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Le temps passait trop lentement pour Préville, reclus dans l’obscurité. La chaleur était insoutenable, même si la paroi la plus proche de la cuve de gaz liquéfié apportait une fraîcheur relative.

Toutes les cinq minutes, il consultait son portable, sans grand espoir, pour voir s’il captait un réseau. Mais il ne voyait que le réseau omanais de manière épisodique auquel son téléphone ne parvenait pas à se connecter.

Dans le noir, son imagination s’emballait. Chaque bruit des vagues contre la coque, le moindre grincement de la structure, devenait un signe annonciateur de l’arrivée imminente des terroristes dans sa cachette. Il se rassurait en se disant que si les terroristes le cherchaient, ils l’auraient déjà trouvé. Il bénissait ses coéquipiers qui manifestement n’avaient pas trahi sa présence sur le bateau.

Son esprit était pourtant assailli de questions obsédantes. Pourquoi avait-il pris cette décision irrationnelle de fuir les terroristes ? Comment pouvait-il espérer se cacher sur un bateau ? Quelle différence cela ferait-il quand les islamistes ou les Américains feraient exploser le navire, comme à Boston ?

Il se raisonnait en passant en revue toutes les raisons objectives d’être à sa place. Lui plus que tout autre membre de l’équipage avait la légitimité pour essayer d’intervenir. Non seulement il faisait partie des rares personnes à être au courant de ce qui se passait en ce moment à Boston, mais il était aussi militaire réserviste dans la marine avec le grade d’enseigne de vaisseau 1ère classe. Il savait reconnaître et manier les armes et avait une certaine compréhension de l’arabe. Est-ce que ces compétences lui seraient utiles ? Il n’en savait rien. Mais il avait la certitude que ce n’était pas en restant à la merci de ces terroristes qu’il pourrait les mettre en œuvre.

Il s’était assoupi pendant un temps indéterminé quand il sentit une présence à côté de lui. Immédiatement sur le qui-vive, Préville serra son couteau dans son poing, prêt à frapper son agresseur. Il essaya de distinguer la silhouette qui tâtonnait dans l’obscurité. Si c’était un homme armé, pourquoi n’avait-il pas de lampe ?

Il entendit la silhouette heurter la chaîne de l’ancre et laisser échapper un juron en français. Il reconnut immédiatement la voix de Karem et se détendit.

« Par ici ! » chuchota Louis à l’intention de son ami.

« Quelle idée as-tu eue de te mettre au trou ? » grommela Karem lorsqu’il se fut approché.

« Parce que tu préfères la compagnie de ces hommes de Néanderthal ? » lui répondit Préville dont la voix trahissait l’émotion qu’il essayait de retenir.

« Tu es dur avec les hommes préhistoriques. Ils avaient un cœur et une tête dont ils savaient se servir. Je ne pourrais pas garantir la même chose pour les fous d’Allah. »

« Et pourtant tu es musulman ? »

« Ces gens ne sont pas l’islam, ils en sont la honte. » répondit Karem qui était fils de harki.

« Trêve de plaisanterie » coupa Préville un peu brusquement. « Peux-tu me dire ce qu’il se passe sur ce bateau ? ».

« Oui bien sûr. C’est pour cela que je suis ici. Et je ne peux pas rester trop longtemps pour ne pas alerter les fous. Tout d’abord, je t’ai apporté de l’eau et quelques provisions. »

Karem fit ensuite le récit des dernières heures à Préville : les repas, le vin répandu, les jambons à la mer, la prière sur le pont, le survol des Rafales, le sort réservé à Manon et l’interdiction de communiquer entre les membres de l’équipage.

« Combien de terroristes » interrogea Préville ?

