Chapitre 2

2 minutes de lecture

« Pour qui la roue va-t-elle tourner ? Pour le savoir, retrouvons... »

Quelle rengaine ! J'avais l'impression qu'à chaque grand tirage, ils rallongeaient la sauce. Le précédent ne m'avait pas semblé aussi long. Déjà trois heures que l'émission était diffusée et seulement six numéros avaient été annoncés, entrecoupés de réclames, d'interventions de spécialistes, de reportages... Et, bien sûr, entre chaque séquence, cette question entêtante qui me remplissait la tête autant qu'elle pouvait me la vider : « Pour qui la roue va-t-elle tourner ? » . La ritournelle répétée avec application par la speakerine était reprise par les reporters pour conclure leurs micros-trottoirs. Une question simple, facile à comprendre, à retenir. Une obsession qui nous envahissait jusqu'à nous mettre la nausée. C'était ça qui m'usait et non pas le fait d'avoir accéléré la cadence à la chaine de production toute la journée. Un coup de collier nécessaire pour rentrer plus tôt, comme tous les collègues, s'installer confortablement chez soi et assister à... tout ce cirque.

_ Reviens donc ! Ils reprennent le tirage !, entonna Colette qui me sortit ainsi de mes ruminations.

Enfin ! Tout le monde allait connaître le dernier numéro.

cloc. Je fermai la valise avec mes quelques effets personnels, rassemblés le temps d'une énième réclame télévisuelle.

_ Tu viens ?!

Sans un mot, je la rejoignis et quittai la chambre. Notre chambre.

Colette n'était pas dupe et ce dernier numéro la préoccupait. Il suffisait de la voir faire ces va-et-vient inutiles. Elle ne tenait plus en place. D'habitude elle restait assise, les yeux rivés à l'écran. Mais là... Il fallait la secouer.

_ Tu peux pas t'asseoir, non ? La cuisine est toute propre, mais il faut que tu la nettoies quand même !

_ Et toi ? Tu faisais quoi dans la chambre ?

_ Je... je me dégourdissais les jambes.

_ Et bien moi, je fais pareil. Sauf que je me dégourdis utile.

_ Utile ? Ah ! En époussetant le portrait du Chancelier ? T'es pressée...

_ Tais-toi , ça reprend, me coupa-t-elle pour s'asseoir aussitôt, abandonnant portrait et chiffon.

Je m'installai à ses côtés. Elle m'adressa un sourire inquiet, me prit la main puis déporta toute son attention à la télé.

Elle avait toujours été captivée par ce qui s'y diffusait. Souvent, quand je revenais de l'usine, je la surprenais rivée à l'écran. Elle attendait alors que je m'assoie à ses côtés pour m'embrasser sans lâcher des yeux le téléviseur sacré. Finalement, j'avais bien fait de passer la nuit d'avant à régler le poste. Au départ, c'était pour assister au tirage avec la meilleure qualité d'image possible. Mais j'étais désormais convaincu que si je devais la laisser seule, ici, dans notre petite cuisine, il lui resterait encore cette télé. Mon baiser en moins.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Eric LAISNE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0