Chapitre neuf: soi toi...

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Gloria s'énerve. Elle est totalement furax. Elle a reçu les bulletins de notes de tous le monde. Ce n'est pas des Alexis Alexandrovitch. Admettons. Mais quand même. Les absences d'Oscars sont encore plus nombreuses que celles de Lucien. Il s'en sort en anguille. Oscar en prends pour son grade. Lucien sourit. Il a des absences, certes. Mais bien moins que l'année dernière, les notes ne sont plutôt dans la moyenne, même honorables en littérature et en anglais. Les maths c'est chaud. Mais c'est la seul en dessous de dix. Il est assez fier de lui. Alors qu'Oscar a bien déconné et Marie a carrément esquivé le sport. Il l'attends au tournant si elle ose venir lui refaire la morale celle-là. Il peut remonter dans sa chambre. Tous le monde se tait dans la maison, appréciant que ce petit con prétentieux se fasse lyncher. Lucien lui reconnaît tout de même d'assumer pleinement. Il dit clairement à Gloria furibard qu'il s'en contre fou. Elle hurle pour ne pas le gifler. Il est assez con pour la dénoncer. Alors ils deviendraient tous orphelin. A nouveau. Lucien finit par ne plus supporter le bruit. Il met son casque et se connecte sur Instagram, réseau social où plus du quart de la planète passe sa journée. Il aime les actus et les partages. Les dates de concert ou de manif. Les nouveaux artistes. Il fouine un peu. Il faut ce qu'il faut pour trouver quelque chose de valable. Elle lui saute aux yeux. Un dessin simple, des traits noirs sur papier blanc. Il pense à elle et se demande... C'est son nom. Il n'y a en revanche aucune photo. Seulement des poèmes et des dessins. C'est beau et c'est... foutrement différent. Il ferme la page. Il réfléchit. Il aimerait en savoir plus sur elle. Sur leur parcours à elle, sa sœur et sa mère. Et le mystère du père. Il ne sait pas ce que c'est de perdre un parent. Il était bien trop petit. Mais il pense à Gloria. Il pense pouvoir l'imaginer. Il a mal pour elle. Il s'était toujours sentit orphelin. Certes, il lui manquait quelque chose, mais il ne se rappelait pas avoir ressentis la perte. Un vague à l'âme constant, mais pas de déchirure. Peut-être qu'en perdant Gloria, un jour... Ou ses amis... Ou la petite pervenche en bottines... Cela faisait trois mois qu'ils se connaissaient et s'apprivoisaient, mais avec sa nouvelle conduite, ils n'avaient plus beaucoup de temps à passer ensemble. Elle tenait son rôle de garde fou, comme les trois branleurs qui le tenaient à bout de bras. C'était la première fois que Lucien se montrait aussi déterminé et droit dans une décision, et pas n'importe laquelle : se discipliner. Il avait dix-sept ans depuis novembre. Ils avaient fêté le nouvel an seulement tous les quatres, Joffrey, Pierre, Simon et lui. Pas de meufs, pas de drogues dures, pas de casse. Du son, des pétards et de la bière. Avec leur passif, cela aurait pu leur paraître fade, mais ce fût complètement l'inverse. Ils passèrent des moments déchanges et d'intimité qu'ils n'avaient plus depuis des années. Ils étaient allé danser et chanter dans un bar, et ils étaient rentrer mater un film. Et Lucien en gardait un merveilleux souvenirs, remplit de complicité et de rires. C'était incroyable comme la simplicité peut receler tant de trésors. Il avait eut envie de voir Ash, de la prendre dans ses bras et de l'embrasser pour commencer cette nouvelle année. Mais il la voyait au Lycée et ils s'accordaient de douces heures de tendresses, à canabeach, plage naturel au bord de la rivière aux abords du gymnase et du lac. Elle lui lisait des poèmes aussi, et il lui proposait des mélodies qui semblaient les faire danser. Souvent elle lui disait que oui, c'était exactement ça, c'était la mélodie de ce poème, son essence derrière la voix. Auprès d'elle, la vie était une poésie, pleine de charme et de magie. Il ne s'était pas battu depuis une éternité, il filait droit. Il avait parfois la pulsion de tout envoyer balader, de tabasser Oscar, d'insulter un prof, et de s'échapper plusieurs en teuf ou en festival. Puis il se souvenait du regard d'Ashoka au bord du lac après que Marie l'ait giflé. Il ne voulait plus être ce gars là, qui n'en a rien à foutre de tout et fonce tête baissé, quitte à blesser du monde sur son passage. Mais ce qui l'angoissait alors, c'était cette question : faisait-il cela pour lui plaire à elle, ou pour se plaire à lui-même ? Si la réponse était la première, cela signifiait que sans elle, tout s'effondrerait comme un château de carte. Et son ego avait du mal à supporter que cela ne tienne qu'à la présence de cette fée perdue entre les humains. Perdue, mais affirmée dans sa perdition. Il eut un petit rire niais qui le fit grogner aussitôt.



