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L’enseigne de vaisseau de 1ère classe Sébastien était attablé dans la salle de debrief avec sa section du commando Trépel. C’était la réunion d’équipe quotidienne qui clôturait chaque journée : l’occasion de faire le point sur les entraînements et de partager un temps de cohésion ensemble.
La journée avait été intense, comme l’était chaque journée du commando de marine lorsqu’il n’était pas en déploiement. Elle avait commencé bien avant le lever du soleil par une course à pied sur la plage, suivie d’une séance de nage avec palmes. Après cette préparation physique et un solide petit déjeuner, les commandos avaient enchaîné sur un exercice de prise de navire. Il fallait s’approcher de manière discrète de la cible, lancer des grappins et se hisser sur le pont grâce à des échelles de corde. L’exercice était physique, mais ils y étaient rompus. Une autre équipe descendait directement sur le pont de navire depuis un hélicoptère à l’aide d’un filin.
Après le déjeuner, l’après-midi avait débuté par une séance sur champ de tir avec armes légères et fusils de précision. Elle s’était prolongée par un temps de formation théorique adapté aux besoins de chaque membre du commando. Sébastien avait eu un cours d’anglais opérationnel suivi d’un cours de planification d’opérations. La fin d’après-midi était traditionnellement consacrée au nettoyage des armes et à l’entretien de l’équipement. Enfin, une séance de musculation individuelle ou de natation précédait le dîner.
Le commando Trépel faisait partie des sept unités de commandos de marine de l’armée française. Trépel était spécialisé dans les prises d’otage, le contre-terrorisme terrestre et maritime et les assauts en mer. Il était localisé à Lorient sur la côte bretonne.
L’actualité à Boston modifiait sensiblement la teneur des échanges habituellement techniques de cette réunion.
Les militaires commentaient les évènements filmés par les caméras des télévisions. D’une manière générale, ils comprenaient la réaction des Américains mais certains pensaient qu’une intervention d’un commando aurait pu être tentée.
« Ça aurait été du suicide pur et simple » avait tranché l’un d’entre eux.
Skikda (Algérie), juillet 20**
Mohamed regardait la mer Méditerranée qui s’étendait devant lui. Il avait 20 ans et le sentiment exaltant de contempler l’infini des possibilités que lui offrait sa vie.
Il était revenu au bled pour les vacances d’été. Sa famille était originaire du petit village d’El Marsa, non loin de Constantine et c’est là où depuis toujours, ses parents l’envoyaient passer ses étés chez ses grands-parents. Deux mois qui s’étiraient dans la chaleur et l’ennui. Il n’avait aucun plaisir à retrouver ses cousins restés au pays. Il était obligé de leur parler arabe, langue qu’il ne maîtrisait qu’imparfaitement faute de pratique. Ses cousins ne se privaient pas de se moquer de son accent et de ses balbutiements. Ce qui n’était d’abord que de la jalousie s’était peu à peu mué en mépris pour celui qu’ils appelaient « Al Faransi », « le Français ».
Pour échapper à leurs sarcasmes, il avait trouvé refuge sur un promontoire, près d’un vieux phare où il passait ses journées à rêvasser et à lire des romans policiers.
Pendant que ses cousins se baignaient et chahutaient au pied de la falaise, lui regardait les bateaux défiler au large et s’imaginait y embarquer pour échapper à son quotidien.
Les navires se dirigeaient vers un point de la côte en face de lui et repartaient quelques heures après avec leur chargement. Il s’était renseigné sur ces bateaux qui affichaient crânement sur leur coque le nom de la SONATRACH, la compagnie algérienne de pétrole et de gaz : certains transportaient des produits pétroliers, d’autres transportaient du gaz produit en Algérie vers l’Europe. Tous étaient bardés de tuyaux dans tous les sens, et laissaient échapper une fumée noire de diesel quand ils prenaient leur élan vers le large.
Il les avait observés avec des jumelles et parvenait désormais à distinguer un tanker pétrolier d’un bateau méthanier. Les équipements des pétroliers étaient plus ramassés sur le pont alors que les cuves de gaz dépassaient légèrement au-dessus de la coque. Il avait noté que les méthaniers s’enfonçaient moins dans l’eau, leur chargement de gaz étant probablement moins dense que le pétrole.
Tous venaient prendre livraison de leurs précieuses cargaisons dans les installations industrielles qu’il pouvait apercevoir au bout de la baie, à Skikda.
Une année, il avait pu visiter l’usine de liquéfaction grâce à son oncle Adel qui y travaillait comme responsable de la sécurité. Le gaz naturel y était amené par des énormes tuyaux depuis le Sahara où il était extrait. Son oncle lui avait expliqué qu’il était refroidi à très basse température dans ce qu’on appelle des « trains de liquéfaction » afin de le rendre liquide. Une fois liquéfié, le gaz était stocké dans un grand réservoir puis chargé sur les bateaux qui l’acheminaient jusqu’au terminal méthanier du client.
Les installations industrielles l’avaient fasciné. Malgré la chaleur étouffante, certains tuyaux étaient couverts d’une gangue de glace.
Son oncle lui avait raconté également cette soirée de janvier 2004, quand une explosion terrible avait ravagé le site, tué 27 personnes et blessé 74 autres. Adel avait eu de la chance ce soir-là : son service n’avait pas encore commencé. Le souffle de l’explosion, entendue jusqu’à 10 km à la ronde, avait brisé les vitres de toutes les maisons du voisinage. Des débris avaient été projetés jusqu’à 250 mètres du point de l’explosion. C’était presque la distance de 3 terrains de football lui avait dit son oncle. L’image des terrains de foot jonchés de débris était restée gravée dans sa mémoire.

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