Chapitre 2

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Trois jours ont passé.
Je dors toujours mal. Le matelas est toujours dur. Mon père rentre de plus en plus tard.




On ne parle pas. On vit ensemble. Sans se croiser.





Ce matin, j’ai trouvé une enveloppe sous la porte.
Pas de nom. Juste mon prénom, écrit à la main. D’une écriture trop soignée.





À l’intérieur, une simple feuille.


> Une erreur s’est glissée dans votre dossier. Présentez-vous au bureau du maire.
Aujourd’hui, à 14h.



Pas de signature. Mais je savais. C’était lui.

Il pleuvait.
Les gouttes coulaient sur les vitres de la mairie, comme si même le ciel ne voulait pas voir ce qu’il se passait à l’intérieur.





J’ai attendu dans le même couloir que la dernière fois.
La secrétaire m’a à peine regardé.





— monsieur le maire vous attend.




J’ai poussé la porte. Il était déjà là.
Debout, dos à moi, face à une bibliothèque.




— Ariel.




Il ne s’est même pas retourné.
Mais il savait.




Je suis resté figé. Mes mains tremblante. Le cœur trop rapide.





— Il manque une pièce dans ton dossier, dit-il lentement. La fiche de liaison de ton ancien lycée.




Je savais que c’était faux. Je l’avais vérifiée. Elle y était.
Mais je n’ai rien dit. Par peur.





Il s’est tourné vers moi. Un sourire léger. Trop léger.





— Ce n’est rien. Tu peux me l’apporter demain.
Ou… rester ici. Un moment.




Silence.



— Tu n’as rien à faire, n’est-ce pas ?

— Non…




— Alors reste.


Je suis resté.



Je ne sais pas pourquoi.
Je ne sais pas ce qu’il voulait.
Mais j’ai regardé ses mains, ses livres, sa voix calme…
Et je suis resté.



— Tu étudies quoi, à l’université ?
Sa voix brise le silence, alors que mes yeux fixaient encore les étagères.




— Les lettres.
Je réponds, sans trop réfléchir.




— Littérature ? Philosophie ?




— Un peu de tout, je crois.





Il hoche doucement la tête, comme s’il savait déjà.





— Tu as du temps libre, non ?



—J… Je commence demain.



— Justement.





Il se tourne vers moi, s’approche lentement de son bureau. Il sort une feuille, la plie, la pose.






— Je cherche quelqu’un. Un assistant. Quelques heures par semaine. Juste pour organiser quelques dossiers. Transcrire certaines lettres. Rien de compliqué.






Je ne dis rien.





— C’est payé. Pas beaucoup, mais…
Il me regarde.
…ça peut aider ton père.






Je me fige.






Il n’a pas haussé le ton. Il n’a pas posé de question. Il a simplement… dit ça.
Comme s’il savait. Comme s’il voyait plus loin.





Je pense à mon père, ses mains tremblantes parfois, ses nuits au centre, ses silences.





— D’accord, je souffle.





Il sourit.
Un vrai sourire cette fois. Mais pas rassurant.
Un sourire qui ferme quelque chose.





— Bien. Tu commenceras après tes cours. Je te montrerai où t’installer.








Je suis rentré un peu plus tard que prévu.
Le ciel était gris, le trottoir mouillé, et j’avais oublié mes écouteurs.









L’appartement était silencieux. Mais pas vide.
Une odeur flottait. Pas forte, mais présente.
Quelque chose avait été… cuit.







Je suis passé lentement le seuil du salon.




Il était là.
Mon père.
Fatigué, encore en blouse, les cernes creusées sous les yeux, en train de ranger une casserole.





Je me suis figé.
Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu ici, à cette heure.
Encore moins debout, dans la cuisine.






Il a tourné la tête.




— T’es là. Je croyais que t’avais commencé l’université aujourd’hui. Alors je n’ai pas fait pour deux.




Il a désigné l’assiette sur la table. Une seule portion.
Rien de compliqué. Du riz, des légumes, un œuf.







— C’est rien, dis-je doucement.





Je n’avais pas faim de toute façon.





Je me suis approché, lentement, et j’ai hésité.
Puis je l’ai dit.




— J’ai accepté un travail.




— Un travail ?




Je hoche la tête.




— À la mairie. Le maire m’a proposé un poste d’assistant, quelques heures par semaine.




— Ariel… c’était pas la peine.






Il n’a pas crié. Il n’a même pas haussé les sourcils.






Il a juste dit ça.
Comme s’il avait honte. Ou qu’il ne savait pas comment dire merci.






Je n’ai pas répondu.
Je suis allé dans ma chambre. Le parquet a encore craqué.




Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai gardé mes chaussure.




Je me suis allongé sur le lit.
Et j’ai pensé à ce sourire du maire.
À ses mots.
Et à cette façon qu’il a de savoir les choses.










Il était deux heures. Ou trois.
J’ai entendu les pas.







Lents. Lourdement répétés dans le couloir.
Puis une voix. Basse. Terrifiée. Comme si elle tremblait rien qu’en parlant.
Un appel. Un murmure paniqué. Des mots incompréhensibles.








