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L’officier Manon Genin avait commencé son quart à la passerelle deux heures plus tôt. Bien qu’elle soit officier gaz, elle avait été formée au pont et assurait ainsi sa part du roulement avec les officiers de pont.

Alors que la relève n’était pas prévue avant au moins deux heures, Manon et son coéquipier aperçurent les feux d’une embarcation qui avançait rapidement dans leur direction. Quelques instants plus tard, dans un grésillement, la radio crachota un message en anglais.

« Gardes côtes Omanais à LNG Surcouf, répondez »

« LNG Surcouf à gardes côtes Omanais, nous vous écoutons »

« En raison des évènements en cours à Boston, nous avons ordre de placer à votre bord des militaires armés afin de vous protéger aussi longtemps que vous serez dans les eaux territoriales omanaises ».

Les deux équipiers se regardèrent incrédules. La procédure indiquée était inédite : jamais ils n’avaient encore reçu une demande de laisser monter des hommes armés à bord. Mais dans le même temps, un méthanier attaqué par des terroristes était aussi un scénario qui n’avait jamais eu de précédent.

Kerpont dormait depuis moins de trois heures lorsqu’il avait été réveillé en sursaut par l’officier de quart, escortée par un groupe d’individus inconnus. « Qui sont ces gens et comment sont-ils montés à bord ? » se demanda le commandant du Surcouf avec suspicion en se frottant les yeux.

La réponse ne tarda pas, venant de son adjointe qui semblait au bord des larmes. « Commandant, ces gens se sont fait passer pour des garde-côtes. Nous avons fait l’erreur de les laisser monter à bord. Je suis désolée… » Kerpont pouvait lire autant de désarroi que de culpabilité dans les yeux de l’officier.

L’un des inconnus prit alors la parole en français. « Allah nous a donné le contrôle de votre bateau. Nous ne voulons pas vous faire de mal mais sachez que nous n’hésiterons pas une seconde à tuer tout l’équipage si cela est nécessaire pour accomplir notre mission. Nous attendons la plus grande collaboration de votre part. »

Le terroriste s’exprimait dans un français parfait, avec une courtoisie glaçante. Il était plutôt grand, habillé en militaire et arborait une barbe discrète. Il ne correspondait pas à l’image que Kerpont se faisait d’un djihadiste.

Le commandant hocha la tête. Il n’avait pas prononcé une seule parole depuis le début de la scène.

« Mon nom est Abou Saïf. Comment vous appelez-vous ? » poursuivit le terroriste.

« Commandant Kerpont ».

« Combien avez-vous de membres d’équipage ? ».

« 25 » rétorqua le commandant du Surcouf de manière laconique.

« Vous allez les rassembler, et leur expliquer que tout se passera bien s’ils coopèrent. Si l’un d’entre eux fait la moindre tentative de résistance, ce sont ses collègues qui en paieront les conséquences. »

Préville entendait un bruit insolite dans la cabine du commandant qui jouxtait la sienne. Collant son oreille à la paroi, il parvint à distinguer une voix qu’il ne connaissait pas.

Il réalisa rapidement que le commandant était menacé par des inconnus. Des pirates avaient pris le contrôle du bateau !

S’il y avait un moyen de leur échapper, Préville était prêt à le tenter.

Il se cacha sous sa couchette et attendit que les bruits s’éloignent. Il entendit l’appel au rassemblement de tout l’équipage. Il n’était pas question pour lui de s’y rendre.

Une fois certain que tout l’équipage était rassemblé, Préville décida de quitter sa cabine. Regardant autour de lui ce qui pouvait lui être utile, il mit dans un sac une bouteille d’eau, des biscuits et un couteau suisse. Il prit également son portable et une batterie externe : même si on ne captait pas en pleine mer, la route du bateau pouvait le rapprocher des côtes et il pourrait ainsi donner l’alerte.

