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Paris, Octobre 20** - Conférence de M. Schmidt
Monsieur Schmidt attendait patiemment que tous les étudiants aient pris place dans la petite salle de cours. Il était chargé de conférence en économie ce qui, à Sciences Po, correspondait aux chargés de TD des universités classiques.
Mohamed avait intégré le prestigieux Institut d’Etudes Politiques de Paris quelques mois plus tôt. Il avait fait toute sa scolarité au lycée Janson de Sailly dans le 16ème arrondissement, à quelques mètres de l’appartement spacieux qu’habitaient ses parents.
En entrant dans la salle, Mohamed fut frappé par la forte odeur de tabac qui y régnait. Scrutant les personnes dans la salle, il s’attendait à découvrir un étudiant rebelle la cigarette au coin de la bouche.
Il n’en crut pas ses yeux quand il vit le professeur avec un mégot entre les doigts…
Lorsque le bruit des chaises se fut atténué, Monsieur Schmidt ouvrit un étui métallique ressemblant à une coquille Saint Jacques, et y fourra son mégot avant de le refermer et de glisser le cendrier portable dans la poche de sa veste.
« Bien » commença le professeur. « Je suis Didier Schmidt, et comme mon nom ne l’indique pas, je suis Breton ».
L’entrée en matière fit sourire les étudiants et Mohamed éprouva tout de suite de la sympathie pour ce professeur atypique.
La suite du cours confirma cette bonne impression. Les explications étaient limpides et agréables à écouter, tout l’inverse du supplice que Mohamed subissait à chaque cours magistral de macro-économie en amphi Boutmy.
Mohamed observa les étudiants. Les tables étaient disposées en forme de U, chaque participant faisant ainsi face au professeur.
L’assistance était composée d’à peu près autant de garçons que de filles, tous âgés d’environ 20 ans. Chacun avait disposé une feuille de papier en chevalet avec son nom et prénom.
Une jeune fille séduisante était en train de poser une question. Elle semblait parfaitement à l’aise et n’hésitait pas à contredire les réponses du professeur. Mohamed se demandait d’où elle pouvait tenir une telle assurance. Lui n’osait pas prendre la parole, se sentant obscurément illégitime dans cette enceinte de gens intelligents.
Le cours s’achevait déjà. Mohamed rassembla ses affaires et essaya de quitter rapidement la salle.
Il avait déjà fait plusieurs mètres dans le couloir quand il entendit une voix féminine prononcer son prénom « Mohamed ! ».
Se retournant, il reconnut la jeune femme qui posait des questions. Elle s’avançait vers lui en lui tendant un objet.
« C’est bien Mohamed ton prénom ? Tu as oublié ton portable ».
« Merci » balbutia Mohamed en rougissant.
« Au fait, je m’appelle Victoria » lui dit-elle avec un grand sourire.
Sébastien avait dû abandonner ses hommes au milieu de l’exercice nautique pour répondre à la convocation de son chef de corps.
Le capitaine de frégate commandant le commando Trépel était assis derrière son bureau, vêtu du treillis réglementaire de l’armée française, son béret vert à l’épaule. Sébastien le salua d’un geste sobre, la main effleurant sa tête, le dos droit, le regard franc et lança « mes respects, mon capitaine ».
« Je pense que vous êtes au courant de ce qui s’est passé hier soir à Boston. » commença l’officier supérieur.
