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D’un geste de la main, Abou Saïf donna l’ordre à deux de ses hommes de se diriger vers la passerelle. Il vit les deux Tchétchènes prendre leur élan, s’élancer silencieusement vers leur objectif et disparaître dans l’obscurité. AK47 en bandoulière, ils portaient chacun à la ceinture une grande lame courbe. Cinq minutes s’écoulèrent. Soudain une lumière rouge commença à clignoter à l’intérieur de la vedette. La voie était libre. Pendant ce temps, le feu d’artifice continuait de plus belle.

Pénétrant à son tour sur le bateau, Abou Saif vit Ramzan et Aslan dont l’un tenait en joue un homme terrifié. Un autre gisait par terre dans une mare de sang rouge vif, la gorge tranchée.

“Je suis Abou Saif Al Faransi. Tu n’as rien à craindre.” dit Abou Saif à l’homme. “Quel est ton nom ?”. Celui-ci ne réagissant pas, Abou Saif répéta sa question. “Omar” lui répondit l’homme qui semblait sur le point de s’évanouir.

« Omar, combien de personnes doivent encore embarquer pour la patrouille ? » « cinq » répondit l’homme apeuré après quelques secondes d’hésitation.

« A quelle heure devez-vous lever l’ancre ? » continua le chef des terroristes. « Dans une heure » marmonna Omar de façon à peine audible.

Pendant ce court dialogue, le reste du commando embarquait à son tour : les quatre hommes étaient chargés de lourds sacs sur le dos. Abou Saif demanda à ses hommes de se dissimuler afin d’accueillir le reste de la patrouille. Ceux-ci arrivèrent un par un et furent désarmés dès qu’ils posèrent le pied sur le bateau.

Abou Saif interrogea Omar pour savoir qui pilotait le bateau. « C’est moi » lui répondit-il.

La phase 1 du plan se déroulait comme prévu. Abou Saif donna l’ordre d’allumer le moteur et de quitter le port.

Abdelmalik se chargea de détacher les amarres du bateau. On entendit le moteur ronronner. Abou Saif saisit le micro de la radio et le tendit à Omar. « Tu vas prévenir le poste de contrôle de notre départ. Dis juste : « départ de la patrouille » ». Omar s’exécuta et on entendit la radio grésiller en retour « Poste de contrôle à patrouille : bien reçu. » Le terroriste songea qu’avec un peu de chance ils avaient désormais quelques heures devant eux avant que les forces omanaises ne prennent conscience de la perte de la vedette.

Le navire se mit en mouvement. Omar le manœuvrait avec dextérité. En un instant, ils dépassèrent la jetée qui protégeait le port. Sur la côte d’où ils étaient partis, le feu d’artifice devenait plus petit et moins bruyant. Abou Saif ressentait désormais la puissance des vagues du large. L’embarcation se balançait d’avant en arrière sous l’effet d’une légère houle. Abou Saif donna l’ordre de prendre un cap plein Est et de pousser les gazs. Le bateau fit un bond en avant et la vitesse atténua l’effet de la houle.

La vedette filait maintenant à trente nœuds dans la nuit. De la nouvelle lune de l’Aid el Fitr, on n’apercevait qu’un mince filet. Les lumières de Ras Al Hadd se devinaient à tribord. Ce qui signifiait que la vedette et son équipage allait bientôt quitter le Golfe d’Oman pour rejoindre la mer d’Arabie.

Abou Saif commanda au pilote de couper le moteur. Le silence se fit autour d’eux. L’équipage des militaires omanais était enfermé dans la cale du navire. Il demanda à ses hommes d’aller chercher chaque prisonnier un par un. « Egorgez ces kouffars et jetez les corps à la mer ».

C’étaient des musulmans ibadites, religion majoritaire à Oman qui ne se rattachait ni au sunnisme ni au chiisme. Abou Saïf les considérait comme des hérétiques dont la présence venait entraver sa mission. « Qu’ils aillent au diable ! » pensa-t-il.