Et cette odeur.
L’alcool. Fort. Brûlant presque les narines.






Quelqu’un s’était arrêté. Juste devant ma porte.
Puis les pas sont repartis.






J’ai gardé les yeux ouverts un moment, figé sous mes draps.
Mon cœur battait trop fort. Je ne pouvais plus penser.






Et puis… les cauchemars sont revenus.
Toujours les mêmes. Toujours flous.








Des bruits de chute. Une pièce sombre. Un cri étouffé.
Et moi, seul.
Toujours seul.




Je me suis réveillé fatigué.
Plus fatigué encore qu’en m’endormant.






Je suis sorti de ma chambre.
L’appartement était vide. Mon père était déjà parti.




Sur la table : rien. Pas de mot. Pas de bruit.


J’ai préparé un petit-déjeuner simple. Du pain, un fruit, un peu de café soluble.


Je me suis vite habillé.
Je ne savais même pas ce que j’avais mis.
Mon reflet avait l’air ailleurs. Comme moi.





Le trajet jusqu’à l’université prenait quarante-cinq minutes à pied.
Je n’avais pas de vélo. Pas de carte pour le bus. Pas d’excuse non plus.





Il faisait frais. Des voitures passaient sans me voir.
Edevan était une ville silencieuse même en plein jour.






J’ai raté la cérémonie d’ouverture.
Pas grave. Je n’avais rien à y faire.





L’université était… grande. Trop grande pour moi.
Des couloirs longs. Des panneaux partout. Des étudiants déjà en groupe.





C’était une université publique.
Mais on aurait dit un labyrinthe.





Je parlais dans ma tête. Beaucoup.
Comme toujours.
C’était là que je parlais le plus.







J’avais mon emploi du temps. Mais je ne savais pas où aller.
Tout se ressemblait.




Puis, d’un coup :

— Hey !





Je sursaute.
Je me retourne brusquement.




Une fille est là, tout près.
Cheveux long, lisses, blond. Un regard clair. Elle me ressemble presque. Même taille, même air perdu.
Mais pas la même énergie.






Elle explose de rire.



— Wow, t’as fait un bond ! Je t’ai fait peur ?




Je passe une main dans mes cheveux.
Je dois avoir l’air ridicule.






Elle sourit toujours, de ce sourire franc qui prend toute la place.





— C’est ta première année ?




Je hoche la tête.

— Oui.





— Pareil.
Tu cherches quoi ? J’ai l’impression que les bâtiments changent à chaque couloir.






Je tends mon emploi du temps sans un mot.


Elle se penche, ses cheveux glissent sur son épaule.
Ses doigts frôlent les miens, juste un instant.



— Oh, t’es en lettres, toi aussi ? On va sûrement avoir des cours en commun.
Viens, je crois que c’est dans le bâtiment E. Enfin… je crois.




Elle part déjà, d’un pas léger.
Puis elle se retourne.



— Tu viens ou tu préfères te perdre encore un peu ?





Je la suis.




Sans vraiment réfléchir.
Sans vraiment parler non plus.




Mais au fond, je crois que ça me fait du bien.
Juste… ne pas être seul.




Ils s’étaient installés tout au fond de l’amphithéâtre, un peu en retrait.
Les sièges grinçaient. Le tableau était couvert de phrases que personne n’avait encore effacées.





Ils n’avaient pas parlé pendant quelques minutes.
Mais le silence n’était pas gênant. Juste… calme.




Puis elle tourna la tête vers lui.





— En fait, je t’ai même pas demandé ton nom.



Ariel hésita.
Son cœur accéléra un peu.


Il baissa les yeux vers ses mains posées sur la table.
Il en avait marre que son nom soit toujours un sujet. Toujours une remarque. Toujours un rire.




— T ’aimes pas ton blaze ? demanda-t-elle, d’une voix plus douce.





— C’est pas ça… C’est juste que…

Il n’arriva pas à finir.





Elle le coupa, gentiment :



— Bah tu sais quoi ? On n’a qu’à s’appeler par les trois premières lettres. Comme ça, pas de pression. Jusqu’à ce que tu sois à l’aise.




Il releva les yeux, surpris.





Elle lui adressa un clin d’œil. Sûre d’elle. Presque malicieuse.




— Alors vas-y. Commence.





Il sourit malgré lui.



— D’accord… je m’appelle Ari.




Elle hocha la tête, comme si elle notait l’information quelque part dans sa tête.





— Mon blaze, c’est Sam.




Sa manière de le dire, détachée, comme une évidence…
ça le fit sourire un peu plus.




Un vrai sourire. Un truc qu’il n’avait pas fait depuis longtemps.





— Ari et Sam, dit-elle. On dirait un duo de justiciers ou un vieux groupe de pop ringard.





— Ou deux paumés qui se sont perdus dans la mauvaise salle, répondit-il du tac au tac.






Elle rit. Lui aussi, doucement.
Et pour la première fois depuis son arrivée, il se sentit un peu moins seul.















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