Chapitre 3

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Les caméras de la chaîne d'État se braquèrent à nouveau sur le pupitre du vieil homme dont le costume gris, sans fioriture, incarnait la rigueur et la neutralité qu'il se devait de garantir.

Solennellement, il s'approcha du micro et relut son papier.

_ Par les pouvoirs de porte-parole qui me sont conférés, nous allons procéder, dès à présent, au tirage du dernier numéro de la Loterie Nationale.

À ses côtés, son assistante ôta le voile noir qui recouvrait la sphère de plexiglas. Le geste, aussi vif qu'au tirage du numéro précédent, réveilla le hamster logé dans la petite roue motrice de l'axe central du globe. Pris de panique, le petit rongeur s'affola et courut à toute vitesse, actionnant, de fait, le roulement du dispositif et le mélange des dizaines de perles de plastique blanches qui renfermaient les précieuses informations chiffrées. Parmi elles, le point final qui devait libérer tout le monde de ce suspense insoutenable. Moi, j'avais le pressentiment que les jeux étaient faits, mais Colette, elle, y croyait-elle encore ?

Elle attendait que l'animal décide de s'arrêter pour faire tomber la bille la plus proche de la trappe d'extraction et connaître, enfin, la combinaison dans son entièreté. Si tout le monde gardait en tête la sempiternelle question, "pour qui la roue va-t-elle tourner", j'avais encore la force de m'en poser une autre, plus pressente, plus terre-à-terre : Combien de temps cette petite bête allait-elle courir ?

Car les rongeurs, affolés à la vue de toutes ces petites coquilles qui virevoltaient autour d'eux, couraient bien souvent jusqu'à épuisement. Il avait fallu trente-deux minutes et vingt secondes au précédent hamster pour s'arrêter et autant de temps pour découvrir le numéro sortant.

Celui-ci devait être de la même portée. Le minuscule rongeur semblait être parti pour ne plus jamais s'arrêter. À l'allure où il filait, il mettait toutes les chances de son côté pour battre le record de son prédécesseur. La cadence effrénée qu'il suivait rendait ses petites pattes imperceptibles. Il fendait l'air à vive allure, son poitrail immaculé se confondant avec la nuée de billes de plastique qui s'agitaient, dans un cycle infernal, autour de lui. Il bravait la tempête qu'il provoquait lui-même, allant jusqu'à défier les lois de la pesanteur et nier celles de la force centrifuge. S'il pouvait au moins accélérer le temps ! Ainsi, comme si l'émission n'était pas assez longue, chaque tirage était une épreuve de patience supplémentaire. Et l'attente de connaître ce dernier résultat paraissait interminable. À la limite du supportable.

_ Bon, allez ! s'écria Colette en briquant à nouveau le portrait de notre chef d'État.

_ Oh, c'est pas vrai, tu vas pas remettre ça !?

_ Je peux pas faire comme toi. Attendre, là, immobile !

_ Qu'est-ce que tu veux faire d'autre ?

_ Agir. Même si ça sert à rien. Ça m'évite de penser. De m'imaginer que tu...

Elle cessa brusquement la conversation et montra l'écran.

La petite bête s'était arrêtée quelques minutes seulement après avoir démarré ses tours de roue. L'animal fixa alors la caméra. Le plan serré sur ses deux orbites d'un noir profond, abyssal, laissait à penser que ce brusque arrêt était un acte volontaire, aussi implacable qu'impartial, sans retour possible. Il semblait être conscient d'avoir décidé de la fin du tirage, d'avoir désigné la personne qui détenait la combinaison complète.

La sphère commença alors à ralentir, entraînant la chute de la première bille dans la trappe d'extraction. L'assistante l'apporta au porte-parole qui la dévissa. Il sortit de la petite coque opaque une bandelette de papier de quelques millimètres sur laquelle était inscrit le dernier numéro. L'officiel s'approcha du micro, rehaussa ses lunettes et s'assura d'avoir bien lu les informations minuscules qu'il tenait entre ses doigts. Un silence religieux s'imposa. Dans la salle du tirage, dans toute la capitale, des villes jusqu'aux campagnes les plus reculées, la nation tout entière était suspendue aux lèvres du porte-parole.

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