La frontière si proche, si éloignée

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Nous sommes à Nador, petite ville marocaine à côté de Melilla. Avec Jojo, nous avons dépensé tout notre argent. Même ma bague est partie et nous sommes toujours coincés sur notre continent. Nous observons de loin cette enclave espagnole qui n’est qu’à quelques centaines de mètres de nous. Y accéder, c’est synonyme de liberté, d’espoir et de bonheur. Mais, d’après tous ceux que nous croisons, c’est impossible. Les barrières sont trop hautes, trop nombreuses, les policiers trop agressifs. Beaucoup essaient quand même, mais nous ne connaissons aucune personne qui y soit parvenue.

— Qu’allons-nous faire, Jojo ? J’ai peur d’avoir fait tout ce chemin pour rien. Si on ne peut pas traverser, il va nous falloir rentrer au village. Toi, tu n’as plus rien. Quant à moi, cela m’étonnerait que Mamadou m’accepte encore comme épouse. Pa a dû se mettre en colère et je ne serai plus jamais la bienvenue au village…

— Nous avons pris la décision de partir, nous ne pouvons pas faire machine arrière, Mina, c’est impossible.

Je suis surprise par son ton déterminé et sa volonté affirmée de continuer malgré le mur qui se dresse devant nous.

— Mais alors, que faisons-nous ? Si on reste ici, on va mourir de faim… Et pour continuer, il faut de l’argent aussi… Je ne vois pas comment on va pouvoir franchir ces murailles. Tu as vu tous les barbelés ?

— Ici, ça ne sera pas possible, tu as raison. Mais entre nous et l’Europe, il y a juste la mer à traverser.

J’ai peur de comprendre ce qu’il essaie de me dire. Je le regarde, inquiète et, pour la première fois, je remarque qu’il a le même air que Pa quand il prend une décision qui ne lui plait pas mais qu’il doit appliquer par respect de ses obligations.

— Sans argent, on ne pourra pas, Jojo. Et puis, qui nous dit qu’on aura un bateau assez solide pour traverser ? Ce n’est pas raisonnable…

— Ce qui ne serait pas raisonnable, c’est de rester ici, sans rien faire. Dans la vie, il faut assumer ses choix. Si tu veux retourner au village, tu es libre de le faire. Moi, l’Europe m’attend. Je n’ai rien à perdre ici, sauf toi. Même si tu ne viens pas, je continue mon chemin.

Je n’en reviens pas de sa détermination et je l’admire pour ça. Moi, je n’ai pas ce même courage et, sans lui, j’aurais déjà fait demi-tour. Mais il est là avec moi, fort et protecteur. Il me donne envie de lui faire confiance et de le suivre.

— D’accord, Jojo. Faisons comme tu le désires, je vais te suivre.

J’ai l’impression un peu folle d’avoir scellé nos destins avec cette simple phrase. Ce sont juste quelques mots, mais ils marquent un point de non-retour, une rupture avec le passé et notre histoire commune, et un engagement vers l’avenir qui est incertain mais que nous allons affronter. La seule chose qui me rassure, c’est que nous y allons ensemble. Je me love contre mon compagnon d’exil et nous nous endormons ainsi, dans les bras l’un de l’autre, sous le ciel étoilé du Maroc.

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