L’exécution était une tâche dévolue à Farid. Abou Saif observa les yeux du Français converti s’éclairer d’une lueur cruelle. Parmi tous les membres de l’équipe, Farid était celui qui prenait le plus de plaisir à tuer.

Il attrapa le premier prisonnier et d’un geste rapide, lui trancha la gorge. Le Belge et l’Allemand se saisirent du corps et le jetèrent à la mer. Le bourreau répéta son geste cinq fois de suite sans laisser paraître le moindre signe d’empathie pour ses victimes. Le chef du commando regardait la scène en essayant de cacher le dégoût qu’elle lui inspirait. Il aurait voulu s’écarter pour aller vomir, mais il parvint à surmonter cet instant de faiblesse sans que personne ne s’en aperçoive.

Une fois la sinistre besogne accomplie, Farid essuya ses mains et son coutelas rougis sur son pantalon de treillis. Il ne restait plus qu’Omar qui tremblait de tout son corps.

Abou Saif lui ordonna de reprendre sa route.

Mais Omar semblait terrorisé et restait immobile, secouant la tête d’un air pitoyable.

« Qu’as-tu? Veux-tu subir le même sort que tes collègues hérétiques ? » menaça le terroriste avec un regard cruel.

« Pitié Sayid ! C’est que... » bafouilla Omar.

« Quoi ? » l’interrompit Abou Saïf avec impatience.

« Il n’y a presque plus de fioul, Sayid, » répondit Omar comme s’il rendait son dernier souffle. En effet, un voyant rouge clignotait sur le tableau de bord devant le symbole de la jauge.

C’était donc là sa première erreur, songea Abou Saïf. Il avait tout simplement oublié de vérifier que le bateau était en état de partir... Il essaya de cacher son désarroi et de se concentrer pour trouver une solution.

« Vous n’avez pas de bidon de secours à bord ? »

« Non Sayid. »

« Quelle est la station la plus proche pour faire le plein ? »

« C’est Ras Al Hadd, en face de nous », répondit Omar avec un plus d’assurance.

Cette option était risquée, notamment si le détournement de la vedette avait été découvert. Mais rien ne laissait penser que c’était le cas : aucune agitation n’était décelable sur les fréquences radio habituellement utilisées par les militaires. Et sans carburant, la mission échouerait.

Abou Saïf donna l’ordre de se diriger vers Ras Al Hadd.

Il s’adressa à Omar: “Tu vas t’occuper de faire le plein. N’oublie pas que nos kalachnikovs sont pointées vers toi. Tu sais que nous n’hésiterons pas à nous en servir. Si jamais tu fais la moindre tentative pour t’enfuir ou passer un message, tu es un homme mort”.

Le bateau s’approcha doucement de l’appontement dédié à l’avitaillement. Personne n’était visible à côté de la pompe. Omar donna un coup de klaxon.

Abou Saïf sursauta. Saisissant Omar par le col de sa chemise, il lui souffla au visage : “Tu es fou ? Pourquoi fais-tu ce vacarme ? Essaies-tu de donner l’alarme ?” “Non, non... C’est la procédure habituelle quand nous venons faire le plein” chuchota Omar en réponse.

Un homme sortit d’une cabine et se dirigea vers la vedette. Il attrapa une amarre que lui lançait un homme d’Abou Saïf et l’enroula autour d’un pieu prévu à cet effet sur le ponton.

Il lança ensuite un “Salam Alaikum ! Aïd Mabrouk !” sonore à l’intention des équipiers qu’il apercevait sur le pont du navire. “Wa Alaikum Salam” lui répondit Omar. “Comment vas-tu Omar ? Tu as de nouveaux collègues ?” “Ca va Inc’h Allah. Oui de nouveaux collègues. Peux-tu nous faire le plein, nous sommes pressés.” L’homme prit l’embout de la pompe et la plaça dans l’orifice du réservoir. Il semblait en humeur de bavarder.

