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Victoria était partie tard la veille pour finaliser la note qu’on attendait d’elle. Elle avait traversé la ville embouteillée sur sa moto. Elle avait senti sa montre connectée vibrer lorsque la nouvelle de la crise du Surcouf lui avait été notifiée.
Arrivée à destination, Victoria franchit l’entrée réservée aux collaborateurs de l’Elysée et gagna rapidement son bureau. Elle y apprit que le Quai d’Orsay avait décidé d’activer une cellule de crise et que le président avait convoqué un Conseil Restreint de Défense à 11h.
Le directeur de cabinet du président toqua à sa porte. C’était un homme de grande taille, la cinquantaine aux cheveux blancs coupés courts, le regard sérieux vous fixant à travers des lunettes rondes de bon élève. Un haut fonctionnaire.
« Bonjour Victoria » commença le dircab sur un ton grave. « Comme tu peux le voir, la crise d’hier prend une autre dimension ce matin. Ta note va nous être utile mais il serait judicieux de la compléter sur la base des nouveaux éléments liés au Surcouf. »
« C’est ce que je m’apprêtais à faire » lui répondit Victoria. « Mais j’ai besoin d’en savoir plus. Qui peut me mettre à jour ? »
« Le plus simple à ce stade est que tu te mettes en contact avec la cellule de crise de l’entreprise EUROGNL et celle mise en place par le Quai d’Orsay ».
La cellule de crise avait pris des allures de ruche. Les sonneries des téléphones se mêlaient aux conversations entre participants sur place et interlocuteurs à distance. Régulièrement, des hommes et des femmes entraient dans la salle, restaient quelques minutes et quittaient la scène comme au théâtre. Alexandre avait ainsi vu tout le COMEX défiler pour venir aux nouvelles. Lui et ses collègues se seraient bien passé de ces visites successives qui venaient interrompre leurs échanges et troubler leur concentration.
Alain, le chef d’Alexandre était passé lui aussi. Après avoir été rapidement briefé par Alexandre sur la situation, il lui avait demandé de se tenir prêt à intervenir à l’Elysée avec le président de l’entreprise EUROGNL. C’était lui-même qui avait été convié mais il avait une contrainte qui l’empêchait malheureusement d’y participer.
Alexandre connaissait son chef et il savait que cette contrainte avait toutes les chances d’être liées à une partie de golfe planifiée de longue date. Il fit mine d’accepter la justification qu’il savait fallacieuse. Au fond de lui, il n’était pas mécontent d’avoir l’occasion d’aller à l’Elysée, de surcroît avec le président de l’entreprise qu’il n’avait croisé que deux fois jusqu’à présent.
La sonnerie du téléphone reprit devant lui. S’excusant d’un regard auprès de son chef, Alexandre décrocha le combiné : « Alexandre Guillebot à l’appareil. »
Une voix féminine lui répondit : « Bonjour, je suis Victoria Proust. Je travaille pour la présidence de la république sur les questions de sécurité extérieure. J’aimerais avoir quelques précisions sur l’incident touchant votre navire. »
Les pilotes des Rafale n’eurent aucun mal à identifier le LNG Surcouf dans leur champ de vision. Le navire était désormais un peu plus au nord de la position qui leur avait été indiquée. Le nom du bateau était clairement visible sur la coque du bateau, ainsi que les lettres « LNG » indiquant la nature de son chargement. Il poursuivait sa course à pleine vitesse, à une centaine de kilomètres de la côte omanaise.
La vedette militaire des garde-côtes omanais n’était plus visible. Les terroristes avaient demandé à Omar de maintenir la vedette bord à bord avec le méthanier pour monter l’échelle de coupée et accéder au navire. L’opération était assez technique mais le LNG Surcouf avait réduit sa vitesse et s’était positionné en cap sur la houle pour faciliter la manœuvre. Cette dernière exigence avait valu à Omar la vie sauve.
Les avions perdirent de l’altitude pour avoir une meilleure visibilité du méthanier et firent un premier survol à basse altitude. Aucune agitation n’était perceptible sur le pont du navire ou sur la passerelle. En revanche, les pilotes pouvaient nettement distinguer des hommes armés en uniforme parmi l’équipage.
Les caméras des avions de chasse enregistraient des images haute définition qui étaient transmises en direct à Paris. Afin de compléter leurs prises de vue avant de regagner leur base, les pilotes décidèrent un deuxième survol de leur objectif.
Quelques secondes avant de passer à la verticale de la passerelle, les pilotes de chasse virent un des hommes armés lever son fusil mitrailleur dans leur direction et ouvrir le feu. Dans un réflexe simultané, chaque avion bascula, l’un sur son aile gauche, l’autre sur son aile droite, pour éviter les balles.
Il était hors de question de riposter. Les pilotes reçurent l’ordre de regagner leur base.
Sur le bateau, l’équipage du Surcouf avait accueilli le bruit des avions de chasse avec soulagement, même si aucun membre n’avait osé le montrer. La prise de contrôle du navire était désormais connue par Paris qui allait mettre en œuvre les moyens nécessaires pour les sauver.
Cette idée avait traversé l’esprit du commandant. Mais presque simultanément il avait été pris d’effroi en pensant au navire qui venait tout juste d’être détruit devant Boston. Les deux bateaux avaient été attaqués par des terroristes, dans des opérations manifestement coordonnées. Les avions de chasse américains n’avaient pas été de bon augure pour ses malheureux semblables. Ils avaient été l’instrument de leur immolation par le feu.
Les informations rapportées par l’Armée de l’Air avaient fait monter la tension d’un cran dans la cellule de crise. Toutes les craintes se révélaient fondées : le sort du LNG Surcouf était désormais entre les mains des militaires.
Alexandre convint avec ses collègues qu’il était temps de rédiger un véritable communiqué de presse. L’exercice était délicat. Il fallait révéler la nature des évènements en cours avant que la rumeur ne fuite sur les réseaux sociaux, mais il fallait également éviter de dramatiser outre mesure ou de suggérer des responsabilités qui n’étaient pas établies pour l’instant. Et parallèlement, il fallait contacter les familles des marins pour éviter qu’ils n’apprennent l’information par la presse.
Après avoir écarté cinq premiers brouillons, Alexandre et ses collègues se mirent d’accord sur une version qui leur paraissait satisfaisante.
« Cette nuit, au large de la côte du Sultanat d’Oman, un groupe d’individus armés a pris le contrôle du navire méthanier LNG Surcouf. Le navire est affrété par la société EUROGNL et transporte une cargaison de gaz naturel liquéfié pour le compte de cette société.
L’équipage est constitué de 26 marins de plusieurs nationalités.
Une cellule de crise a été ouverte au sein de l’entreprise EUROGNL.
Tout est mis en œuvre en collaboration avec les services de l’Etat français pour assurer la sécurité de l’équipage et du bateau.
Dominique Baecker, président directeur général de la société EUROGNL a déclaré « Nous avons une pensée pour les marins pris en otage sur le méthanier LNG Surcouf et pour leurs proches. EUROGNL fera tout ce qui est en son pouvoir pour que chaque membre d’équipage puisse rentrer au plus vite dans son foyer. »
A la suite de ce communiqué figuraient une adresse email et le numéro vert mis en place pour répondre aux questions du public.

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