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Alexandre et Victoria avaient quitté la cellule de crise après avoir obtenu l’accord de l’officier en charge des opérations militaires. Ils étaient sortis de la tour en évitant la horde de journalistes stationnés devant. En revanche, ils avaient été abordés par un individu qu’Alexandre ne connaissait pas.

L’homme, qu’Alexandre estimait un peu moins âgé que lui, s’était adressé à Victoria de manière assez agressive.

« Pourquoi ne réponds-tu pas à mes messages ? Tu filtres mes appels ? »

Au grand étonnement d’Alexandre, Victoria répondit à l’importun en l’appelant par son prénom.

« Arnaud, tu ne vas pas commencer à me faire une scène maintenant. Je n’ai pas répondu à tes messages parce que j’ai du travail et qu’on a une crise à gérer. » Alexandre avait l’impression que la jeune fille prenait sur elle pour garder son calme.

« Quelle crise ? Ça fait deux jours que tu ne réponds plus à mes messages ! » Alexandre sentait une profonde colère chez l’interlocuteur de Victoria qui se tourna vers lui.

« Et c’est qui celui-là ? Ton nouveau copain ? » lâcha-t-il sur un ton méprisant.

« Je te présente Alexandre, avec qui je travaille en ce moment sur des questions dont l’importance dépasse largement tes petits états d’âme. » lui répondit Victoria avec une pointe d’exaspération dans la voix. « Et maintenant, nous allons te quitter parce que nous avons un rendez-vous important. Et je te demande de ne plus nous importuner. »

Tournant les talons, elle entraîna Alexandre un peu plus loin vers le parking deux-roues.

Arnaud les suivait en continuant à faire des reproches à la jeune femme qui avait choisi de l’ignorer. Alexandre restait silencieux, ne sachant pas s’il devait intervenir.

Victoria tendit un casque à Alexandre, mit le sien et s’installa au guidon de sa moto.

Alexandre avait du mal à cacher son étonnement en découvrant la moto de Victoria. Il s’imaginait la jeune fille sur une petite Vespa comme la plupart des Parisiennes branchées. Il avait devant lui une vraie moto, réplique des années 40. Il enfila le casque vintage et suivant ses instructions, se plaça sur la selle derrière elle.

Démarrant le deux-roues en faisant rugir l’engin, elle s’éloigna rapidement de l’importun.

Grâce à la moto de Victoria et malgré l’heure de pointe, ils rejoignirent rapidement le quartier de Saint Germain des Prés où Zerrouki leur avait donné rendez-vous.

Elle avait dit à Alexandre de s’accrocher à elle et il lui apparut très rapidement que la moto n’offrait de toute façon aucune autre alternative pour se tenir. Il s’était donc agrippé à sa nouvelle connaissance qui l’avait entraîné dans une course folle à travers Paris. Ils avaient débouché sur le pont de Neuilly à toute allure depuis le tunnel de la Défense, Victoria semblant ne faire que peu de cas des radars de contrôle de vitesse automatique. Ils avaient ensuite remonté l’avenue Charles de Gaulle à Neuilly, la Porte Maillot et l’avenue de la Grande Armée en se faufilant à travers les voitures, ou en empruntant la voie de gauche à contresens pour remonter les files embouteillées. Alexandre n’en menait pas large et s’agrippait désespérément à la conductrice. Il avait fermé les yeux en arrivant sur la place de l’Etoile. Il lui semblait que Victoria avait accéléré en faisant rugir son moteur pour se jeter tête baissée dans le trafic. Il attendait le choc à chaque instant, se voyant déjà éjecté au milieu de la circulation. Mais la moto avait finalement réussi à se frayer un chemin jusqu’aux Champs-Elysées, les véhicules à droite et à gauche semblant reconnaître à la conductrice une autorité surnaturelle. La descente des Champs-Elysées n’avait pas été plus reposante. Alexandre voyait avec appréhension les touristes s’attarder au milieu de la chaussée pour immortaliser la perspective. Mais Victoria connaissait les pièges de la conduite à Paris et leur route se poursuivit sur la place de la Concorde. Prenant à droite, la moto avait franchi la Seine devant l’Assemblée Nationale puis s’était engagée sur le boulevard Saint Germain, empruntant le couloir de bus pour remonter le flot de véhicules jusqu’au croisement avec le boulevard Raspail. Au niveau du Café de Flore, Victoria avait bifurqué à gauche, laissant l’église de Saint Germain des Prés sur leur droite. Ils avaient finalement pris un dernier tournant à gauche dans la rue Jacob avant de s’arrêter un peu plus loin à leur destination.

