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La cellule de crise se remplissait progressivement : le manageur d’astreinte, le responsable de la sécurité, un responsable des ressources humaines, un juriste, un spécialiste maritime...

Comme responsable de la cellule de crise, Christophe le manageur d’astreinte fit une courte introduction, demanda à chacun de se présenter et distribua les rôles aux différentes personnes présentes : faire la liaison avec l’armateur du navire, prévenir les familles, se mettre en lien avec le quai d’Orsay, appeler les assurances, contacter la gendarmerie, assurer la veille sur les réseaux sociaux, mettre en place une ligne dédiée …

L’un des participants était chargé de tenir la main courante, tâche assez fastidieuse qui consistait à noter l’heure de chaque évènement, décision ou annonce.

Dans la salle de crise, un écran passait une chaîne d’information continue. Le méthanier en flamme devant Boston tenait toujours la une.

Le holding statement avait été validé avec Christophe et diffusé aux principaux médias. L’AFP et Reuters avaient rapidement repris l’information, sans modifier le texte du communiqué. Le téléphone commençait à sonner sans interruption.

Au pied de la tour, des équipes de télévision étaient déjà en train de s’installer. Alexandre était descendu pour expliquer au personnel de l’accueil la conduite à tenir : aucun commentaire aux journalistes. Par ailleurs, la sécurité de l’immeuble avait été renforcée de manière à éviter les intrusions intempestives. Enfin, un message avait été envoyé à tous les collaborateurs de la tour leur expliquant la situation dans des termes similaires à ceux employés dans le holding statement, et leur demandant eux aussi de ne pas répondre aux questions des journalistes afin d’éviter le développement de rumeurs infondées.

Alexandre n’était pas dupe : la plupart des salariés ne consulteront leurs messages qu’une fois arrivés à leur poste. Beaucoup auront déjà été sollicités par les journalistes avant de franchir le seuil de l’entreprise.

De retour en cellule de crise, Alexandre s’attacha à reprendre le Q&A établi la veille à l’occasion de l’attentat de Boston : la plupart des questions et des réponses étaient toujours d’actualité. Il devait les compléter avec les aspects propres au LNG Surcouf. Il fallait également expliquer les liens entre le Surcouf et l’entreprise EUROGNL.

Par ailleurs, toutes les questions posées par les journalistes étaient notées et venaient allonger la liste des questions déjà anticipées dans le Q&A.

Les tâches s’empilaient et Alexandre s’y attaquait de manière mécanique. Son esprit était entièrement absorbé par la situation et à son grand étonnement il parvenait à garder son sang-froid, malgré l’avalanche d’informations et de décisions à prendre. On verrait plus tard pour les émotions.

Sur un écran, le trajet du Surcouf était matérialisé par une ligne pleine, celui restant à parcourir par une ligne pointillée. A la jonction des deux, à l’endroit où le contact avait été perdu, se jouait probablement en ce moment un drame difficile à imaginer.

« Nous avons vérifié auprès des autorités omanaises qui confirment la disparition d’une de leurs vedettes. Ils n’ont aucune nouvelle de l’équipage. Ce qui semble confirmer la théorie de l’attaque terroriste. » C’était le responsable de la sécurité du Groupe qui venait de prendre la parole en cellule de crise.

« Par ailleurs, deux Rafale français décollent en ce moment de la base aérienne française de Djibouti pour survoler le Surcouf. Ils seront sur cible d’ici une heure. Le navire ayant coupé son transpondeur, il est nécessaire de faire un contrôle visuel. Les pilotes pourront également signaler toute activité suspecte visible sur le bateau. » ajouta-t-il.

« Enfin, la frégate française LANGUEDOC qui est actuellement dans le Golfe Persique a reçu l’ordre de se dérouter vers la localisation supposée du Surcouf, ainsi que le porte-hélicoptères TONNERRE et le sous-marin nucléaire d’attaque SUFFREN. La frégate peut être sur zone en début de soirée (heure de Paris) ».

