Chapitre 1: "Le voleur et l'archiviste"

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La librairie d'Al' était coincée entre une cordonnerie et un marchand d'herbes, dans une rue si étroite que deux personnes avaient du mal à se croiser. L'enseigne en bois sculpté grinçait doucement dans la brise, et les vitrines poussiéreuses laissaient entrevoir des piles de livres qui semblaient défier les lois de l'équilibre.

Je poussai la porte, déclenchant le carillon familier qui annonçait toujours mon arrivée. L'odeur du papier ancien et de l'encre me frappa immédiatement – un parfum que j'avais appris à associer à la sécurité et aux repas chauds.

"Kaï ?" La voix d'Al' retentit depuis l'arrière-boutique. "C'est toi, mon garçon ?"

"Ouais, c'est moi."

L'intérieur était encore plus impressionnant que ce que j'avais imaginé en passant devant La dernière et seule fois où j’étais entré, pour me cacher des gardes, il faisait nuit noire. Je découvrit alors à la lumière du jour que des livres s'empilaient du sol au plafond, créant un labyrinthe de connaissances qui semblait défier toute logique d'organisation. L'odeur du papier ancien me frappa immédiatement.

"Il y a quelqu'un ?" appelai-je prudemment.

Un homme aux cheveux gris émergea de derrière une pile de livres qui me paraissait dangereusement instable. C'était bien Al' – je l'avais aperçu quelques fois en passant devant sa vitrine – mais il faut dire que je ne l’observait que rarement quand il me parlait. Je restais aux aguets d’une potentielle menace… Cette fois-çi, de près, ses yeux perçants me surprirent par leur intensité.

"Tiens, tiens", dit-il en m'examinant par-dessus ses lunettes rondes. "Un visiteur inattendu. Que puis-je faire pour toi, jeune homme ?"

J'hésitai un instant, puis me souvins du message de Sera.

"Je... Sera m'envoie. Elle m'a dit que si j'avais des ennuis ou que j’étais dans le besoin, je pouvais venir vous voir."

L'effet fut immédiat. Al' se figea complètement, ses yeux s'écarquillant.

"Sera ?" répéta-t-il d'une voix étrange. "Elle t'a dit ça ?"

L'effet fut immédiat. Al' se figea complètement, le livre qu'il tenait glissant presque de ses mains.

"Sera ?"

Il avait dit son nom comme on prononce celui d'un fantôme qu'on espérait ne plus jamais revoir.

"Tu la connais ?" demandai-je, surpris par sa réaction.

Al' posa lentement le livre qu'il tenait. Ses mains tremblaient légèrement.

"Assieds-toi", dit-il d'une voix qui avait perdu toute décontraction. "On doit parler."

Il me désigna un tabouret près de sa table de travail. L'endroit était encombré de parchemins et d'objets étranges que je ne savais pas identifier.

"D'abord, raconte-moi exactement ce qui s'est passé."

Entre les gorgées de thé qu'il m'avait servi, je lui racontais ma rencontre avec Sera. Sa façon de m'intercepter pendant ma fuite, ses questions sur la Fièvre Magique, ses avertissements sur les créatures nocturnes. Al' m'écouta sans m'interrompre, mais je voyais bien qu'il était tendu.

"Elle t'a dit de venir me voir ?", demanda-t-il quand j'eus terminé, avec une gravité que je ne lui connaissais pas.

"Ouais. Elle a dit que vous aviez des 'connaissances communes'."

Al' soupira profondément et retira ses lunettes pour les nettoyer.

"Kaï, je vais te poser une question, et j'aimerais une réponse honnête. Que sais-tu de tes origines ? De tes parents ?"

"Rien du tout. Je suis orphelin depuis toujours, du moins c'est ce qu'on m'a dit. Je me souviens pas de grand chose au final, je suis … Anémique c’est comme ça qu’on dit ? "

“Amnésique” rétorqua Al’, un sourire au coin des lèvres.

"Et tes... particularités ? Le fait que tu ne tombes jamais malade ?"

Je haussai les épaules. "J'ai de la chance, je suppose ? Puis j’aime pas trop briller dans tout les sens c’est pas pratique… "

"Ce n'est pas de la chance, mon garçon." Al' remit ses lunettes et me regarda droit dans les yeux. "Tu es spécial, Kaï. D'une manière que peu de gens peuvent comprendre."

