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La conférence de presse se tenait au siège d’EUROGNL à la Défense. Les journalistes, ceux de la presse généraliste comme ceux de la presse spécialisée, avaient répondu massivement présents à l’invitation. Ils occupaient toutes les places de l’amphithéâtre situé au rez-de-chaussée de la tour d’EUROGNL. Une traduction simultanée en anglais était proposée à ceux qui le souhaitaient.

Baecker se dirigea avec assurance vers le pupitre au centre de l’estrade. Une armée de micros et de caméras était dirigée vers lui.

Il arborait un costume sombre, une chemise blanche et une cravate bleu marine. Il était rasé de près même si une certaine fatigue pouvait se lire dans ses yeux.

Il prit une grande respiration et fixant l’auditoire avec un regard franc, il se lança dans son propos introductif sans la moindre note. Alexandre l’observait du premier rang et ne perdait aucune de ses paroles. Il jugea que le discours était bien accueilli par le public.

Baecker invita ensuite les participants à poser leur question.

La première question fut posée par un journaliste de l’AFP, un homme d’une trentaine d’années, habillé en jeans et teeshirt : « Bonjour, j’ai deux questions. Pouvez-vous nous dire si l’attaque a été revendiquée ? Et est-ce que l’attaque du navire a entraîné des victimes ? Je vous remercie. »

Le PDG répondit posément qu’à l’heure où il parlait, le contact n’avait pas été établi avec les hommes armés et qu’aucune revendication n’avait été reçue. « Nous n’avons pas connaissance de victimes sur le bateau. En revanche, les autorités Omanaises ont confirmé la disparition de plusieurs de leurs hommes suite à la prise de contrôle d’une vedette de garde-côtes par les terroristes. »

La deuxième intervenante, une femme d’une cinquantaine d’années, journaliste pour une télévision suisse, concernait le lien entre le bateau et EUROGNL : la société en est-elle propriétaire ? L’équipage fait-il partie des effectifs de la société ? Le PDG n’eut aucune difficulté à répondre à ces questions.

La question suivante portait sur le lien entre les évènements en mer d’Arabie et à Boston. Elle était posée par une jeune fille qu’Alexandre reconnut comme étant Anne Delaunoy, de l’Epoque Economique. « Monsieur le président, pouvez-vous nous dire si le bateau et sa cargaison sont similaires à celui attaqué à Boston ? Le scénario aux Etats-Unis peut-il se répéter avec le bateau d’EUROGNL ? »

Baecker prit un air de compassion et attendit un moment avant de répondre : « La cargaison du LNG Surcouf est composée de gaz naturel liquéfié, comme celle du Cheikh Boumediene. Les deux navires sont des méthaniers à membranes comparables dans leur design. » Un frisson parcourut l’assemblée. « Cependant, les autorités américaines ont pris une décision radicale en raison de circonstances très spécifiques et propres à Boston. Le terminal d’Everett où la cargaison devait être déchargée est situé dans une zone urbaine dense. Pour vous donner une idée, le terminal est situé à moins de 4 km à vol d’oiseau du campus de l’université d’Harvard. Les autorités américaines ont jugé qu’il y avait un risque trop important à laisser le méthanier détourné – devenu potentiellement une bombe flottante – s’approcher de cette zone. Je tiens à dire que ce n’est pas le cas du LNG Surcouf : il navigue actuellement à plusieurs milliers de kilomètres de la zone urbaine dense la plus proche. » Alexandre sentit l’assistance se détendre légèrement. En revanche l’expression « bombe flottante » l’avait fait tiquer. Ce choix de mots n’était pas des plus heureux, mais personne ne semblait y avoir prêté attention.

Le PDG avait répondu à plusieurs questions lorsque le micro avait été réclamé par un journaliste en veste et col roulé : « Laurent Dupont, du journal La Victoire. Pourquoi le risque accru à la suite de l’évènement de Boston n’a-t-il pas été pris en compte ? »

Ce n’était pas qu’une question, c’était un jugement de culpabilité pensa Alexandre. Il sentit un moment d’hésitation chez son supérieur hiérarchique. « Dès que le détournement du méthanier à Boston a été connu, le LNG Surcouf en a été informé. Le commandant a pris des mesures de sécurité renforcées comme toute notre flotte. Manifestement, ces mesures n’ont pas suffi et les terroristes ont réussi à prendre le contrôle du bateau. Une enquête sera diligentée pour établir les responsabilités et soyez assurés que nous tirerons toutes les conséquences de ces évènements pour adapter nos procédures et faire en sorte qu’ils ne se reproduisent pas. » Alexandre sentait que l’auditoire n’était pas complètement convaincu par l’explication. Il était en effet difficile de croire qu’une poignée d’hommes puisse prendre le contrôle aussi facilement d’un navire méthanier et de sa cargaison de 180,000 mètres cubes de gaz liquéfié.

Le micro était déjà entre les mains d’une jeune femme assez agitée qui n’attendit pas la fin de la réponse de Baecker pour demander d’une voix haut perchée : « Et que faites-vous pour assurer la diversité de vos équipages ? Combien de femmes et combien de Philippins parmi les officiers ? »

Le ton était inquisiteur et la question posée sans le moindre effort de courtoisie. Mais Baecker avait bien en tête les consignes d’Alexandre et s’appliqua à répondre de manière apaisée. « Bonjour Madame, ou mademoiselle. » Alexandre entendit son interlocutrice s’indigner mais son micro était coupé et il ne put saisir que le mot « patriarcat ». Baecker continua imperturbable : « Nous prenons ces questions très au sérieux, mais l’industrie du GNL reste largement dominée par des profils techniques d’ingénieurs où les femmes sont sous-représentées. De même la marine marchande est un univers très masculin. Les matelots philippins sont réputés pour leurs compétences et c’est la raison pour laquelle beaucoup d’armateurs font appel à eux. Pour ce qui concerne le LNG Surcouf, il y a une femme parmi les officiers, ce qui est assez rare pour s’en féliciter. »

La personne qui avait posé la question ne semblait pas satisfaite de la réponse. Mais le PDG passa outre ses protestations et désigna une autre personne pour poser la prochaine question.

Il s’agissait d’un homme d’une vingtaine d’années. « Bonjour, pouvez-vous nous dire s’il y a un risque pour l’environnement ? Le méthane est un gaz à effet de serre très polluant ».

Baecker s’attendait à cette question. Même si la combustion du gaz naturel émettait beaucoup moins de CO2 que n’importe quel autre hydrocarbure, l’effet du méthane sur la couche d’ozone était désastreux quand il s’échappait dans l’atmosphère. Les fuites de méthane était le point faible de l’industrie du GNL même si les entreprises investissaient énormément pour les minimiser.

« L’environnement est une préoccupation prioritaire pour notre société : le produit que nous transportons est en effet polluant s’il est relâché dans l’atmosphère. Mais je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’un pétrolier et qu’il n’y a pas de risque de marée noire. A cette heure le bateau opère normalement et ne génère aucune pollution. Nous travaillons en collaboration avec les autorités pour reprendre le contrôle de celui-ci. »

Baecker et Alexandre avaient jugé inutile de préciser que la catastrophe à Boston n’avait qu’un effet limité sur la couche d’ozone dans la mesure où le GNL était en feu. La remarque aurait pu paraître indécente au regard des victimes de ce brasier géant.

C’est alors qu’une femme se leva dans l’assistance, le haut du corps dénudé. Alexandre l’entendit crier d’une voix forte en anglais teintée d’un fort accent français : « Stop Big Oil, Save Our Planet! ». Sur chacun de ses seins était dessiné le symbole de la radioactivité.

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