Ainsi, pensa Alexandre, c’était le scénario du pire qui semblait se réaliser.

En même temps, il était difficile de ne pas faire le lien entre les attaques de Boston et la suspicion de détournement du Surcouf. Deux évènements terroristes très similaires un 11 septembre et en moins de 24 heures ne pouvaient pas relever de la simple coïncidence.

Poursuivant sa réflexion, Alexandre réalisa qu’aucun navire de la flotte mondiale de GNL n’était à l’abri. Qu’allaient faire les affréteurs de ces bateaux ? Prendre le risque de les exposer aux terroristes ? ou bien les cantonner dans des ports et perdre des milliards de dollars ? La première option lui semblait la plus crédible.

Le téléphone devant Alexandre se mit à sonner. Alexandre saisit le combiné. Il avait au bout du fil une journaliste londonienne travaillant pour une publication spécialisée dans le domaine maritime. Ses questions étaient précises : à qui appartenait le bateau, qui l’avait affrété, pour combien de temps…

Il s’appliquait à y répondre du mieux qu’il pouvait.

Au fur et à mesure de la conversation, les questions dérivaient dans une direction vers laquelle Alexandre ne voulait pas s’aventurer. La journaliste cherchait à savoir le prix de la cargaison et les hypothèses privilégiées par l’entreprise EUROGNL sur ce qui était en train de se passer à bord du navire. Alexandre botta en touche de la manière la plus diplomatique possible. La journaliste n’insista pas.

Après avoir raccroché, Alexandre profita d’un moment de répit pour jeter un coup d’œil sur les réseaux sociaux. Il trouva rapidement les messages qui se rapportaient au Surcouf. Les messages des journalistes reprenaient les informations diffusées dans le Holding Statement. La plupart faisaient le lien avec l’attaque de Boston. Une partie illustrait leurs articles avec une photo hors sujet d’un méthanier à bosses, voire pour l’un d’entre eux avec une photo de tanker pétrolier. En lisant les différentes contributions, on pouvait voir le large éventail de ceux qui maitrisaient un peu le sujet et des autres qui mélangeaient gaz, pétrole et GPL dans des analyses approximatives.

Plusieurs hashtags étaient apparus : #Surcouf, #MethanierSurcouf, #LNGSurcouf, #SurcoufAttack, #SurcoufHijacking… Il se concentra sur ces derniers.

Un utilisateur de X/Twitter s’était manifestement saisi de l’affaire pour illustrer des thèmes complotistes qui lui étaient chers. Dans une série de posts envoyés en l’espace de trente minutes, le compte @patricoyote88 dénonçait pêle-mêle la responsabilité indéniable de la CIA, de mèche avec le Mossad et sous influence franc-maçonne. Bref, l’internaute avait déjà résolu toute l’affaire.

Alexandre connaissait ce genre de profils et il savait qu’il valait mieux ne pas intervenir. Ces personnages nourrissaient leurs convictions des plus petites incohérences et des moindres zones d’ombre. C’est ainsi que des centaines de milliers de personnes croyaient fermement que la CIA répandait des produits chimiques grâce aux avions de ligne. Pour preuve, ils montraient les traînées des fumées qui sortaient des réacteurs d’avions (les « chemtrails ») lesquelles prenaient des formes ou des couleurs curieuses, dessinant parfois des motifs dans le ciel. Une fois leur conviction fermement établie sur la réalité du moyen (les avions), les objectifs attribués à la CIA devenaient accessoires : stériliser les peuples, contrôler des consciences à des fins idéologiques et économiques, garantir la suprématie de certaines communautés… Admettre que ces traînées dans le ciel ne puissent être que le fruit de la condensation de la vapeur d’eau, en fonction de différents facteurs liés à la température, l’altitude, la lumière et la pression, était définitivement trop simple pour ces esprits crédules. Toute tentative de dialogue aboutissait irrémédiablement à une impasse qui renforçait encore l’autre partie dans ses convictions.

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