"Spécial comment ? Moi qui pensais juste que j'étais un voleur de pommes pas doué ! Finalement, c'est peut-être pour ça que je me faisais toujours attraper - j'étais trop occupé à faire des trucs bizarres avec la maladie qui fait briller !"

Al' esquissa un sourire face à la vulgarisation, puis hésita longuement. Je pouvais presque voir les pensées tourbillonner derrière ses yeux fatigués.

"Il y a des choses dans ce monde que la plupart des gens préfèrent ignorer", finit-il par dire. "Des vérités anciennes, des créatures qui se cachent dans l'ombre, des équilibres fragiles maintenus par quelques individus exceptionnels."

Il se dirigea vers une étagère particulière, celle où il rangeait ses livres les plus précieux, et en sortit un volume relié de cuir noir de bonne manufacture. Je n'avais jamais rien vu de tel. Les symboles gravés sur la couverture semblaient bouger dans la lumière tamisée de la boutique.

"Ce livre contient des légendes sur les Architectes, les êtres qui ont construit notre Tour. Mais aussi sur leurs... protections. Des individus uniques, immunisés contre certaines influences, capables de maintenir l'équilibre."

D’un air gêné, je répondis: "Tu penses que je suis... quoi ? Un architecte ? ahah… très drôle. Ce ne sont que des légendes que tu rabâches sans cesse le vieux… Je commence à me demander ce que je fais içi."

Al' sourit tristement. "Je pense que tu es quelqu'un d'important, Kaï. Et Sera l'a reconnu. C’est pourquoi elle t’a envoyé à moi."

"Je sais pas trop quoi penser de tes histoires à vrai dire, mais elle, elle avait l’air sacrément douée pour observer les gens… Elle m'a aussi dit qu'il y avait des disparitions. Des gens malades qui..."

"Elle a raison." Al' referma le livre d'un coup sec. "Il se passe des choses inquiétantes dans les niveaux inférieurs actuellement. Des créatures qui chassent, qui se nourrissent de l'énergie des malades."

Mon sang se glaça. "Des créatures ?"

"Les anciens les appelaient les Nyxoth. Des prédateurs attirés par la Fièvre Magique."

Je repensai aux avertissements de Sera sur les ruelles de l'hospice. "Et moi ? Pourquoi ils ne s'intéressent pas à moi ?"

"Parce que ton énergie est différente, Kaï. Pure. Elle les repousse naturellement." Al' s'approcha et posa une main sur mon épaule. "C'est pour ça que tu es en sécurité. Et c'est pour ça que tu es précieux."

"Précieux pour qui ?"

"Pour ceux qui luttent contre ces prédateurs. Pour ceux qui tentent de maintenir l'équilibre." Il marqua une pause. "Sera fait partie de ces gens."

J'essayai de digérer toutes ces informations. Ma tête tournait.

"Donc elle... elle me recrute ?"

"Elle t'évalue. Pour voir si tu es prêt à comprendre la vérité." Al' me regarda avec cette expression paternelle que je connaissais bien. "La question, Kaï, c'est : es-tu prêt à apprendre qui tu es vraiment ?"

À quinze ans, face à un monde qui se révélait soudain bien plus dangereux et mystérieux que je l'avais imaginé, j'ai fait le choix qui a déterminé le reste de ma vie.

"Euh… Oui?", répondis-je simplement. "Je veux comprendre."

Al' sourit – le premier vrai sourire que je lui voyais depuis que je le connaissais.

"Alors on va commencer ton véritable apprentissage, mon garçon. Mais avant..." Il se dirigea vers une autre étagère et en sortit un objet enveloppé dans un tissu sombre. "Il y a quelque chose que tu dois voir. Quelque chose que je garde depuis des années en attendant le bon moment."

Il déplia le tissu avec des gestes délicats, révélant un petit cristal d'un bleu profond qui semblait briller de sa propre lumière. Dès que mes yeux se posèrent dessus, je sentis quelque chose remuer au fond de moi, comme un écho lointain d'une mélodie familière.

"Qu'est-ce que c'est ?"

"Un fragment d'Orbe des Architectes. L'un des derniers vestiges de leur technologie." Al' me tendit le cristal avec une révérence qui ne lui ressemblait pas. "Touche-le, Kaï. Mais fais attention – peu de gens peuvent le manipuler sans conséquences."