Karem parut réfléchir : « Ils sont sept. Leur chef est un Algérien de France. Il se fait appeler « Abou Saïf », un nom de guerre. » Il ajouta « Il y a aussi deux frères tchétchènes, des brutes. Je pense qu’il y en a au moins un qui vient du Moyen Orient : Syrie ou Irak d’après son dialecte arabe. »

« Quel est leur armement ? »

« Certains ont des longs poignards. Tous ont au moins un fusil, probablement des kalachnikovs. Ils ont aussi des sacs de sports qui semblent assez lourds. Mais je ne pourrais pas dire ce qu’il y a dedans »

« Est-ce qu’ils semblent organisés ? Est-ce qu’ils se reposent à tour de rôle ? »

« Oui ils ont l’air d’avoir bien préparé leur coup. Leur chef organise des rotations entre ses hommes. »

Cela faisait maintenant 10 minutes que la discussion avait commencé et Karem commençait à manifester des signes d’inquiétude.

« Maintenant il faut que je retourne en cuisine avant d’éveiller les soupçons » dit-il à Préville en guise de conclusion. « Je repasserai ».

« EUROGNL va-t-elle faire faillite ? » L’audace de la question avait surpris Baecker et Alexandre lui-même ressentait une certaine gêne à la poser. Mais c’était son rôle d’anticiper toutes les questions, surtout les plus délicates.

Alexandre et son PDG s’étaient installés dans une salle adjacente à la cellule de crise. Alexandre était assisté par un consultant en gestion de crise et le responsable de la communication interne. Ils préparaient Baecker pour l’exercice difficile de la conférence de presse en période de crise.

Baecker se tenait debout derrière un pupitre et Alexandre et ses deux acolytes jouaient le rôle des journalistes. Un peu plus tôt, Alexandre avait remis à Baecker le Q&A, un document d’une vingtaine de pages qu’il lui avait demandé de mémoriser. Ils avaient discuté les réponses proposées et décidé d’en ajuster certaines.

Ils avaient travaillé ensemble sur une courte introduction récapitulant les faits, exprimant le soutien de la société aux personnes impactées par ce détournement – à commencer par les familles des marins – et assurant l’auditoire des efforts déployés par EUROGNL pour résoudre cette crise dans les meilleures conditions.

Alexandre avait expliqué à Baecker les trois objectifs principaux d’une conférence de presse : premièrement occuper l’espace médiatique avec une information factuelle pour éviter la propagation de rumeurs ou d’informations erronées ; deuxièmement préserver la réputation de l’entreprise en étant transparent sur les faits et les actions mises en œuvre ; et troisièmement rassurer et maintenir la confiance en montrant que l’organisation maîtrise la situation et prend des mesures concrètes pour résoudre la crise.

Il avait également alerté son président contre les pièges de l’exercice : certains propos pouvaient entraîner la confusion ou même la suspicion. Il fallait donc s’en tenir aux faits, être concis et éviter toute spéculation. La conférence de presse pouvait aussi être utilisée par certains groupes militants comme une caisse de résonnance pour faire entendre leurs discours à une large audience.

Les questions s’enchaînaient et Alexandre était satisfait par les réponses de Baecker. Il avait clairement l’habitude de prendre la parole en public et maîtrisait son sujet, même si certaines réponses pouvaient manquer de concision.

« Que prévoit EUROGNL pour former les équipages de ses bateaux au risque terroriste ? »

« Mais la question n’est pas dans le Q&A ! » releva Baecker en haussant un sourcil accusateur.

« C’est exact, mais vous ne pourrez pas faire cette réponse au cours de la conférence de presse » lui fit remarquer Alexandre avec calme. « L’intérêt de préparer la conférence de presse est de vous mettre en situation réelle. Et dans la réalité, vous devrez répondre à des questions qui ne sont pas dans le Q&A. »

« D’accord, mais je n’ai aucune idée de la réponse. » ajouta Baecker avec une pointe d’agacement.

« Vous pouvez répondre que le risque de piraterie ou de détournement terroriste est pris très au sérieux par EUROGNL et les armateurs avec lesquels nous travaillons. Il existe des procédures à la disposition de l’équipage. Tous les marins sont extrêmement qualifiés et sélectionnés avec soin. Enfin, EUROGNL auditera et adaptera ses procédures à la lumière des évènements actuels. »

La conférence de presse avait été fixée le jour même à 18h dans l’espoir d’avoir un maximum d’impact sur les journaux télévisés de 20h. Dominque Baecker était d’ailleurs ensuite l’invité du 20 heures de TF1.

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