ! Tout fout le camp. Les médecins ont abandonné les gens.

— Sans Doc, c’est la fin du monde.

— Ils nous laissent crever !

Le groupe commençait à s’échauffer et entourait Doc.

— Il faut que vous retourniez en ville Doc !

— Les gens, il faut les sauver !

— Sauvez-nous !

— Oui, oui, j’y go ! fit Doc, écartant des bâtons menaçants de la main.

Doc entraîna Sylvie vers la voiture et démarra en trombe, faisant un demi-tour en dérapant et fonçant dans la brume.

— Doc, tu vas où ?

— On retourne en ville !

— Mais qu’est-ce que c’est que…

— C’est ma mission !

— Tu ne vas pas croire ces neuneus quand même ?

— Les marcheurs de la Conches ? Tu sais qu’un peu plus on allait se faire…

— Quoi ? Lyncher par le troisième âge ?

— Pire !

— Pire ?

— Ouais, une consultation gériatrie sur le terrain !

— Oh purée !

— Je ne prends pas de nouveaux patients ! hurla Doc.

— Oui, oui, on le saura.

Sylvie avait de la peine pour ces pauvres gens. Bonne marcheuse elle-même, adepte de la nature à petite vitesse (la marche quoi), elle pouvait comprendre l’engouement de ces gens, enfin un peu. Cependant… ce groupe perdu dans cette forêt et pas sur des sentiers balisés, c’était quand même un peu désordre dans son esprit helvétique méthodique.

Elle regarda Doc, crispé au volant.

— Hé Doc, tu sais où tu vas ?

— Ouais ! Tu me prends pour un con ? Je vais vers mon destin !

— Doc ! T’es paumé, c’est ça ?

— Mais nan ! C’est juste que…

— Genre, la ville s’est fait la malle ?

— Quasi !

— Doc, faut vraiment que tu prennes des vacances. Mais si tu viens en Suisse, pas à côté de chez moi, hein… Loin… Genre, le Tessin, ou…

— Quoi ? Mais j’irai Gstaad ! What else ?

— Le con ! s’étouffa Sylvie.

Un tel snobisme,c’était au-delà de tout. Ça dépassait l’entendement. Ça lui trouait le…

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