Abou Saïf et ses hommes restaient silencieux.

« C’est une belle nuit de l’Aïd, c’est tellement dommage d’être obligé de travailler » dit l’homme en cherchant l’assentiment de l’équipage en face de lui. Omar acquiesça.

Le réservoir se remplissait trop lentement au goût d’Abou Saïf. Pour canaliser sa tension, il serrait ses doigts sur la crosse de son AK47. Cette situation était un supplice. « Qu’on en termine au plus vite » priait-il intérieurement.

Soudain, la sonnerie d’un téléphone se fit entendre. L’appareil était accroché sur le mur à côté de la pompe.

Alexandre essayait de comprendre le déroulé des faits. D’après le peu d’informations qui filtraient dans les médias, un groupe de terroristes avait réussi à prendre le contrôle du Cheikh Boumediene, un navire méthanier affrété par une société algérienne, au large des côtes américaines. Le navire avait chargé sa cargaison à Skikda, en Algérie et devait décharger 180 000 m3 de gaz liquéfié dans la banlieue de Boston, plus exactement au terminal d’Everett sur la Mystic River. Mais les communications du navire avaient été coupées et celui-ci avait continué sa route malgré les avertissements et les coups de semonce des garde-côtes américains. Alors que ce dernier avait doublé la péninsule de Deer Island d’un côté et l’île de Long Island de l’autre, la décision avait été prise de neutraliser cette bombe flottante avant qu’elle ne s’approche trop près des zones habitées. Les missiles tirés par des F35 avaient rempli leur mission. Le bilan humain était difficile à évaluer : une vingtaine de membres d’équipage sacrifiés et l’équipe de terroristes. Il aurait été infiniment plus lourd si les terroristes avaient réussi à faire exploser leur cargaison au milieu de la capitale du Massachussetts.

Le gaz liquéfié s’était embrasé d’un coup au contact des missiles. Le cours du Brent à Londres avait fait un bond de 5%.

Un tel scénario était inimaginable pour la plupart des spectateurs. Pour Alexandre, c’était une hypothèse qu’il s’était préparé à affronter depuis longtemps. Il avait 35 ans et travaillait pour la société EUROGNL, spécialisée dans le transport et le négoce de gaz naturel liquéfié ou GNL pour les initiés. Il était en charge depuis deux ans de la communication externe de l’entreprise ce qui recouvrait également la communication de crise. Dans ce cadre, il avait eu régulièrement des exercices de mise en situation pour se préparer à réagir à toutes les crises possibles : enlèvement d’un salarié, pollution, attaque informatique, accident maritime, piraterie, ou actes de terrorisme. La plupart des scénarios étaient restés jusqu’à présent purement théoriques : jamais la cargaison d’un navire méthanier n’avait encore pris feu et nul ne savait précisément à quoi s’attendre. Alexandre contemplait désormais ce scénario en train de se réaliser et son effarement se mêlait d’une certaine fascination.

Son smartphone se mit à vibrer, le nom d’Anne Delaunoy s’afficha sur l’écran. Prenant l’appel, il entendit une voix familière l’interroger : “Alexandre, as-tu vu ce qui est en train de se passer à Boston ?” Anne était une amie journaliste journal l’Epoque Economique. Il prit quelques minutes pour répondre à ses questions: “oui c’est bien un bateau du même type que ceux que sa société opère” ; “non la société EUROGNL n’a rien à voir avec ce bateau: il ne le possède pas, ne l’affrète pas, et n’a ni vendu ni acheté la cargaison qu’il transporte” ; “oui ce qui se passe est dramatique, avec un bilan humain lourd et un bilan financier supérieur à 200 millions de dollars” ; “non il ne pensait pas qu’il y avait un risque de pollution des côtes américaines”...

Après avoir raccroché, Alexandre réalisa qu’il devait se préparer à répondre à toutes ces questions. Il se mit donc au travail pour rédiger une première ébauche de Q&A ou “Questions and Answers” sur ce sujet.

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