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Alexandre emboita le pas à son PDG sous le porche de l’Elysée. Un majordome les avait accueillis à leur arrivée et les escortait désormais à travers le Palais. Après avoir emprunté un certain nombre d’escaliers et de corridors, ils débouchèrent dans une salle en sous-sol.
La salle était vide. Elle était décorée sobrement, dotée d’une grande table ovale ouverte en son centre et de fauteuils confortables. Elle n’était pas très différente de la salle de crise qu’Alexandre avait quittée quelques instants auparavant. Mais elle était plus grande et plus luxueuse : devant chaque fauteuil, les participants avaient à leur disposition un bloc note siglé de l’Elysée, une bouteille d’eau, un verre et un micro pour leurs prises de paroles. Des écrans aux murs et au centre de la table complétaient l’équipement.
L’attente fut de courte durée. Une jeune fille élancée, lunettes rondes, cheveux châtains et la silhouette sportive, était entrée dans la salle et se dirigeait vers eux avec un sourire. « Victoria Proust » leur dit-elle en tendant la main. Alexandre identifia la femme qu’il avait eue au téléphone moins de deux heures avant. Réalisant qu’elle avait moins de trente ans, il fut frappé de voir une femme aussi jeune dans ce lieu de pouvoir.
Laissant son PDG saluer la jeune femme, Alexandre se tourna ensuite vers elle :
« Bonjour, je suis Alexandre Guillebot, nous nous sommes parlé au téléphone ».
Victoria ne marqua pas de surprise à la vue du visage atypique d’Alexandre. Elle était sur le point de lui répondre quand elle fut interrompue par l’arrivée d’un groupe de personnes, certaines en uniformes.
Au milieu du groupe, l’air concentré, Alexandre reconnut le président de la République.
Chacun prit place dans un fauteuil. Après un rapide tour de table pour que tous les participants puissent s’identifier, le président prit la parole.
« Nous sommes aujourd’hui avec le Surcouf dans une situation critique. Le détournement d’un tanker est un des scénarios les pires que l’on puisse imaginer. La crise de Boston nous montre que cela peut très vite avoir des conséquences dramatiques. » Se tournant vers le Chef d’Etat Major des Armées, il ajouta « Général, pouvez-vous nous résumer la situation d’un point de vue militaire ? »
Alexandre était impressionné par l’autorité qui se dégageait de ce président âgé d’à peine 40 ans. Ses prises de parole publiques lui étaient familières, mais aujourd’hui, il le voyait en pleine action, parler avec pragmatisme, sans s’encombrer des précautions oratoires habituelles aux politiciens.
Le général prit la parole et fit le résumé demandé. Le ton était posé, la diction claire et le récit factuel.
Le président reprit la parole. Il remercia le général et s’adressa au PDG d’Alexandre : « cher monsieur Baecker, merci de vous être déplacé jusqu’à nous. Pouvez-vous nous expliquer les particularités du gaz naturel liquéfié, et votre vision de la situation. »
Le PDG du groupe EUROGNL se racla la gorge et se lança dans un discours sur les vertus du gaz naturel qui était manifestement hors-sujet.
Le président l’interrompit après quelques secondes. « Essayons de nous tenir aux faits si vous le voulez bien ».
Une voix féminine intervint : « Monsieur le président, je pense qu’il serait pertinent de laisser Alexandre présenter la situation du point de vue de l’entreprise EUROGNL. Il m’a fait un tableau très bien informé par téléphone ce matin. »
Alexandre sentit son sang monter subitement au visage en entendant Victoria prononcer son nom devant le président. Il n’osait pas regarder son PDG qui avait été en un instant mis sur le banc de touche par une jeune fille qui n’avait pas la moitié de son âge.
Alexandre sentit le regard interrogateur et bienveillant du président de la République se poser sur lui.
Il inspira un grand coup et se lança.
