Chapitre 1

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— Je peux mettre la musique ?
Ma voix se perd dans l’habitacle. Presque un
murmure.




Papa ne répond pas. Il regarde la route.
Ses mains sont serrées sur le volant. Trop serrées.




Je baisse les yeux. Encore raté.





Le paysage défile, gris et sale. Des forêts sombres.
Les arbres sont nus, noirs, presque morts.




Bienvenue à Edevan.




Nouvelle ville. Nouveau départ.
C’est ce qu’il a dit.
Un bon poste, Ariel. Une vraie opportunité. Une vraie vie.




Mais moi, j’ai rien demandé.



L’appartement est au troisième étage. Deux pièces. Un vieux parquet qui craque.
Les murs sentent la peinture bon marché, l’humidité et quelque chose d’autre. Quelque chose de vieux.





Il a pris la grande chambre. J’ai la petite.
Ça m’importe peu. J’ai pas vraiment envie de m’installer.





Il parle peu. Il parle toujours peu.
Depuis qu’on est que deux, c’est pire.




Un silence lourd, suspendu, qui colle à la peau.




— Tu devrais dormir tôt. Demain tu vas à la mairie, dit-il en ouvrant un carton.





— Oui.




Je réponds sans le regarder.
Il ne m’a pas demandé si ça allait.
Moi non plus.






Il ne sait pas que je dors mal.
Que j’ai peur de cette ville.
Que je fais semblant d’aller bien depuis des mois.





La nuit est tombée vite.
Trop vite.






J’arrive pas à dormir. Le matelas est dur.
Il fait trop froid. Ou trop vide. Je sais pas.




Je fixe le plafond. J’écoute les bruits dehors.
Un chien. Des pneus. Et le silence. Ce genre de silence qui hurle plus fort que n’importe quel cri.





Je me répète ce qu’il a dit. Une opportunité.
Mais on ne quitte pas une ville du jour au lendemain pour une opportunité. Pas comme ça. Pas en silence.
On fuit, c’est tout.






— Papa… t’as vu mes papiers ?
Pas de réponse.





J’ai fouillé encore un peu dans le carton. Rien. Mon cœur battait trop vite pour un truc aussi banal.





Le dossier. Celui de l’université. À rendre aujourd’hui.
Je l’ai trouvé sous une pile de vieux cahiers. Froissé. Mais complet.





Respire, Ariel. Juste respire.





Papa m’avait déjà laissé. Il avait pris son nouveau poste. Infirmier dans un centre à vingt minutes d’ici.
J’avais promis d’y aller seul. De déposer le dossier moi-même à la mairie.
C’était pas compliqué. C’était juste… moi qui compliquais tout.






Il faisait gris. Toujours.
J’ai marché dans les rues comme un fantôme.
Mon pull noir trop large me couvrait presque les mains.
J’aime ce pull. Il me protège. Il cache tout.







La mairie était immense. Froide. Les murs vieux, presque tristes.
Un bâtiment figé dans le temps. Comme s’il n’avait pas été rénové depuis des siècles.






Je suis resté planté là quelques secondes avant de m’approcher du comptoir.






— Bonjour, dis-je d’une voix trop basse. J’ai… un dossier à remettre au maire. Pour l’université.





La secrétaire leva les yeux. Un peu surprise. Un peu fatiguée.
Ses lunettes glissèrent légèrement sur son nez.





— D’accord. Attendez là, je vais chercher ce qu’il faut. Vous pouvez visiter les lieux, si vous voulez. Mais… n’allez pas trop loin.





J’ai hoché la tête. Un peu distrait. Un peu ailleurs.






Je marchais sans trop réfléchir.
Les couloirs semblaient vides. Trop silencieux.
Les murs, d’un blanc parfait, suintaient l’étrange.






J’ai ouvert une porte. Par réflexe. Sans lire la plaque.





Un grand bureau. Immense, même.
Des livres. Des meubles foncés. Une lumière pâle.
L’odeur du bois et de l’encre ancienne.




Je suis entré.




Juste deux minutes, Ariel. Deux minutes et tu ressors.





Je me suis approché des étagères. J’ai effleuré les couvertures poussiéreuses.
Certaines n’avaient même plus de titre.





Mon souffle s’est bloqué quand j’ai entendu la voix.




— C’est votre manière de vous présenter ?



Je me suis figé.



Il était là.
Dans l’ombre. Appuyé contre la porte.




Je l’ai regardé.
Lui, son costume sombre. Ses yeux qui semblaient tout voir. Tout comprendre.




Le maire.



Je me suis senti idiot. Ridicule. Pris la main dans le sac.



— Je… je suis désolé. Je… je pensais pas que c’était…




— Que c’était mon bureau ? compléta-t-il, d’un ton froid.




J’ai baissé les yeux.
J’avais envie de disparaître.

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