« Oui mon capitaine. »
« Un bateau méthanier français, le Surcouf, a été attaqué cette nuit en mer d’Arabie par des hommes armés qui en ont pris le contrôle. Nous ne connaissons pas encore leurs intentions, mais le président de la République a donné l’ordre de se préparer à intervenir. » lui annonça sans détour le capitaine de frégate. « Vous partez pour Djibouti dans trois heures. »
« Bien mon capitaine. »
« C’est une situation particulièrement difficile et périlleuse. » reprit le commandant du commando. « Non seulement il y a des otages, mais le bateau peut exploser à chaque instant. Par ailleurs, la situation internationale est particulièrement tendue. »
« Vous partirez avec vingt opérateurs. Vous pourrez vous entraîner à Djibouti dans des conditions réelles : la société EUROGNL a accepté de dérouter un de ses navires. Il s’agit d’un sistership du Surcouf qui pourra être sur place dès demain vendredi. »
« Vous serez ensuite « tarponnés » et récupérés par la frégate Languedoc et le porte hélicoptère Tonnerre. » avait conclu le capitaine.
En sortant du bureau de son supérieur, Sébastien eut une pensée pour sa famille comme à chaque fois qu’il devait partir en mission. Il était père de cinq enfants dont l’aîné venait d’avoir huit ans. Il avait juste le droit de dire à sa femme qu’il partait en mission : mais il ne pouvait pas lui dévoiler ni le lieu, ni l’objet de la mission. Quant à savoir quand il serait de retour, lui-même ne le savait pas.
Sa femme acceptait ces départs précipités. Elle avait choisi son mari et la vie qu’il lui proposait. Elle s’y était habituée même si elle ne pourrait jamais empêcher un sentiment d’angoisse l’habiter jusqu’à son retour à Lorient.
Sébastien se concentra sur l’urgence du moment : prévenir ses hommes et s’assurer que tout le matériel était prêt à être acheminé jusqu’à Djibouti.
Il fit dans sa tête la revue des équipements individuels à emporter : arme de poing (PAMAS G1), arme d’épaule (fusil d'assaut HK416), tenue de camouflage, équipements de protection (casque, gilet pare-balles, genouillères…), équipement de visée nocturne, équipement de communication…
Tout était en ordre.
« Vous avez demandé à me voir ? » Abou Saïf se tenait en face du commandant Kerpont, le regard interrogatif.
« Oui. Je voulais m’assurer que vous aviez connaissance de la cargaison que nous transportons et de ses spécificités. »
« Du LNG. Entre vous et moi, c’est difficile de ne pas le savoir : c’est écrit en grosses lettres sur la coque du navire. » répondit le terroriste avec un air moqueur. « Il s’agit bien de gaz naturel liquéfié ? ».
« En effet. Mais ce n’est pas aussi simple que cela. » lui répliqua le commandant sans perdre son calme.
« Il s’agit de gaz naturel refroidi et maintenu à très basse température. C’est un produit très instable à la différence des produits pétroliers classiques. Il faut gérer avec beaucoup d’attention les évaporations qui peuvent faire rapidement monter la pression dans les cuves. Plus le voyage se prolonge et plus le phénomène s’amplifie. »
Abou Saïf écoutait le commandant en affichant une pointe de mépris. Il était bien placé pour savoir ce qu’était le GNL même s’il ne s’embarrassait pas des subtilités techniques.
« Ce n’est pas tout » poursuivit Kerpont. « Nous avons chargé le GNL à différents endroits. Le Surcouf a pris son chargement initial à Fos Cavaou près de Marseille. Il s’agissait d’un rechargement partiel de gaz algérien. Il a ensuite complété sa cargaison en Egypte. En tenant compte du talon, que le bateau conserve en permanence dans ses cuves pour rester froid, nous n’avons pas moins de trois qualités de gaz différentes dans nos cuves. »
« Et alors ? Il s’agit toujours de gaz naturel. »
« Certes, mais du gaz naturel avec des spécificités différentes : la composition, le pouvoir calorifique, le point de rosée, etc. Là où je veux en venir, c’est que ce mélange de qualités de gaz rend la cargaison encore plus instable… »
« C’est votre job de veiller à ce que ce navire et la cargaison qu’il transporte soient gérés correctement. Faites votre travail et foutez-moi la paix. » l’interrompit l’islamiste.
« Bien Monsieur. » lui répondit Kerpont en hochant la tête.

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