« Monsieur le président, il faut comprendre qu’un méthanier transporte du gaz naturel liquéfié, c’est-à-dire du méthane, porté à une température de -160° Celsius. » Alexandre déroula son exposé pendant cinq bonnes minutes sans être interrompu.
A l’issue de son intervention, le silence se fit quelques secondes, chacun méditant le sombre tableau décrit par Alexandre.
Le président s’exprima de nouveau.
« Merci Alexandre. » Et s’adressant à toute la salle : « Il faut tout mettre en œuvre pour résoudre cette crise et avoir un coût humain le plus faible possible, sinon nul. Quelles options avons-nous pour éviter de réagir comme des cow-boys ? » La pique aux Américains n’échappa à personne. La problématique était claire : comment éviter un bain de sang comme à Boston ?
La discussion se poursuivit encore pendant près d’une heure.
Alexandre retint que des forces spéciales allaient être déployées sur la zone, ainsi qu’un négociateur du GIGN.
Enfin, le président leva la séance.
En sortant de la salle, Victoria se dirigea vers Alexandre et le félicita pour son intervention.
Préville n’osait pas sortir de sa cachette où la chaleur commençait à devenir insupportable. Il s’agissait d’un local technique d’une dizaine de mètres carrés, dont une bonne partie était utilisée par l’ancre du navire et sa chaîne.
Il avait essayé de regarder discrètement si des hommes, bons ou méchants, s’étaient aventurés à l’avant du bateau. Il n’avait aperçu personne mais son odorat avait décelé une curieuse odeur de vin qui couvrait assez étonnamment l’odeur iodée de la mer et les effluves huileux des machines. Il était retourné au fond de son trou assez perplexe.
Son téléphone captait un réseau omanais, mais ne parvenait pas à s’y connecter : aucun de ses appels ou de ses messages n’avait pu aboutir. Il sentait bien qu’il ne pouvait rien faire pour l’instant et se résolut à attendre la nuit avant de tenter une nouvelle sortie.
Le retour au bureau avait été sinistre. Le président d’EUROGNL n’avait pas ouvert la bouche ni croisé une seule fois le regard d’Alexandre.
Alexandre avait eu le temps de jeter un coup d’œil aux fils d’information : le détournement du Surcouf occupait désormais toute l’actualité. Les images de la tour et du logo d’EUROGNL tournaient en boucle sur les chaînes de télévision et les réseaux sociaux, en alternance avec les images de Boston. Les journalistes ressassaient quant à eux le peu d’information qu’ils avaient dans tous les sens.
Alexandre avait éteint son téléphone en entrant dans la salle de crise de l’Elysée. En le rallumant, il constata que plusieurs personnes avaient cherché à le joindre. Il prit le temps d’écouter les messages reçus. Plusieurs journalistes dont Anne Delaunoy demandaient à être rappelée. Il avait reçu également de nombreux sms et messages Whatsapp, essentiellement de sa famille ou des amis qui l’assuraient de leur soutien.
Le chauffeur les avait déposés au pied de leur tour et le PDG s’y était engouffré rapidement, parvenant à échapper aux journalistes qui tentaient de l’interroger. Des policiers avaient établi un périmètre dans lequel seuls les salariés d’EUROGNL avaient le droit de pénétrer. Alexandre n’avait pas emboîté le pas à son président. Son métier consistait notamment à gérer les questions des journalistes. Or il s’apercevait que ceux-ci ne se gênaient pas pour interviewer n’importe quel salarié, de l’agent d’entretien au contrôleur de gestion.
Il décida d’aller à leur rencontre et se dirigea vers une journaliste qui tenait un micro à la main, flanquée d’un cameraman affichant le logo d’une chaine d’information.
« Bonjour, je suis Alexandre Guillebot, chargé de la communication d’EUROGNL. Est-ce que je peux vous être utile ? » Il répéta les éléments déjà communiqués aux médias en ajoutant qu’un point presse allait bientôt être organisé.
Après quelques minutes, il parvint à s’extraire de la foule des journalistes et regagna la salle de cellule de crise.

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