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Après un bref passage entre les mains de la maquilleuse, Baecker avait pris place sur le plateau du 20h de Tf1. Alexandre assistait à la scène depuis la régie.
Les deux hommes avaient quitté la tour EUROGNL à l’issue de la conférence de presse. L’intervention de l’activiste aux seins nus avait précipité la fin de l’exercice : une fois la jeune femme évacuée par le service d’ordre, Baecker avait rapidement répondu au slogan qui était manifestement hors-sujet et avait clôt les échanges malgré les demandes frustrées de plusieurs journalistes.
En sortant du parking de la tour, Alexandre avait constaté que les journalistes étaient toujours au pied de celle-ci. Mais d’autres personnes les avaient rejoints, maintenus à distance par un cordon de sécurité : elles tenaient des pancartes et criaient des slogans dénonçant les crimes supposés d’EUROGNL contre l’environnement.
« L’activiste infiltrée dans la conférence de presse n’est manifestement pas venue seule. » avait pensé Alexandre en contemplant les manifestants derrière les vitres teintées de la voiture du PDG.
Le générique du journal retentissait dans le studio de Boulogne-Billancourt. Le présentateur se composait un visage souriant avant d’énoncer les titres de l’édition. Le Surcouf et le Cheikh Boumediene à Boston occupaient la place principale, devant les inondations dans le Sud de la France et un sujet sur les cours de cuisine à domicile.
Le reportage sur le Surcouf retraçait en cinq longues minutes les évolutions de la situation depuis l’annonce de la prise de contrôle du méthanier. On y voyait une carte de la région, des images du méthanier que l’équipe d’Alexandre avait fournies à Tf1, des images des bureaux de l’entreprise et de la conférence de presse. Un envoyé spécial devant la tour EUROGNL commentait les différentes séquences. Le reportage faisait naturellement le lien avec l’attaque du méthanier à Boston.
Alexandre découvrait les images et le narratif en même temps que Baecker. Le récit était assez mesuré malgré une emphase très dramatique renforcée par la voix off.
« J’accueille aujourd’hui Monsieur Baecker, président directeur général de la société EUROGNL, dont le méthanier LNG Surcouf a été attaqué ce matin par un groupe d’hommes armés. » commença le journaliste. « Monsieur Baecker bonjour ».
« Bonjour Monsieur Bouleau. » répondit Baecker.
L’interview s’était déroulée sans surprise pour Baecker, preuve que la préparation avec Alexandre avait été utile.
Les deux hommes avaient regagné la tour EUROGNL à l’issue du journal télévisé.
Le titre barrait la une du journal implacablement : « Scénario catastrophe en mer d’Arabie ». Mais c’était le sous-titre qui mettait Alexandre hors de lui : « Aveu d’échec pour EUROGNL qui reconnaît avoir perdu le contrôle d’une bombe flottante aux mains de djihadistes. »
Alexandre se rappela que l’expression « bombe flottante » était de Baecker. Manifestement, elle n’avait pas échappé aux oreilles de Laurent Dupont, de la Victoire.
Il se plongea dans la lecture de l’article.
Le journaliste commençait par décrire les faits de manière assez objective, faisant clairement le lien entre l’attaque du méthanier à Boston et celle du Surcouf en mer d’Arabie. L’attaque aux Etats-Unis avait été revendiquée par Al Qaida.
Quelques lignes après le début de l’article, le journaliste commençait à sérieusement dérailler. Il affirmait qu’EUROGNL devrait répondre de ses défaillances en matière de sécurité et du danger que représentaient ses navires.
Il soulignait le caractère extrêmement pollueur du transport de GNL et le risque très préoccupant que cette attaque constituait pour l’environnement. Le journaliste reformulait une réponse de Baecker en la dénaturant de manière éhontée.
Alexandre essaya de lister les différentes affirmations et d’y répondre de manière la plus factuelle possible. Certes, la combustion des hydrocarbures constitue une source de pollution. Mais le méthane dont la molécule chimique ne contient qu’un seul atome de carbone, ne libère dans l’atmosphère qu’une molécule de gaz carbonique pour deux molécules d’eau. En d’autres termes, le gaz naturel est l’hydrocarbure le moins polluant, comparé au pétrole ou au fioul.
En revanche, le méthane lorsqu’il est libéré dans l’atmosphère a un pouvoir polluant très prononcé et Alexandre estimait qu’il était stupide de prétendre l’inverse.
L’industrie en a conscience et met en œuvre des efforts considérables pour traquer les fuites de méthane tout au long de la chaîne. Cela passe ainsi par l’installation de capteurs ou l’observation par drones équipés de spectromètres mobiles.
Le choix d’un pays d’avoir recours au gaz naturel obéit à différents facteurs mettant en balance le coût environnemental et le bénéfice attendu en termes de couverture des besoins énergétiques. Ainsi, il est aberrant de militer pour un recours massif aux énergies renouvelables tout en écartant le recours au gaz naturel. En effet, l’électricité d’origine solaire et éolienne n’est disponible par définition que lorsqu’il y a du soleil et du vent. Aussi longtemps qu’on ne sera pas capable de répondre à tous nos besoins énergétiques quelles que soient les conditions de météo ou de lumière, il sera nécessaire de faire appel à une énergie mobilisable très rapidement. Seul le gaz permet de pallier les limites des énergies renouvelables en minimisant le coût environnemental.
Quant à pointer du doigt la responsabilité d’EUROGNL, il s’agissait d’une accusation ridicule. EUROGNL opérait des méthaniers depuis des dizaines d’années et avait été précurseur dans la mise en place de mesures pour limiter l’impact de ses activités sur l’environnement. Les bateaux d’EUROGNL étaient tous régulièrement inspectés et entretenus, et les terminaux audités de manière indépendante.
Alexandre composa le numéro de Laurent Dupont.

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