Jour 2 - Soul bond/âmes liées
Pour la première fois de sa vie, Tulik Soran était effrayé. Dans quelques minutes, la cérémonie de fiançailles commencerait. Il ne savait pas à quoi s’attendre et, venant d’un enfant de huit ans, la peur était une réaction totalement logique à une situation inconnue.
Il frémit en entendant des pas qui s’approchaient de lui.
— Dakh-voh pthak, récita-t-il.
— Ri nam-tor ret na fan kitok abi’dakh odu pthak, poursuivit une voix de fillette.
Il ouvrit les yeux. Assise sur la pierre rouge, à un bon mètre de lui, une enfant le regardait avec douceur.
Ka’i Yo’wun T’lanika avait six mois et dix-sept jours de moins que Soran. On racontait que sa famille avait du sang Romulien – il ne savait pas si c’était vrai. Son charme exotique était indéniable. Elle avait le teint pâle, des yeux bleus en amande et de longs cheveux noirs aux reflets violacés.
— Tu as peur ? demanda-t-elle.
— Non, mentit Soran.
Il tremblait comme une feuille.
— Moi, dit T’lanika, j’ai peur. Mais ne le dis pas à mes parents.
Elle portant une longue robe cérémonielle bleu pâle et un voile tenu par un fin diadème délicatement ouvragé. Son maquillage discret faisait ressortir le vert tendre de ses joues rondes – comme lui, elle était encore une enfant.
…
L’ambiance de la cérémonie était étouffante et solennelle. L’estrade sur laquelle se déroulait l’union était entourée de flambeaux. Des hommes aux visages masqués frappaient des tambours et agitaient des clochettes en un rythme saccadé. Une femme jouait une mélodie lancinante sur une ka’athaira. Les parents de Soran se tenaient du côté gauche, un peu en retrait. Ceux de T’lanika s’étaient placés du côté droit, à une distance à peu près égale.
Et eux se tenaient au milieu de l’estrade, aussi dignes que ne pouvaient l’être deux bambins inquiets.
La matriarche du clan de T’lanika s’avança vers l’estrade. C’était une Vulcaine élancée, vêtue de longues robes richement ornées. Elle abattit son bâton sur le sol poussiéreux et jeta une poignée d’une substance poudreuse dans les flammes. Une odeur d’encens s’éleva. Elle frappa la terre une seconde fois, et la musique s’intensifia, rythmique et obsédante.
— Comme il en est depuis la nuit des temps… Comme il en sera pour toujours…
À chaque mot, la voix de la vieille femme devenait plus forte et perçante.
— Comme le veut la tradition du Kan-Telan… Que soit fait ce qui doit être fait !
Elle inclina lentement la tête. Les proches et les musiciens entonnèrent un chant bas et vibrant. Les deux enfants tremblaient, agités par une transe étrange et surnaturelle. Tout tournait autour d’eux. La matriarche donna un ordre qui ressemblait plus à un cri. Soran s’avança et saisit les mains que T’lanika lui tendait.
Quand leurs consciences se mêlèrent, il poussa un cri de douleur. Il eut l’impression de flotter, de sombrer dans un vide froid et silencieux.
Puis plus rien.
…
Soran se releva le plus discrètement possible, traversant la pièce sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller le gros sehlat paresseux qui ronflait au bout de son lit. Il se pencha à la fenêtre, se hissa sur le rebord, puis commença à escalader la façade. Il gagna le toit de la maison en moins d’une minute, sans même avoir à sortir les griffes. Les pierres irrégulières lui offraient de bonnes prises – il avait l’habitude.
Il fit me même chemin qu’à l’ordinaire, empruntant sans crainte les ponts de bois et de corde tendus entre les sommets plats des bâtiments de Shi’Kahr. La nuit, les toits de la capitale se métamorphosaient, repaires des solitaires, des artistes, des rêveurs comme des criminels. C’était là que les adolescents se retrouvaient pour refaire le monde en s’enivrant de k’vass.
Soran ne prenait pas part à ces réunions. Il avait d’autres choses plus importantes à faire.
Il retrouva T’lanika à l’endroit habituel. Elle était assise sur le toit de la bibliothèque, jouant un air de ka’athaira. Elle le salua en lui faisant le ta’al, il lui rendit.
— Tu vas commencer ton Kolinahr ? questionna-t-elle.
Elle lui versa une tasse du thé qu’elle avait apporté avec elle.
— Non. On me l’a refusé. Et toi ?
— Non plus. Je ne vais pas le faire.
De surprise, Soran recracha le thé et laissa échapper la tasse, qui tomba du toit et s’écrasa quinze mètres plus bas.
— Tu quoi ?
— J’ai décidé de laisser tomber cette voie. J’ai envie de vivre avec mes émotions.
Il ne s’attendait pas à ça.
