Prologue
Une ancienne prophétie annonçait qu’un jour, lorsque le Soleil cesserait d’illuminer le ciel, des flammes jailliraient des entrailles de la terre pour dévorer les forêts, les animaux, mais aussi les Humains.
Ce jour-là annoncerait l’éveil des Dieux. Leur faim insatiable provoquerait la destruction du monde, et le seul moyen d’apaiser leur courroux serait le sacrifice d’un Humain, lorsque la Lune sourirait à pleines dents.
Dovah était un Humain.
Un simple mortel avec un physique peu avantageux. Sa lâcheté le rendait risible. Souvent égoïste, parfois maladroit, il était considéré comme la risée de son village.
Oui, il était bien un Humain.
Si ses paires le surpassaient par leur force et leur courage, Dovah les détrônait grâce à sa ruse légendaire.
Son esprit vif lui permettait de s’échapper de toutes les situations dangereuses. Son incroyable intelligence surpassait, et de loin, la force physique des autres Humains.
Un jour, des grognements lointains firent trembler d’effroi la terre. De nombreux incendies dévorèrent les forêts. Les animaux se firent dévorer par les flammes menaçantes, et le Soleil vit sa chaleur ternir face aux nuages gris. Les Hommes comprirent que la prophétie était vraie.
Un paysan, vêtu d’un tissu poussiéreux et déchiré, le teint pâli par le froid mordant, et le regard hagard, s’écria que les Dieux se réveillaient.
— Nous devons faire un sacrifice, avait-il dit en toisant les habitants. Le seul moyen d’apaiser le courroux des Dieux, c’est de les nourrir d’un Humain, dans quel cas, les flammes dévoreront nos villages, nos forêts !
— Et qui est l’Humain à sacrifier ? demanda un villageois. Qui fera office d’offrande ? La prophétie ne l’a pas dit !
Les villageois s’interrogèrent, se bousculèrent, et s’affolèrent de plus belle. Qui pouvait être l’Humain de la prophétie ?
— La prophétie énonce qu’il faut simplement sacrifier un Humain, reprit le paysan d’une voix sèche. Peu importe son identité. N’importe quel Homme suffit !
— Je propose Dovah, avait donc renchéri un jeune homme. Il ne nous est d’aucune aide au village !
— C’est vrai ! ajouta une femme. S’il ne parvient pas à nous être utile de son vivant, il peut au moins l’être en étant sacrifié !
Les villageois chahutèrent. Acclamèrent le pauvre Dovah qui, comme il savait si bien le faire, essaya de s’enfuir. Seulement, ce fut vain. Il se fit bousculer jusqu’au paysan au regard vide, sous une pluie d’applaudissements.
— Tu seras sacrifié lorsque la Lune nous sourira, annonça le paysan. Dovah, tu rassasieras nos Dieux, et tu nous sauveras tous.
Dovah garda le silence, alors que les villageois applaudissaient fièrement, le visage resplendissant d’espoir.
Les jours passèrent, et les nuits défilèrent. La Lune retrouvait petit à petit son sourire, et les flammes sévissaient de plus en plus. Impossible de les éteindre. La terre, elle, continuait de gronder, réclamant son dû.
Dovah avait fini par accepter son triste destin. S’il avait bataillé pour éviter ce sinistre dessein, il s’était fait à l’idée qu’il était l’unique salut de son peuple. Quand les Dieux voulaient quelque chose, ils l’obtenaient.
Voyant que Dovah n’essayait plus de s’enfuir, les personnes choisies pour le surveiller, le laissèrent finalement profiter de ses derniers jours.
Un soir, Dovah se faufila dans la nuit, souriant de la même manière que la Lune.
Oui, quand les Dieux voulaient quelque chose, ils l’obtenaient. Seulement, la prophétie disait qu’il fallait un sacrifice. Mais quelle était l’identité de l’Humain en question ?
Un rien leur suffirait.
Et il avait une solution.
Son regard malicieux pétilla.
Les Dieux voulaient une offrande, et il acceptait d’être sacrifié.