Ashoka est sur son lit. Elle dessine un arbre sur une grande feuille cartonnée. Une A2. Le tourne disque fais passer les Pink Floyd. Elle n'entends pas la voiture de sa mère dans l'allée. Aussi n'éteint-elle pas les bougies qu'elle est censée ne jamais allumer. Elle laisse sereinement se consumer l'encens. Un joint au bec. Léopoldine entre. Elle va poser son bardât dans son bureau et se dirige vers la cuisine. Elle ne devrait pas grignoter en rentrant. Elle ne devrait pas boire de vin rouge tous les soirs. Elle ne devrait pas manger trop gras, trop sucré, trop salé. Elle devrait méditer. Elle devrait arrêter de fumer. Elle se fait un en cas. Fume une clope. Elle écrase lentement son mégot. La tête ailleurs. Avec son homme. De toute façon à quoi ça lui a servit à lui? Lui qui n'a jamais fumé. Lui qui ne buvait que très peu. Lui qui bouffait que des graines. Il était son lapin des îles. Un hippie camouflé. Un cœur gros comme le monde. Avec un amour inépuisable. Et un besoin de justice. Justice pour la vie, les rivières, les arbres, les animaux. Elle savait qu'il aurait été un père génial et insupportable. Les filles l'auraient adoré et haïe. Et il aurait été tellement touchant et maladroit. Elle rit toute seule. Puis pleure, aussi. Un coup. Pendant qu'elle est seule. Qu'elle peut le faire en toute liberté, pour exterioriser. Comment avait-il pu disparaître comme ça ? Elle regarde l'heure. 19h15. Elles devaient sans doutes être chacune dans leur chambre. Elles viendraient vers 20h. Pour le repas familiale. Ashoka toujours la tête dans la lune. Siobhan s'exhibant, parlant, chantant, dansant, criant, pleurant, riant, se moquant, vivant! Vite. Avec excès. Hyperactive. Et leurs cheveux... Elle rit encore. Après tout, si elles ne le faisaient pas à dix-huit ans, elles le ferait quand ? Lune rose. Pile bleue. Allons-y. Si ça leur donne quelque chose qui peut leur donner un peu de ce qu'elles n'ont plus. Elle ne sait pas si elle s'en sort bien avec ses filles. Elle lit des livres que jamais elle n'aurait cru lire. Des conneries comme "canaliser vos adolescents avec la méthode douce" ou encore " Leur parler, c'est la clef". Mais elle avait la frousse. Putain oui, son estomac noué sans cesse. Elle s'inquiétait pour tout. Elle qui avait traverses les mondes, vu des choses incroyables et fantastiques, autant qu'effroyables et traumatiques. Ce nouveau monde qui semblait pour tous les autres être celui qui avait toujours existé, lui semblait inconnu et hostile. Mais rien de terrible ne vint les frapper après leur retour à l'orphelinat, au contraire. Siobhan semblait bien s'en sortir et Ashoka… Elles étaient toutes les deux marginales, un peu folle, mais Ash était particulièrement ailleurs. Elle ressemblait à sa grand-mère. Sa mère à elle. Mystique. Siobhan ressemblait à son père. Elle en était réconforter, une partie de ses chers disparus vivaient en chacune de ses filles. Elles allaient faire leur route. Avec joie, elle ferait tout pour. En prenant la vie comme un jeu, les échecs comme des apprentissages, les obstacles comme des challenges, les victoires reconnues et félicitées. Ashoka était une extra-terrestre. Elle parlait peu. Elle mangeait peu. Elle fumait beaucoup. Des joint et des clopes. Peut-être prenait-elle d'autres choses. De celles qu'elle avait déjà goûté avant. Et Ashoka faisait sans doute pareil. Elle faisait sa vie, mais elle ne se rebellait pas. Elle était d'accord, elle savait que c'était juste. Elle ne trouvait pas de fausses excuses au contraire de sa sœur. Elle restait calme. Parfois les larmes coulaient sur ses joues sans qu'elle n'émette le moindre son. Ca lui fendait le cœur. Siobhan, elle, mentait avec aplomb, répondait, discutait, criait, fustigeait. Elle avait un caractère bien trempé, envie d'avoir le dernier mot, son père en version immature. Car Louis savait lui donner raison quand c'était le cas. Elle était son portrait. Elle avait la sensation de mieux la connaître alors. Elle avait confiance en son jugement. Elle ne dépassait pas franchement les limites. Posait le pied dessus, souvent. Mais jamais un pas de plus. Ashoka transgressait tout, dans le plus grand calme. Elle vivait avec ses propres règles. Elle était dans son monde, cohabitait corporellement donc se soumettait aux punitions, aux engueulades. Mais sinon… Elle était admirative de ce tempérament, de cet esprit libre qu'elle incarnait mais elle était parfois tout bonnement et simplement terrifiée. Elle demandait de l'aide à des associations de temps à autres. Cependant rien ne la faisait plier. Rien. Elle les aimait de tout son cœur, de toute son âme, de tout son être et le leur prouvait de maintes façons tendres et simples, dans toutes leurs facettes, pour ce qu'elles étaient. Oui. Aimer. Pour ça, elle était douée.