Alexandre regarda sa montre : leur trajet n’avait duré que dix-sept minutes. « Pas mal pour l’heure de pointe » pensa-t-il.

« Ca va ? Pas trop secoué ? » lui demanda Victoria en souriant. La course semblait avoir détendu la jeune fille après l’épisode de la rencontre avec Arnaud.

« Pas du tout. Ta moto est très confortable. J’étais sur le point de m’endormir. » lui répondit le trentenaire avec la plus grande mauvaise foi.

« Tant mieux, parce que j’avais l’impression que tu étais un peu tendu » lui dit-elle avec un regard malicieux. « J’avais parfois du mal à respirer avec tes bras autour de moi. »

Les deux jeunes gens se regardèrent en riant. C’était une belle journée de fin d’été et Paris avait des airs de fin de vacances. Cette parenthèse hors du huis-clos oppressant de la cellule de crise était bienvenue.

Ils poussèrent la porte du bar où Zerrouki leur avait donné rendez-vous.

En cette fin d’après-midi, le bar était rempli d’une foule d’étudiants et de jeunes professionnels qui occupaient toutes les tables et débordaient à l’extérieur, un verre de bière à la main. L’atmosphère était détendue et tranchait avec l’ambiance studieuse et concentrée qu’ils avaient quittée quelques instants auparavant.

Alexandre scruta l’assistance pour identifier un visage correspondant à la photo de profil qu’il avait vue sur le réseau social. Ils étaient légèrement en avance et leur interlocuteur n’était pas encore arrivé. Ils s’installèrent à une table qui venait de se libérer et commandèrent deux bières pression.

Alexandre et Victoria pouvaient saisir des bribes de conversation autour d’eux. Etrangement, les évènements à Boston et en mer d’Arabie ne semblaient pas avoir pénétré dans cette bulle d’insouciance. « Ils ont de la chance » pensa Alexandre qui avait l’impression d’avoir vieilli de dix ans depuis la veille.

Victoria fut la première à remarquer l’arrivée de Zerrouki. Celui-ci se dirigea vers leur table après avoir noté le geste de la main de la jeune fille. Elle se leva pour l’accueillir en lui tendant une main avec un sourire.

« Monsieur Zerrouki je présume ? Je suis Victoria Proust » dit-elle au nouveau-venu. Désignant Alexandre elle ajouta : « Et voici Alexandre Guillebot que vous avez contacté. » Le nouvel arrivant fit un signe amical de la tête : « Je vous ai vu à la télé ».

Il sembla à Alexandre que le jeune homme, pendant l’espace d’une seconde, avait été troublé en voyant son visage atypique. Mais si c’était le cas, il s’était ressaisi rapidement pour rendre à Victoria son sourire, et lui répondre en désignant le bar de la tête : « Merci d’avoir accepté de me rencontrer ici ; appelez-moi Kader. Je sais que vous êtes très occupés en ce moment ». Alexandre lui donnait une trentaine d’années. Il était de taille moyenne, habillé d’un jeans, d’une chemise à carreaux et d’un blazer. Il portait une barbe brune courte et bien taillée, commençant par endroit à prendre une teinte poivre et sel.

Kader prit place à la petite table et commanda un soda. Une fois installé, il regarda Alexandre et Victoria dans les yeux et dit posément : « Le chef du commando s’appelle Mohamed Tazeri ».

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