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Le LNG Surcouf avait poursuivi sa route sans être inquiété, l’escorte des bâtiments militaires restant à une distance respectable. En les observant aux jumelles, Abou Saïf avait identifié les pavillons français, américain, chinois et iranien.
Il avait noté avec satisfaction que son téléphone captait un nouveau réseau 4G au signal très puissant. C’était sans regret qu’il avait remplacé sa poussive connexion satellite par ce réseau fluide et accessible en pleine mer. Il n’avait pas réalisé l’incongruité d’un réseau de cette qualité disponible en haute mer.
Le bateau était désormais au centre du détroit d’Ormuz, à équidistance entre la côte iranienne et la côte omanaise.
Des hélicoptères survolaient le bateau à haute altitude et des drones bourdonnaient régulièrement autour des terroristes qui s’exerçaient sur eux au ball-trap sans grand succès.
Aucun autre bateau civil n’était visible : le trafic habituellement dense dans la zone s’était tari.
La frégate française Languedoc avait essayé de prendre contact avec le méthanier à plusieurs reprises depuis la veille mais le chef des terroristes avait jusqu’alors gardé un silence radio complet.
Après la prise de contrôle du navire et la navigation jusqu’à Ormuz, il était temps de passer à la troisième phase du plan.
Le méthanier avait diminué sa vitesse et se contentait désormais de faire des ronds dans l’eau.
Abou Saïf saisit le micro de la radio : « LNG Surcouf pour frégate Languedoc, répondez. »
La réponse de la frégate ne se fit pas attendre. « Frégate Languedoc à LNG Surcouf, nous vous écoutons ».
Le chef des terroristes articula en français : « Par Allah tout puissant, nous avons pris le contrôle de ce navire au nom d’Al Qaida. Le bateau contient 180,000 mètres cube de gaz naturel liquéfié et des charges explosives sont prêtes à être déclenchées à tout moment. Nous détenons par ailleurs 24 membres d’équipage en vie. Le bateau sera détruit si nos exigences ne sont pas satisfaites dans les 48 heures :
Premièrement, évacuation de tous les territoires occupés illégalement par l’état sioniste en Palestine ;
Deuxièmement, libération de tous les prisonniers politiques palestiniens détenus par l’état sioniste et ses alliés ;
Troisièmement, libération des prisonniers politiques en Europe, détenus pour leur engagement en Syrie, en Irak et au Yemen aux côtés des forces islamiques. »
La communication fut coupée à l’issue de ce message.
Alexandre avait d’abord conduit Anne Delaunoy en cellule de crise pour lui expliquer brièvement le dispositif mis en place par EUROGNL. Il avait ensuite accompagné la jeune femme jusqu’au dernier étage de la tour où se situait le bureau de Baecker. Celui-ci avait accueilli la journaliste avec un grand sourire, avant de lui proposer de s’installer sur le canapé qui occupait une partie de son large bureau. L’endroit était lumineux et chaleureux, offrant une vue dégagée sur Neuilly, Paris et le bois de Boulogne.
Alexandre s’était ensuite placé en retrait, laissant Anne Delaunoy initier l’interview.
Celui-ci avait débuté depuis plusieurs minutes quand Alexandre nota un appel entrant sur son portable.
Préville n’en crut pas ses yeux lorsqu’il vit s’afficher des alertes sur son téléphone : des sms, des emails, des alertes info… Il captait un réseau 4G nommé « GulfCom » sur lequel son téléphone s’était connecté automatiquement. La puissance du signal aurait pu être celle dont il bénéficiait en plein Paris.
Avec fébrilité, Louis composa le numéro de l’astreinte opérationnelle de EUROGNL.
Il fut immédiatement redirigé vers la cellule de crise.
Voyant son téléphone sonner, Alexandre s’excusa auprès d’Anne Delaunoy et sortit de la pièce. Il faisait confiance à Baecker pour la suite de l’interview et il savait qu’Anne lui soumettrait le texte avant de le publier.
Une fois sorti de la salle, Alexandre demanda à son interlocuteur de patienter le temps pour lui de regagner la cellule de crise, 30 étages plus bas.
Arrivé dans la cellule de crise, il tapota l’épaule de Victoria pour lui dire d’écouter et mit l’appel en haut-parleur.
« Allo, ici Louis de Préville, officier sur le LNG Surcouf » entendirent Alexandre et Victoria quand la ligne fut transférée. Les deux jeunes gens échangèrent un regard tendu. Ils firent signe aux autres personnes de la cellule de crise de ne plus faire de bruit.
La voix leur paraissait étouffée et noyée dans un bruit de fond important. Néanmoins, les paroles étaient intelligibles.
Toute la cellule de crise écoutait la voix déformée par le téléphone en retenant son souffle.
« Bonjour, ici Alexandre Guillebot, EUROGNL, je vous écoute. » Alexandre avait la gorge nouée par l’émotion d’entendre la voix d’un membre de l’équipage du Surcouf.
« Le méthanier a été détourné par des terroristes islamiques » énonça son interlocuteur avec calme.
Louis expliqua la situation du navire et la sienne.
« Si je comprends bien vous avez réussi à échapper à la vigilance des terroristes pour l’instant ? »
« C’est exact. Mais je n’en mène pas large. Je garde le contact avec le cuisinier qui me permet de suivre ce qu’il se passe. Il m’apporte aussi des provisions et recharge ma batterie externe. »
Victoria fit un petit signe à Alexandre pour prendre la parole.
« Bonjour Louis, ici Victoria Proust . Je représente l’Elysée dans la cellule de crise. Je vais communiquer votre numéro de portable à l’armée française. Ils vont vous contacter. En attendant, pour votre sécurité, je vous conseille de ne pas tenter de communiquer avec d’autres personnes, y-compris des proches ».
« Ok. Le problème Victoria c’est que je capte un réseau par je ne sais quel miracle et que je ne suis pas certain que je l’aurai toujours dans les prochaines heures » objecta Louis.
Victoria répondit avec un sourire que Louis ne pouvait pas voir : « Ne vous inquiétez pas pour ça. Nous nous en occupons. L’essentiel pour vous est de garder de la batterie. Il faut donc prier pour que votre cuisinier continue à vous recharger votre batterie externe. »
Louis osa formuler une requête qui lui brûlait les lèvres « Pourrais-je vous demander de dire à ma famille que je suis en sécurité et en bonne santé ? »
C’est Alexandre qui répondit cette fois « Oui, nous contactons toutes les familles pour les tenir au courant. En revanche, et encore une fois pour votre sécurité je ne peux pas vous garantir qu’on passera un message différent à votre famille. »
Et Victoria ajouta « Vous êtes extrêmement courageux et nous pensons bien à vous. N’hésitez pas à nous contacter si vous avez besoin de parler. »
Alexandre ne put s’empêcher de penser que cette petite touche d’empathie était bienvenue. Il se félicita intérieurement d’avoir Victoria à ses côtés.

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