Lucien se rend à la salle à manger. Sept gosses de tout âge autour d'une table rectangulaire. Gloria est à une extrémité. Et il attends, attends que tous échangent, déconnent, s'engueulent. C'est une cacophonie sans noms. Un brouhaha incessant qui l'agresse mais qui est en même temps si familier que parfois, lorsqu'il partait à droite, à gauche, ça lui manquait. Mais pas ce soir. Il a envie de sortir prendre l'air. Il a envie de silence. De solitude. Le repas semble durer une éternité. Marie s'est de nouveau scarifiée mais Gloria ne crit pas, elle est douce. Elles discuterons mieux plus tard. Les plus petits jouent avec la nourriture. Là Gloria hurle. Ici on ne joue pas avec la nourriture. On ne joue pas avec ce qui est précieux, ce qui est le fruit de la terre et du travail. Gloria est intransigeante sur ce sujet. Elle a même fessé un gamin une fois. Pourtant, elle ne se laisse pas facilement emporter Gloria. Elle hurle, mais c'est par nécessité. Le repas tire à sa fin. Mais il doit attendre que tous ai terminé. Il croise le regard doux et chaleureux de sa mère. Il comprends qu'elle le laissera filer sans lui demander où, pourquoi, quand, qui. Merci. Le signal est donné. Chacun ramasse son assiette, ses couverts, son verre. Une fois son assiette lavée et rangée, ainsi que chacun doit le faire, dès deux ans, il prends la porte. Ses poumons s'ouvre à la fraîcheur de l'air. Sur ce, il les enfumes en partant en marche.


20h. Siobhan, sa mère et Ashoka se rejoignent dans la cuisine. Ash met la table. Léopoldine fait à manger. Siobhan joue avec son I-phone. Elle débarrassera. La radio est allumée. Siobhan raconte avec enthousiasme sa journée. Elle se fait confirmer son cadeau d'anniversaire. Elle est ravie, parle de plus belle, raconte divers ragots de la fac dont Ash et leur mère se contrefoutent franchement ne connaissant ni Eve, ni Adam, malgré leurs nouvelles tennis, et leurs nouveaux partenaires. Léopoldine tente gentiment de la faire taire en détournant son besoin de calme avec une plaisanterie afin que Siobhan ne se vexe pas. Ashoka se tait. Elle écoute les ondes. Elle a les yeux grands ouverts. Des images dans la tête alors que les mots du présentateur s'immice dans ses oreilles jusqu'à son cerveau. La guerre. La déforestation. La crise. Les sdf. Les animaux en cages pour divertir les cons. Les décisions politiques qui ne mènent à rien. Ou pire. Son visage est immobile. Mais elle souffre à l'intérieur. Elle aimerait être moins réceptive à la souffrance du monde. Elle aimerait bien être inconsciente des choses, comme Siobhan. Les infos se terminent. Le repas aussi. Une émission sur la montée du fascisme en france commence, avec bien sur les arguments d'abrutis racistes et stupides. Là, elle atteint sa limite. Elle sait que Siobhan aime bien, qu'elle est intéressée par la politique. Elle sait que sa mère n'y croit pas plus qu'elle mais qu'elle veut rester informer. Ahoka demande à sortir de table. Elle débarrasse un peu la table par habitude. Siobhan aime se faire hurler dessus avant de se mettre à l'action. Elle les laissent et sort. Bouleversée. Bien sur, cela fait longtemps qu'elle sait ce qu'il se passe dans le monde. Elle s'informe avec divers journaux et internet. La pluralité des points de vue est pour elle la seule façon de se créer sa propre opinion. La sienne est que l'être humain est la chose la plus vil et la plus dangereuse qu'il puisse exister sur terre. Tout en était pleinement émue par les diverses belles choses que fait l'humanité. Mais qui semble de plus en plus rare. Elle ressens une telle tristesse et une telle haine. Elle marche un moment, elle met de la musique dans ses oreilles. Elle continue de marcher encore. Sans but précis. Puis elle voit passer une voiture, assez lentement pour qu'elle puisse remarquer un enfant, d'environ quatre ou cinq ans. Il jouait avec ces nouvelles tablettes dont tous sont friant. Elle détourne la tête et continue de marcher. Elle s'aperçoit qu'ils ont coupé un arbre. Un arbre de plus de cent ans qui vivait tranquillement . Ils l'ont coupé. Elle se met à courir. Comme pour échapper au monde. Elle court. Encore. Elle s'arrête dans un parc. Elle regarde un moment autour d'elle. Il y a des arbres en vie. Pour combien de temps? Elle imagine que bientôt ils auront besoin de place. Elle se met à pleurer. Beaucoup. Violemment. Elle songe que ce monde est en train de détruire tout ce qu'il y a de bon De beau. De pure. Cela lui intime une si vive souffrance qu'elle tombe dans l'herbe, se roule sur elle-même parce que ça se tord dans son ventre et puis elle pleure encore. Jusqu'à littéralement hurler de chagrin.

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