J'hésitai un instant. Le cristal était magnifique, mais il émanait de lui quelque chose d'ancien, de puissant.

"Qu'est-ce qui va se passer ?"

"Je ne sais pas", admit Al'. "Cela dépend de qui tu es vraiment."

J'ai tendu la main vers le cristal. Et le monde a explosé. Façon de parler bien sûr.

Des images déferlèrent dans mon esprit comme un raz-de-marée : des salles immenses remplies de lumière, des êtres aux silhouettes gracieuses manipulant des énergies pures, une bataille titanesque entre des forces que je ne pouvais pas comprendre. Et au centre de tout cela, un amas d’images superposées se battaient comme pour avoir la place sur le dessus de la pile… Je n’y comprenait rien, je ne voyais aucune image clairement…

"Kaï !" La voix d'Al' me ramena brutalement à la réalité. J'étais agenouillé sur le sol de la librairie, le cristal toujours dans ma main, tremblant comme une feuille.

"Qu'est-ce qui s'est passé ?"

Al' me regarda avec un mélange d'émerveillement et d'inquiétude. "Tu l'as activé. En treize secondes. Le dernier Archiviste qui a essayé a mis trois heures et a fini par s'évanouir."

"Les images... l'homme en uniforme..."

"Tu les as vues aussi ?" Al' s'agenouilla près de moi. "Kaï, ces visions... elles ne viennent pas du cristal. Elles viennent de toi. Enfin c’est ce que je suppose"

"De moi ?"

"Oui, je pense que chaque personne qui touche ce… Morceau, peut revoir tous ses souvenirs. C’est comme ça que le dernier archiviste qui l’a activé l’a perçu. C’est encore flou, mais tu as été rapide pour activer ce dispositif. Cela demande normalement des années d’expérience."

Je le regardai sans comprendre, le cristal pulsant doucement dans ma paume.

"Mon garçon", dit-il doucement, “Tu peux réessayer de l’activer ?”

Mais dans mon grand désarroi, même en me concentrant de toutes mes forces, je ne parvenais à rien faire apparaître dans ma tête…

“Bon.” dit Al’ sèchement, “On s’arrête là pour aujourd’hui.” et il mit le fragment dans une boîte fermée à clé enroûlé dans un grand chiffon blanc, elle-même cachée au fond d’un tiroir de l’arrière boutique.

"Je crois qu'il est temps que tu apprennes la vérité sur... comment survivre dans ce monde sans finir comme ces pauvres gens dont parlait Sera."

Il se dirigea vers l'arrière-boutique, dans sa cuisine, et revint avec une assiette garnie de pain, de fromage et quelques tranches de viande séchée. Plus un gobelet de lait encore tiède.

"Mange d'abord. On réfléchit mieux le ventre plein."

Mon estomac gargouilla si fort que j'en eus honte. C'était le premier vrai repas que je voyais depuis... je ne savais même plus.

"Pourquoi vous faites ça ?" demandai-je entre deux bouchées.

"Parce que tu as l'air d'en avoir besoin." Al' s'installa en face de moi. "Et parce que Sera ne t'aurait pas envoyé ici sans raison."

"Vous la connaissez vraiment ?"

"Nos chemins se sont croisés quelques fois. C'est quelqu'un qui observe... les anomalies intéressantes." Il me regarda par-dessus ses lunettes. "Et apparemment, elle te considère comme une anomalie intéressante."

Je finis mon repas en réfléchissant. Cette journée prenait un tour que je n'avais pas prévu.

"Il se fait tard", remarqua Al' en regardant la lumière qui faiblissait dehors. "Tu as un endroit sûr où dormir ?"

J'hésitai. Mon "endroit sûr" habituel était une alcôve entre deux bâtiments, avec un auvent qui me protégeait de la pluie quand j'avais de la chance.

"Il y a une petite chambre à l'étage", continua Al'. "Rien d'extraordinaire, mais c'est propre et au sec. Tu peux y rester cette nuit si tu veux."

Je le regardai, méfiant. "Qu'est-ce que vous voulez en échange ?"

Al' sourit. "De l'aide avec la boutique, peut-être ? Ces livres ne se rangent pas tout seuls, et mes vieux os commencent à me faire mal quand je monte trop souvent à l'échelle."

