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L’équipage du Surcouf était aligné sur le pont, devant la passerelle. A cette heure matinale, la chaleur était encore supportable. Pas un nuage n’était visible dans le ciel d’un bleu intense.

Kerpont comptait et recomptait ses hommes. Il voyait bien qu’il en manquait un.

Abou Saïf aussi.

« Vous m’avez bien dit que vous aviez 25 membres d’équipage ? » demanda le terroriste. « J’en vois 24. Vous vous incluez dans le décompte ?».

Kerpont réfléchit en un quart de seconde. Il voyait que Préville avait réussi à se cacher.

Si je réponds oui, pensa-t-il, le terroriste croira que le compte est bon et ils ne le chercheront pas. Il se rendait compte également que si son second était découvert, cela pourrait retomber sur l’ensemble du groupe. Mû par une intuition qu’il ne pouvait expliquer, il prit sa décision.

« Oui. Tout le monde est là » dit-il en forçant volontairement la voix afin que tous ses hommes comprennent bien que l’absence de Préville devait rester inconnue pour les terroristes.

Le terroriste semblait avoir accepté l’idée que l’équipage était au complet. Il ordonna à ses hommes de fouiller les cabines pour y confisquer tous les moyens de communication : téléphones portables, ordinateurs, tablettes, CBs, radios, talkies-walkies… Il leur demanda aussi de saisir tout ce qui pouvait de près ou de loin ressembler à une arme.

Abou Saïf s’adressa ensuite à l’équipage.

« Je vous laisse libre de vos mouvements sur le bateau pour vous montrer qu’on ne vous veut pas de mal ». La vraie raison était que personne ne savait manœuvrer ce bateau dans l’équipe du terroriste.

« Je ne vous demande que de faire votre travail avec professionnalisme et d’obéir aux consignes qui vous seront données par moi ou mes hommes. Vous n’êtes pas autorisés à parler entre vous, à l’exception des seuls échanges nécessités par le pilotage du bateau et la gestion de votre cargaison. Mes hommes veilleront à ce que ces consignes soient respectées à la lettre. »

En écoutant le terroriste parler, Kerpont réalisait qu’il n’avait pas affaire à un illettré et que le monde très particulier du GNL lui était même probablement familier. Il allait être difficile de l’abuser sur l’état réel du bateau ou de la cargaison.

« Dernière chose. Mes hommes sont armés et n’hésiteront pas à faire usage de leurs armes, même si cela devait entraîner notre perte à tous. Nous aimons autant la mort que vous aimez la vie. »

Cette dernière phrase n’était pas de lui, mais il savait l’effet qu’elle pouvait produire sur les mécréants. Depuis le 11 septembre 2001, personne ne pouvait mettre en doute cette affirmation.

La circulation était fluide et Alexandre n’eut aucune peine à arriver au siège de l’entreprise à la Défense en Uber. Il monta directement dans la salle qui était réservée à la cellule de crise. C’était une salle de réunion classique, assez spacieuse pour qu’une vingtaine de personnes puissent y travailler simultanément.

Alexandre sourit intérieurement en constatant qu’un technicien était déjà en train d’installer les lignes de téléphone et les ordinateurs : les multiples exercices n’avaient pas été vains. Christophe, le manageur d’astreinte, avait enclenché le processus de gestion de crise : toutes les personnes concernées allaient bientôt s’installer autour de la grande table pour gérer au mieux les évènements.

La disposition des lieux n’était pas laissée au hasard. Le directeur de la cellule de crise présidait au centre de la table, entouré par son adjoint qui s’assurait de la mise en œuvre des décisions et le secrétaire dont le rôle était de tenir un registre de tous les évènements et décisions prises. En face du directeur de la cellule siégeait le communiquant de crise, assis entre le juriste et le représentant des RH. Des experts (sécurité, opérations, etc.) complétaient l’équipe autour de la table. Deux personnes étaient chargées de prendre les appels et de filtrer ceux qui étaient réellement importants.

Des écrans au mur diffusaient les chaînes d’information continue. Occupant une large partie d’une paroi, un tableau blanc avec différentes cases à remplir affichait l’acronyme « FISA », décliné en sous-titre par « Facts, Impacts, Scenarios, Actions ». Cette méthodologie de gestion de crise, appliquée par EUROGNL, avait pour objectif de ne négliger aucun aspect de la crise. La communication de crise couvrait ces quatre axes : elle se nourrissait des faits, essayait de canaliser l’impact sur l’image auprès de toutes les parties prenantes et en mettant en avant les actions mises en œuvre par l’entreprise.

Alexandre espérait sans y croire qu’il s’agissait d’une fausse alerte, et que l’équipage allait rapidement envoyer un message rassurant. Ça pouvait n’être qu’un simple problème de communication. Après tout, le contexte anxiogène de Boston mettait tout le monde sur les nerfs et tout signal inquiétant pouvait prendre des proportions démesurées.

Il se remémora intérieurement les étapes du processus de communication de crise.

Il fallait en priorité établir un “Holding Statement”. Il s’agissait d’une sorte de communiqué de presse assez basique qui permettait à l’entreprise d’informer les media d’une situation de crise. L’objectif était d’éviter de laisser penser que l’entreprise puisse chercher à cacher des informations. Gérer une crise nécessitait pas mal d’énergie, c’est pourquoi il était important d’éviter d’en dépenser à combattre des rumeurs. Par ces temps où les différentes théories du complot avaient le vent en poupe, de telles précautions n’étaient pas superflues.

Le holding statement devait être concis, précis et factuel. A ce stade, il était inutile de parler de détournement ou de présomption de piraterie.

Alexandre essaya de rassembler les faits dont il avait connaissance et rédigea un premier brouillon :

Depuis cette nuit 2h45 (heure française), le LNG Surcouf ne répond plus aux communications engagées par les équipes à Paris. Il s’agit d’un navire méthanier transportant 175 000 m3 de gaz naturel liquéfié qui a chargé en Egypte et dont la destination est le Pakistan.

Le navire est affrété par la société EUROGNL. Un équipage d’environ 25 marins est à son bord.

Au moment où les communications ont été coupées, le navire se trouvait en mer d’Arabie au large du Sultanat d’Oman.

Une cellule de crise a été ouverte. Tout est mis en œuvre par l’entreprise en lien avec les autorités françaises, pour renouer le contact avec le navire.”

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