Il leur offrirait une première peau, et il renaîtrait avec la seconde. Ainsi, il apaiserait leur courroux, et il poursuivrait sa pathétique vie.
Bientôt, des hurlements étouffés s’élevèrent avant de se joindre à la fumée qui commençait à encercler le village.
Dovah, sous l’œil moqueur de la Lune, se vengea de quelques habitants et déroba leur peau sans laisser de traces.
Le soir où la Lune sourit à pleines dents, des villageois vinrent chercher Dovah et le bousculèrent, sous les yeux admiratifs des autres habitants.
L’incendie s’était propagé jusqu’à l’entrée de leur village et, si le sacrifice n’avait pas lieu maintenant, la colère des Dieux détruirait tout.
Les villageois prièrent tandis que le paysan mena Dovah jusqu’à un feu menaçant faisant office de rituel, dansant dans un ballet sinistre.
— Mes Dieux, acceptez donc notre offrande, acceptez ce sacrifice !
Bientôt, le pauvre Dovah vit son corps se plonger dans les flammes tenaces. La chaleur le submergea rapidement, tandis que la prière des villageois s’étouffait sous le crépitement du brasier.
Des voix lointaines semblèrent chanter dans son esprit. Gardant obstinément les yeux ouverts, Dovah constata avec joie que le feu le dévorant s’apaisait.
Bientôt, sa chair fondit pour laisser place à sa véritable peau, là où des taches jaunâtres commençaient à se former. Son regard s’agita d’inquiétude face à cette constatation.
Les flammes semblèrent s’affaisser avant de l’entourer dans une danse macabre, sans jamais le brûler. Pourtant, une douleur persistait, à l’endroit même où les taches prenaient forme, mais aussi dans son dos.
— Tu as essayé de tromper tes Dieux, Dovah, s’éleva une voix sinistre.
Les flammes l’entourant s’intensifièrent, mais ne dévorèrent jamais sa véritable peau. Pourtant, des écailles semblaient fendre sa chair douloureusement.
— Mais tu t’es montré rusé en te recouvrant de la peau de tes victimes pour te préserver. Tu t’es montré courageux en acceptant d’être sacrifié, et les Dieux apprécient particulièrement la bravoure.
Dovah retomba à genoux, épuisé et haletant. Sa peau, la vraie, continua de se fendre, de muer douloureusement, pour laisser place à des écailles dorées, aiguisées, et rutilantes sous les rayons de la Lune.
— Accepte donc ce présent. Abandonne donc la chair que tu chéris tant, pour la remplacer par la nouvelle. Accepte d’être à ton tour un Dieu.
Dovah pâlit en constatant que des griffes tranchantes s’étiraient le long de ses doigts. Un souffle affolé s’échappa de sa gorge brûlante.
— Préserve ton esprit vif, Dovah, poursuivit la voix.
D’autres flammes jaillirent autour de l’homme rusé. Il releva un regard aux pupilles verticales vers les villageois terrorisés et, bientôt, ses os s’allongèrent dans un craquèlement.
Son corps, recouvert d’écailles dorées, se développa, pour prendre en hauteur. Des ailes titanesques fendirent son dos pour se déployer afin de battre l’air. Ses immenses pattes s’abattirent contre la terre, armées de griffes acérées, provoquant un nuage de poussières. De la fumée s’échappa de ses naseaux, mais aussi de sa gueule entrouverte.
Dovah, totalement transformé, dévoila une rangée de crocs tranchants et, d’un simple geste, il détruit le village. Il propagea sa fureur, se vengeance, sur ces pathétiques personnes qui n’avaient pas hésité à le sacrifier.
Dovah, le Dragon, laissant son courroux s’abattre.
Il n’était pas le sacrifice de la prophétie.
Il était la prophétie.
Toujours jugé comme un misérable, il était désormais un Dieu.
Si sa lâcheté l’avait souvent fourvoyé, son intelligence lui avait permis de renaître.
Ainsi fut né le premier Dragon.
Le Dieu des Voluks.
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