C'était logique. Honnête. Pas de piège apparent.

"D'accord", dis-je. "Pour cette nuit."

Cette nuit-là, j'ai dormi dans un vrai lit pour la première fois depuis des années. Les draps sentaient la lavande, et il y avait même une petite fenêtre qui donnait sur la rue. Allongé dans l'obscurité, j'écoutais les bruits familiers de la nuit d'Aethera, mais pour une fois, je me sentais... en sécurité.


Le lendemain matin, Al' me réveilla avec l'odeur du pain grillé.

"Bien dormi ?" demanda-t-il en me tendant une tasse de thé.

"Mieux que depuis longtemps."

"Parfait. Alors, si ça te dit, je peux te montrer comment fonctionne la boutique. Et en échange, tu m'aides à remettre un peu d'ordre dans ce chaos."

C'est comme ça qu'a commencé ma nouvelle vie.

Les premiers jours, je me contentais de tâches simples : épousseter les étagères, porter les livres lourds, accueillir les rares clients pendant qu'Al' fouillait dans l'arrière-boutique. Mais rapidement, j'ai réalisé qu'Al' observait tout ce que je faisais.

"Tu sais lire ?" me demanda-t-il un matin en me voyant examiner la couverture d'un livre.

"Un peu. J'ai appris avec les panneaux dans la rue."

"Montre-moi."

Il sortit un livre simple et l'ouvrit à une page au hasard. Je déchiffrai tant bien que mal quelques phrases sur l'histoire d'Aethera.

"Pas mal pour un autodidacte", commenta Al'. "Mais tu pourrais faire beaucoup mieux. Si ça t'intéresse, bien sûr."

"Ça m'intéresse! "

Et c'est comme ça que mes vraies leçons ont commencé.

Al' était un professeur patient. Il commença par me réapprendre les bases - pas seulement comment lire, mais comment bien lire. Comment comprendre le sens caché derrière les mots, comment déchiffrer les textes plus anciens dont l'orthographe avait évolué.

"La lecture, c'est comme construire une maison", expliquait-il. "Si tes fondations sont solides, tu peux bâtir n'importe quoi dessus."

Au bout de deux semaines, notre routine était bien établie. Matins consacrés aux leçons et au rangement de la boutique. Après-midi où je retournais parfois dans mes anciens quartiers - mes vieilles habitudes de survie ne disparaissaient pas du jour au lendemain et… Je devais quand même voir un peu mes copains. Mais chaque soir, je revenais à la librairie.

Al' ne posait jamais de questions sur mes sorties. Il se contentait de s'assurer que j'avais mangé et que j'étais en sécurité.

"Tu n'es pas obligé de rester, tu sais", me dit-il un soir. "Si tu veux reprendre ta vie d'avant..."

"Non", répondis-je rapidement. "J'aime bien être ici. J’aime le calme, même si ça me fait de la peine pour mes amis qui m’envient…"

Et c'était vrai. Pour la première fois de ma vie, j'avais quelque chose qui ressemblait à une famille et une certaine sécurité, mais je m’en voulais presque d’être dans cette situation.

Mes amies me rassurèrent peu de temps après, en m’expliquant qu’ils étaient contents pour moi, et que tant que je passais les voir de temps en temps ils ne s'inquieteraient pas.


C'est vers la fin de ma troisième semaine chez Al' que j'ai commencé à remarquer des choses étranges.

Tout d'abord, il y avait ma facilité croissante avec les textes anciens. Al' m'avait montré quelques manuscrits plus complexes, écrits dans des dialectes que même lui avait du mal à déchiffrer parfois. Mais moi, inexplicablement, j'arrivais souvent à en saisir le sens général.

"Comment tu fais ça ?" me demanda-t-il un jour, après que j'eus traduit un passage qui lui donnait du fil à retordre.

"Je... je ne sais pas. C'est comme si les mots me parlaient directement."

Al' me regarda longuement, mais ne dit rien.

Ensuite, il y avait cette histoire de Fièvre Magique. J'avais toujours su que je ne l'avais jamais eue, mais en vivant avec Al', j'ai commencé à réaliser à quel point c'était inhabituel.