Il ouvrit prudemment la porte de sa cabine et se faufila par les coursives qu’il connaissait par cœur, jusqu’à l’avant du bateau. Là il ouvrit la trappe qui permettait d’accéder à l’espace de stockage de la chaîne de l’ancre et il se coula dans le trou béant.

La sonnerie du téléphone réveilla Alexandre subitement. Il avait eu du mal à s’endormir la veille, les images de Boston s’imposant à lui de manière obsédante. Le réveil l’avait surpris moins de deux heures après avoir enfin sombré dans un sommeil réparateur.

Tâtonnant dans l’obscurité, Alexandre réalisa qu’il s’agissait de son téléphone d’astreinte. Un lourd pressentiment s’empara de lui. C’était le numéro de l’astreinte opérationnelle qui s’affichait.

Le processus de gestion de crise comprenait trois personnes d’astreinte : outre l’astreinte opérationnelle qui était joignable en permanence par les navires, il y avait un responsable hiérarchique d’astreinte et un communiquant d’astreinte. Alexandre était d’astreinte au titre de la communication.

Il décrocha.

“Alexandre, on a perdu le contact avec le LNG Surcouf” dit une voix qu’il connaissait bien.

“Hein ? À 6h00 du matin ?” répondit Alexandre en baillant.

“Oui. Ils ne répondent plus.”

“C’est un drill ou une situation réelle ? » L’anglicisme « drill » était le terme couramment utilisé pour désigner un exercice. Il était d’usage lors d’un exercice de commencer chaque appel, email ou autre message par les mots « DRILL DRILL » afin d’éviter de créer une crise lorsqu’il ne s’agissait que d’un exercice.

« Ce n’est pas un exercice Alexandre, c’est très sérieux. »

« Ils sont peut-être en train de dormir. Et ce n’est pas moi qui leur en ferais le reproche.” tenta Alexandre sans y croire.

“Alexandre, ce n’est pas une blague. Dans leur dernier message vers 04h45 du matin heure de Paris, ils indiquaient que les garde-côtes omanais montaient à leur bord. Je viens juste de voir leur message et depuis pas de réponse quand je les appelle.”

“Quoi ? Depuis quand les garde-côtes montent-ils à bord de nos bateaux ?”

Alexandre essayait de lutter contre le sentiment d’angoisse qui l’envahissait.

Il essaya de reformuler pour garder le contrôle de la situation : “Si je récapitule, le Surcouf a envoyé un message à 04h45 indiquant qu’ils laissaient monter à bord des garde-côtes omanais. Et depuis les communications sont coupées ?”

“C’est bien ça” confirma l’ingénieur d’astreinte.

Alexandre avait fait suffisamment d’exercices de gestion de crise pour savoir ce qu’il devait faire.

“J’appelle le manageur d’astreinte et je file au bureau” dit Alexandre avant de raccrocher.

Il avait passé son appel puis pris une douche rapide dont l’eau chaude avait achevé de le réveiller.

Il s’était rasé sans prêter attention à la tache de naissance qui recouvrait une partie de son visage. Alexandre était atteint du syndrome de Sturge-Weber, une maladie orpheline très rare qui le défigurait depuis qu’il était né : une tâche d’un rouge foncé tirant sur le bordeaux recouvrait une partie de son front et entourait son œil droit. L’altération visuelle de la peau s’accompagnait souvent chez les personnes atteintes par cette maladie de crises d’épilepsie et de pertes de vision auxquelles il avait heureusement échappé. Cette particularité lui avait néanmoins valu à l’école des surnoms comme « poker face » ou « panda » qui avaient disparu pendant ses années étudiantes. Désormais, il notait souvent une réaction de recul ou de curiosité chez ses interlocuteurs, sans que ceux-ci n’osent en règle générale l’interroger sur sa pathologie.

Après s’être habillé rapidement, Alexandre avait quitté son appartement sans prendre le temps de petit-déjeuner.

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