Chapitre 6

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_ Voilà. Vous êtes en sécurité maintenant, m'assura un jeune homme assis à mes côtés. Mes respects, Chancelier, poursuit-il. Je suis Eustache Favreau, votre conseiller personnel.

Il fit un geste discret en direction du chauffeur qui guettait ses ordres à travers le rétroviseur.

Ce dernier mit le contact et fit vrombir le moteur afin de se faire entendre des soldats de la garde sommés de lui ouvrir un passage.

La voiture avança, au pas. Lui, reprit sa présentation.

_ Chancelier, je sais que vous n'aviez pas envisagé cette prise de fonction, mais laissez-moi vous rassurer. Pendant toute la durée de votre mandat, chaque jour de ces trois années à venir, je serais là pour vous guider, vous expliquer tout ce que vous voulez savoir. À vos côtés, les meilleurs spécialistes et analystes sont là pour vous accompagner. En fait, vous avez à votre disposition toutes les forces vives du pays afin de prendre les bonnes décisions, au bon moment. Laissez-moi maintenant vous expliquer notre organisation journalière. Tout d'abord...

Le débit ininterrompu de cet homme me donnait le tournis. Le convoi flottait, lentement, dans la rue qui m'avait vu naître, au milieu d'un cortège de curieux qui s'étaient amassés en nombre et dont je ne devinais que les ombres derrière les vitres teintées.

_ ... des rendez-vous avec les chefs d'État pour des accords économiques, par exemple. Ensuite...

_ Excusez-moi.

_ Oui, Chancelier ?

_ Vous pouvez baisser la vitre, s'il vous plait. J'ai... j'ai besoin d'air.

_ Pardon Chancelier, s'interrompit-il avant de faire signe au chauffeur qui s'exécuta aussitôt.

Une bouffée d'air frais vint de l'extérieur. La voiture n'avait avancé que de quelques mètres depuis mon départ. Des visages connus surgirent parmi la foule. Madame Huguette, les fils Devaux, Toni, le charcutier d'en face... De toutes les rues avoisinantes, des hommes, enfants sur les épaules, des femmes, des personnes âgées se pressaient aux abords du convoi. L'un d'eux m'interpella. C'était Emile, un collègue de l'usine. « Hé ! Lulu ! j'espère qu' tu f'ras des choses pour nous. Et pas de travers ! Pas comme tous les autres ! » .

Le convoi continua sa route à la même allure. Emile attendait une réponse de ma part. Mais je restai muet, incapable de dire quoi que ce soit. Le seul retour que je pus lui adresser fut un vague salut de la main. Il s'éloigna derrière moi, avalé par la foule.

Puis, de ma vitre, j'aperçus mon immeuble et la frêle silhouette de Colette à sa fenêtre. Je passai la tête et lui fis signe. Elle me répondit. Instinctivement, je continuai à agiter la main sans la quitter des yeux. Soudain, les badauds s'amassèrent derrière la voiture, devant ma femme que je perdis de vue. La distance venait de marquer du terrain entre nous, mon immeuble, ma rue, mon quartier. Lentement, j'avais l'impression de quitter ma vie. Sans en avoir envie.

_ Continuez !, m'intima Eustache.

_ Continuer quoi ?

_ A saluer !

_ Je faisais signe à ma femme.

_ D'accord, mais pensez aussi à votre collègue, à tous les autres, ces hommes et ces femmes, dans les rues. Ils sont descendus pour vous !

_ Je vais pas saluer des inconnus.

_ Permettez-moi de vous rappeler, Chancelier, que ces inconnus comptent beaucoup sur vous. Vous venez de leur quartier. Vous savez, vous êtes le premier élu par les lois du hasard issu des quartiers populaires. Vous avez entendu Emile ? Vos décisions vont beaucoup peser durant votre règne. Il va falloir prendre les bonnes et vite car votre règne, lui, est court. Très court !

_ Court ? Trois ans sans voir ma Colette, vous trouvez ça court ?

_ Je comprends... mais cette séparation est nécessaire pour rester concentré. Et vous savez bien qu'elle va bénéficier, dès ce soir, d'une protection rapprochée, à l'abri des besoins. Vous verrez, quand votre mandat sera terminé et que vous rejoindrez votre épouse, vous vous direz que ces trente-six mois, c'est finalement trois fois rien, et que la roue tourne plus vite qu'on ne le croit !

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