— Tu veux devenir une v’tosh ka’tur ?
— C’est un vilain terme, Soran. J’ai parlé à un chercheur à l’Académie, un descendant humain.
— Et il t’a convaincu de tout arrêter et de te laisser dominer par tes émotions ?
— Cela fait six mois que j’y réfléchis, Soran.
— J’imagine que c’est la seule décision logique ?
— C’est ça, oui, railla T’lanika.
…
Soran eut du mal à garder son calme quand il vit l’enveloppe. Il la saisit délicatement et, claquant la porte derrière lui, gagna la cuisine.
— Je viens de recevoir une lettre, annonça-t-il.
T’lanika releva la tête de sa planche à découper. Sa main gauche était d’un rouge violent, tachée par le jus des plomeeks qu’elle était occupée à éplucher et trancher.
— Ton ordre de mission ?
— Je ne sais pas.
Soran ouvrit l’enveloppe d’un coup de griffe et en tira la lettre.
— Ordre de mission, en effet.
Sa femme posa son couteau et hocha la tête, souriante. Il avait eu du mal à la voir montrer les dents comme ça, en une mimique qu’il trouvait plus agressive qu’amicale, mais s’était finalement habitué.
— On me demande comme officier scientifique pour le projet pilote Adventure.
— L’Adventure ? Ce n’est pas ce vaisseau mi-humain mi-Vulcain ?
— En effet.
T’lanika fit couler un peu d’eau sur ses mains, sans parvenir à éliminer totalement les taches écarlates. Soran refusa la main dégoulinante d’eau et de plomeek qu’elle lui tendit.
— Non merci.
— Tu vas leur apporter ta logique rationnelle supérieure ?
Elle le narguait – cela faisait presque huit ans qu’elle s’était abandonnée à ses émotion et Soran, la voyant saine et heureuse, envisageait de faire la même chose.
…
La sonnerie de l’intercom tira le commandant Tulik de sa rêverie. Il se leva de son bureau et accepta l’appel.
Un message brouillé du centre de communication lui parvint.
— Un message de Tulik T’lanika. Indistinct. Elle mentionne un « Code vert », quoi que cela puisse signifier.
Soran tressaillit.
— Mettez le cap sur Vulcain, ordonna-t-il.
Ils y arrivèrent six jours plus tard. Soran se téléporta à la demeure familiale, qu’il trouva vide. Un voisin lui apprit que sa femme avait été hospitalisée. Le pon farr l’avait frappé durement. Il prit immédiatement la décision de la visiter.
…
T’lanika alla mieux quelques jours. Puis elle rechuta. Elle était souffrante. D’après les soignantes, elle était affectée d’un déséquilibre mental qui s'était étendu à tout son système nerveux, mettant sa vie en danger. Ses visites à l’hôpital grignotèrent son quotidien jour après jour.
Soran avait été promu capitaine. Il n’avait pas pu donner sa démission – tout un vaisseau avait besoin de lui. Cela lui brisait le cœur de laisser sa femme malade seule sur sa planète.
Quand il reçut une communication lui disant de regagner sa planète d’origine, il n’hésita pas. T’lanika portait son enfant.
C’était une petite fille. Elle naquit un jour de tempête, alors que les feux de sable faisaient rage autour de la cité. Ils la nommèrent Kachina, comme la grand-mère maternelle de T’lanika.
Soran ne pouvait laisser sa fille seule. T’lanika, malade, n’était pas capable de s’en occuper. Et séparer la mère et l’enfant aurait été mauvais, très mauvais.
T’lanika et Kachina élurent donc domicile sur l’Adventure.
…
— Nikka… ne me laisse pas.
T’lanika regardait son mari avec tendresse, du fond de son lit de l’infirmerie.
— S’il te plaît… gémit Soran. Reste avec moi !
Il se tourna vers le médecin-chef. C’était une humaine grande et fine, toujours d’humeur à se plaindre, mais remarquablement compétente et intelligente. Son nom était Liliana Mendoza.
— N’y a-t-il pas moyen de transférer son katra ?
— Son katra est endommagé – vous ne voulez pas avoir ça dans votre tête, croyez-moi.
Soran serrait Kachina dans ses bras. Elle n’avait qu’un an, quatre mois et six jours.
Le capitaine tendit sa fille au médecin pour prendre la main de son aimée. Les doigts de T’lanika étaient froids. Il ne ressentit rien.
— Je t’en prie…
— Ashau nash-veh tu, souffla T’lanika.
Puis ses yeux se fermèrent.
Kachina laissa échapper un hurlement déchirant quand le lien se rompit. Son esprit était livré à lui-même, sans aucun rempart, aucun point d’attache.
Soran ne pleura pas.
Il en était incapable.
Mais il savait qu’il ne serait plus jamais le même.

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