La Fièvre Magique touchait presque tout le monde à Aethera. C'était cette maladie bizarre où ton corps accumule trop d'énergie magique ambiante et ne sait plus l'évacuer. Ça te donnait des crises - tremblements, visions, parfois tes veines se mettaient à briller comme des néons. La plupart des gens apprenaient à la gérer en grandissant, soit en utilisant des Orbes pour canaliser l'énergie, soit en développant des techniques personnelles. Je voyais même Al’, des fois, décharger un peu de son énergie dans sa librairie, ça faisait comme de la fumée dorée autour de lui. Comme si ça grésillait dans l’air.

Mais moi ? Rien. Jamais. Comme si cette énergie magique qui flottait partout dans l'air d'Aethera glissait sur moi sans m'affecter.

"C'est vraiment si rare ?" demandai-je à Al' un soir.

"Plus que tu ne le crois. La plupart des enfants ont leur première crise vers douze ou treize ans. Toi, tu en as quinze et rien."

"Vous pensez que c'est un problème ? Que j’ai simplement du retard ? "

"Au contraire", dit Al' après un moment de réflexion. "Je pense que c'est un don. Tu n’as pas de retard j’en suis certain."


C'est cette même semaine que j'ai commencé mes expériences secrètes.

Tout a commencé par accident. J'étais en train de ranger des livres dans l'arrière-boutique quand j'ai remarqué un petit cristal posé sur une étagère. Il brillait faiblement d'une lumière bleuâtre, et quelque chose m'attirait vers lui.

Je l'ai pris dans ma main, juste pour voir.

Immédiatement, j'ai senti une sensation étrange - comme un courant tiède qui remontait le long de mon bras. Le cristal s'est mis à briller plus fort, et j'ai eu l'impression que quelque chose circulait entre lui et moi.

"Kaï ? Tu vas bien ?" La voix d'Al' depuis la boutique m'a fait sursauter.

"Oui ! Tout va bien !"

J'ai rapidement reposé le cristal, mais l'expérience m'avait marqué. Cette sensation... c'était agréable. Naturel, même.

Les jours suivants, j'ai commencé à expérimenter discrètement. Quand Al' était occupé avec des clients ou parti faire des courses, je testais ma réaction à différents objets magiques de la boutique.

Les cristaux réagissaient tous de la même façon - ils s'illuminaient à mon contact et je sentais cette énergie circuler. Avec certains, c'était plus intense qu'avec d'autres.

J'ai découvert que je pouvais même diriger cette énergie un peu. La faire circuler dans mon corps, la concentrer dans mes mains, la faire passer d'un cristal à un autre.

"C'est comme de l'eau", murmurai-je un après-midi en pratiquant seul. "Ça coule naturellement."

C'était exactement l'opposé de ce que je savais sur la magie normale. D'après ce que j'avais entendu et lu, la plupart des gens devaient lutter pour contrôler l'énergie magique. Ils utilisaient des Orbes comme des outils pour la canaliser, la forcer à obéir.

Moi, j'avais l'impression de simplement... danser avec elle.


Un mois après mon arrivée chez Al', j'ai eu ma première vraie conversation avec lui sur la magie.

"Tu poses beaucoup de questions sur les Orbes ces derniers temps", remarqua-t-il un soir en fermant la boutique.

"C'est juste... j'essaie de comprendre comment ça marche."

"Et qu'est-ce que tu as compris ?"

J'hésitai. Fallait-il que je lui parle de mes expériences ? Et si je m'étais trompé ? Et si ce que je faisais était dangereux ?

"Je pense que l'énergie magique, c'est comme une rivière", dis-je finalement. "La plupart des gens essaient de la barrer, de la contrôler avec des digues et des canaux. Mais peut-être que certaines personnes peuvent juste... nager dedans ?"

Al' s'arrêta de ranger et me regarda attentivement.

"C'est une analogie intéressante. Qu'est-ce qui te fait penser ça ?"

"C'est juste une théorie."

Mais Al' n'était pas dupe. Je le voyais dans ses yeux.

"Kaï", dit-il doucement, "si tu as découvert quelque chose d'inhabituel sur toi-même, tu peux m'en parler. Je ne te jugerai pas."

J'ai pris une grande inspiration et je lui ai tout raconté. Mes expériences avec les cristaux, les sensations que je ressentais, la facilité avec laquelle l'énergie semblait circuler en moi.

