4-5
Alexandre s’était installé au poste vacant à côté du bureau de Victoria. Il avait connecté son ordinateur portable pour faire le tour des journaux en ligne et des réseaux sociaux.
L’épisode des journalistes sacrifiés faisait le buzz sur les réseaux où circulaient des images non floutées de leur mise à mort. Mais c’est une autre vidéo qu’Alexandre identifia rapidement comme un sujet à traiter d’urgence.
Sur cette vidéo devenue virale, un autre célèbre Youtuber avait réuni plusieurs images du Surcouf récupérées sur différents sites sur lesquelles on pouvait voir une flamme s’échapper d’une espèce de cheminée sur le méthanier. L’image indignait les internautes.
Plusieurs personnalités politiques avaient pointé du doigt ces images pour dénoncer la responsabilité des négociants de GNL en général, et d’EUROGNL en particulier, dans le réchauffement de la planète.
Il s’agissait de la torchère, un dispositif habituel sur les sites industriels qui permettait de brûler les gazs émis par les opérations du navire plutôt que de les laisser s’échapper dans l’atmosphère. L’industrie avait compris depuis longtemps l’image négative que ce dispositif renvoyait : toute combustion est perçue visuellement comme une pollution, même quand celle-ci a pour objet de limiter les effets d’une pollution potentielle.
Sur les méthaniers, le gaz est maintenu liquide à -162° Celsius, mais un processus d’évaporation naturelle est inévitable, nécessitant de gérer ces vapeurs (le BOG, ou « Boil Off Gas ») dont l’accumulation augmente la pression dans les cuves.
Depuis les années 90, ces BOG sont utilisés pour faire tourner les moteurs du navire offrant le double avantage de constituer pour le navire un carburant alternatif abondant et de limiter le recours au fioul lourd très polluant utilisé par les navires traditionnels.
En conditions normales, un méthanier optimise ses voyages pour minimiser les évaporations et pour maximiser l’utilisation de celles-ci pour sa propulsion. Mais dans certaines conditions de qualité du gaz chargé (excès d’azote par exemple), ou lorsque les conditions en mer l’obligent à adopter une vitesse réduite, le bateau peut se retrouver dans l’obligation de neutraliser ce BOG autrement.
La première alternative est l’utilisation du GCU (Gas Combustion Unit), une chambre de combustion où sont brûlés ces gazs. Mais dans le cas où le GCU ne suffit pas, il ne reste que deux options : utiliser la torchère ou bien, en dernier recours, libérer le méthane dans l’atmosphère (le « venting »). En tout état de cause, il était demandé aux capitaines des méthaniers de n’utiliser la torchère qu’en ultime recours, le « venting » étant lui strictement exclu.
On saisissait donc l’intérêt de la torchère pour la planète, mais les ayatollahs de l’écologisme ne voyaient eux que la flamme symbole pour eux de pollution.
Dans le cas du Surcouf, Alexandre comprenait que les décisions de navigation des terroristes avaient un impact sur la gestion du BOG. Sans la torchère, la pression deviendrait incontrôlable et les vannes de sécurité finiraient automatiquement par libérer le méthane dans l’atmosphère.
Alexandre s’attela à rédiger une mise au point qu’il entendait poster sur les réseaux sociaux.
Abou Saïf était arrivé trop tard pour empêcher le meurtre des journalistes. Il avait assisté impuissant à la mise à mort des trois hommes et se sentait envahi par un irrépressible sentiment de colère. Essayant de contenir sa fureur, il fit signe au Tchétchène – il s’agissait de Ramzan – de le suivre à l’intérieur du bateau.
Ce dernier lui emboita le pas le sourire aux lèvres.
Une fois hors du champ de vision des drones, Abou Saïf laissa libre cours à son courroux.
« Qui t’a donné l’ordre de tirer sur ces journalistes ? » demanda-t-il en arabe à Ramzan.
« Quels journalistes ? Comment sais-tu que c’était un journaliste ? » répliqua le tchétchène sur un ton insolent.
« Arrête de me prendre pour un imbécile ! » éclata Abou Saïf. « Tu as bien vu les caméras et qu’il n’était pas armé ! »
« J’ai vu un individu qui essayait de s’introduire sur le bateau, mon rôle était de l’empêcher d’accéder au bateau ». Ramzan semblait un peu moins sûr de lui-même.
« Nous avons des ordres qui sont de bloquer le détroit d’Ormuz le plus longtemps possible. Tuer n’importe qui devant les caméras du monde entier ne peut que précipiter l’intervention des militaires. » articula le terroriste en pointant son doigt sur la poitrine du tchétchène.
L’autre ne répondit rien.
« Disparais hors de ma vue » le congédia son chef avant lui-même de tourner les talons.
Après quelques instants, la porte de la cuisine devant laquelle la scène s’était déroulée s’ouvrit et Karem en sortit.

Annotations
Versions