3-6
Karem frappa sur la trappe avec le code convenu puis souleva celle-ci et se coula dans l’orifice.
Ses yeux mirent encore un certain temps à s’habituer à la pénombre. L’air moite sentait un mélange d’urine et de crasse. Il distingua enfin son ami endormi dans un coin. S’approchant de lui, il nota son visage marqué par la fatigue, ridé par l’inquiétude et couvert de transpiration. Il avait maigri et semblait avoir vieilli de plusieurs années. « Nous avons tous pris un sacré coup de vieux en 36 heures » pensa Karem ». Il posa les provisions qu’il avait apportées à côté de son ami et lui tapota gentiment sur son épaule.
Préville se réveilla en sursaut, immédiatement sur la défensive. Il se détendit presque aussitôt en reconnaissant le cuisinier. Les émotions se succédaient dans les traits de l’officier : la tension laissa place au soulagement puis au questionnement.
« Alors ? » demanda-t-il d’une voix rauque.
« C’est pas brillant » lui répondit l’autre. « Ces monstres ont exécuté un matelot philippin, soi-disant pour avoir jeté un Coran sur le sol, mais surtout pour faire un exemple. Egorgé comme un animal, devant tout le monde aligné sur le pont. C’était horrible. »
« Les salauds ! » grommela Préville qui sentait sa gorge se nouer. « De qui s’agit-il ? »
« De Jaypee » répondit Karem avec une expression de tristesse dans les yeux. Les deux hommes se turent, chacun se représentant le visage souriant de leur collègue.
« L’ambiance est détestable. Personne n’ose croiser le regard de ces chiens. On sent que tout le monde a été sérieusement ébranlé par cette scène insoutenable. En passant le soir entre les cabines, j’entends des sanglots à travers les cloisons. » Puis Karem ajouta avec une pointe de désespoir : « Quand est-ce que ça va se terminer ? »
Louis posa la main sur l’épaule de son ami : il comprenait ce sentiment d’impuissance qui l’accablait. Mais il n’était pas question de se laisser aller au désespoir.
« Est-ce que tu sens de la nervosité chez les terroristes ? de la fatigue ? » interrogea Louis.
Le cuisinier réfléchit un instant. « Je sens que les djihadistes ont pris de l’assurance depuis leur arrivée sur le bateau. Ils ont pris leurs marques. Mais je sens aussi une certaine tension. » Puis il ajouta après un court silence « Ils doivent se rendre compte que l’affrontement est inévitable et que, même s’ils aiment beaucoup la mort comme ils le répètent, ils préfèrent qu’elle se tienne encore un peu à distance. »
Il poursuivit : « Leur arabe est pour certains assez approximatif et quand je les entends, j’ai l’impression d’avoir affaire à des gosses. Dès qu’ils m’aperçoivent, ils essaient alternativement de m’amadouer et de me menacer pour que je suive leur islam radical. Ils doivent s’imaginer avoir droit à une vierge en plus au paradis pour chaque conversion ».
« Tu es un musulman et ton devoir est de faire le djihad comme tout bon musulman. » déclama-t-il à voix haute en exagérant l’accent maghrébin des quartiers, l’index en l’air et en louchant des yeux.
Préville se mit à rire.
« Ils sont comme des enfants qui auraient reçu un fusil pneumatique à Noël. Ils essaient de descendre les drones qui tournent autour du bateau avec leurs kalachnikovs. Mais je ne crois pas qu’ils en aient jamais touché un seul. » continua Karem.
Les deux hommes observèrent quelques secondes de silence, que rompit l’officier de marine.
« De mon côté, j’ai pas mal avancé depuis ma cellule. »
« Ah bon ? Tu as eu une révélation divine ? » le moqua gentiment son ami en désignant le plafond au-dessus d’eux.
« Presque » répondit Préville avec un sourire. « J’ai surtout un portable, du réseau et un contact avec l’armée française. » ajouta-t-il avec flegme. Il aperçut les yeux du cuisinier s’arrondir.
« D’ailleurs, as-tu pu charger ma batterie externe ? »
Karem lui tendit l’objet désiré : « elle est chargée à 100% ».
« Merci. Ce que je vois sur mon téléphone boule de cristal, c’est que le Surcouf est désormais au milieu du détroit d’Ormuz. Et je pense qu’il va y rester un certain temps, et pas pour pêcher. Plus longtemps il reste à cet endroit et plus il va perturber les marchés financiers en bloquant les exportations de pétrole d’Arabie Saoudite, du Koweit, des Emirats et de l’Iran, et le gaz du Quatar. »
Les deux hommes sentirent une secousse qui semblait provenir de l’intérieur même du bateau. Ils se regardèrent en fronçant les sourcils.
« On a l’impression que ça bouge dans les cuves » dit le cuisinier.
« Oui » lui répondit Préville la mine inquiète. « C’est peut-être un début de roll-over, et ça pourrait changer les règles du jeu. »

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