Al' m'écouta sans m'interrompre. Quand j'eus terminé, il resta silencieux un long moment.

"Montre-moi", dit-il finalement.

Il sortit un petit cristal de sa poche - un de ceux qui servaient à alimenter les lampes de la boutique - et me le tendit.

"Essaie de le faire briller."

Je pris le cristal et me concentrai. Comme d'habitude, je sentis l'énergie circuler, et le cristal s'illumina d'une douce lumière dorée.

"Maintenant, essaie de varier l'intensité."

Je modulai le flux d'énergie, et la lumière oscilla en conséquence, passant d'un faible éclat à une brillance presque aveuglante.

"Extraordinaire", murmura Al'. "Kaï, ce que tu fais là... c'est ce qui prend des années à la plupart des utilisateurs d'Orbes à maîtriser, on apprend généralement ceci avec un maître dès le plus jeune âge et c’est destiné à des familles aisées. Et toi, tu le fais sans Orbe, sans formation, juste par instinct."

"C'est bien ou c'est mal ?"

"C'est extraordinaire", répéta-t-il. "Et ça explique beaucoup de choses."

"Comme quoi ?"

"Comme pourquoi Sera s'intéresse à toi. Comme pourquoi tu n'as jamais eu la Fièvre Magique." Al' reprit le cristal et l'examina. "Kaï, la Fièvre Magique, c'est quand l'énergie magique s'accumule dans le corps parce qu'on ne sait pas l'évacuer. Mais toi... toi, tu l'évacues naturellement. En permanence. Comme si ton corps était conçu pour ça."

"Conçu pour ça ?"

"Il y a des légendes", dit Al' lentement, "sur des individus nés avec des capacités particulières. Des gens qui ont une relation naturelle avec l'énergie magique, qui peuvent la manipuler sans artifices externes."

"Et vous pensez que je suis..."

"Je pense que tu es quelqu'un de spécial, Kaï. Plus spécial que tu ne l'imagines."


Cette nuit-là, je n'arrivais pas à dormir. Les paroles d'Al' tournaient en boucle dans ma tête.

Spécial. Extraordinaire. Des capacités particulières.

Toute ma vie, j'avais juste été un orphelin des rues qui avait de la chance de ne jamais tomber malade. Et voilà qu'Al' me disait que j'étais peut-être... quoi ? Un prodige magique ?

Le lendemain matin, Al' m'a trouvé déjà debout, en train de lire un de ses livres sur la théorie magique.

"Tu n'as pas dormi ?"

"Pas beaucoup. J'essayais de comprendre."

"Et qu'est-ce que tu as trouvé ?"

"Que je ne comprends rien du tout", avouais-je. "Tous ces livres parlent de techniques complexes, de formules, de rituels. Mais moi, je n'ai besoin de rien de tout ça. L'énergie vient juste... naturellement."

Al' s'assit à côté de moi.

"Kaï, il faut que tu comprennes quelque chose. Ce don que tu as, c'est précieux. Mais c'est aussi potentiellement dangereux. Il y a des gens dans ce monde qui... qui ne verraient pas d'un bon œil quelqu'un avec tes capacités."

"Quel genre de gens ?"

"Des gens qui profitent du fait que la magie soit difficile à maîtriser. Des gens qui vendent des Orbes, qui contrôlent l'accès à l'éducation magique, qui tirent leur pouvoir du fait que la plupart des gens ont besoin d'eux pour gérer leur magie."

Je comprenais. Si quelqu'un découvrait que je pouvais faire naturellement ce que les autres payaient cher pour apprendre, ça poserait des problèmes.

"Qu'est-ce qu'on fait ?"

"On continue tes leçons. Mais discrètement. Et on apprend à contrôler et à cacher tes capacités." Al' me regarda sérieusement. "Kaï, je vais t'enseigner tout ce que je sais sur la magie, mais tu dois me promettre d'être prudent. De ne jamais révéler tes capacités à n'importe qui. Ne les utilises pas à l’extérieur."

"Je te le promets."

"Bien. Alors commençons par la base : comment fonctionne vraiment l'énergie magique dans notre monde."

Et c'est comme ça que mon vrai apprentissage a commencé. Pas seulement apprendre à lire et à écrire, mais comprendre les forces qui gouvernaient notre réalité.

Une éducation qui allait changer ma vie pour toujours.


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