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Karem devait prévenir Louis de toute urgence. La nuit était en train de tomber. Il se faufila jusqu’à la trappe de la cachette de l’officier où il s’introduisit après avoir signalé son arrivée selon le code convenu à l’avance.

Sans s’attarder en préambules oratoires, le cuisinier mit rapidement Préville au courant de ce qu’il avait entendu.

« Tu avais vu juste sur l’objectif des terroristes : ils veulent laisser pourrir la situation le plus longtemps possible. »

« Ce qui est nouveau, c’est qu’il y a de la tension entre les terroristes. » fit remarquer Louis. « Ce n’est pas étonnant d’ailleurs avec la fatigue qui doit commencer à peser. Ca va intéresser l’armée française. »

Le cuisinier prit congé de son ami. « Il faut que je rejoigne ma cuisine : le service va bientôt commencer. Je reviendrai avec ta batterie chargée et un repas cette nuit. »

Les bruits inquiétants dans les cuves étaient désormais plus fréquents, indiquant que l’équipage avait du mal à contrôler le début de roll-over.

Ramzan avait quitté son chef avec un sentiment de grande frustration. Il ne comprenait pas la réaction agressive d’Abou Saïf. Que lui importait la vie de trois kouffars ?

Il avait envie de quitter ce bateau et, ruminant son mécontentement à l’égard de son chef, il alla se réfugier à l’avant du navire. Il revivait successivement la scène des journalistes et celle des reproches reçus d’Abou Saïf, éprouvant alternativement un sentiment combiné de puissance et de jouissance extrême et une sensation désagréable d’élève pris en faute par son maître. Donner la mort lui procurait un plaisir inimitable. Les remontrances faisaient remonter en lui l’enfant rebelle et délinquant qu’il était autrefois.

Sa colère ne disparaissait pas. Il maudissait son chef, comme il maudissait ce bateau et tous les kouffars.

Son œil fut soudain attiré par un mouvement dans la pénombre. Il lui semblait apercevoir une ombre en train de sortir du plancher à cinq mètres de lui. La silhouette se déplaçait avec l’intention manifeste de rester discrète. Lui-même se savait protégé par l’obscurité et se tenait immobile pour rester invisible.

L’homme devant lui se redressa et le tchétchène reconnut le cuisinier.

« Que pouvait-il bien faire à cette heure-là à l’avant du bateau ? » s’interrogea le terroriste.

Il laissa Karem s’éloigner sans trahir sa présence. Dès que le cuisinier fut parti, Ramzan se dirigea vers l’endroit où l’autre était apparu. Il voulait en avoir le cœur net.

Il y avait une sorte de trappe que le tchétchène souleva sans hésiter, pointant son AK47 vers le trou noir ainsi dévoilé.

Après le départ de Karem, Louis s’était immédiatement mis en communication avec le Languedoc. Il était en train de rendre compte de ce que Karem lui avait appris lorsqu’il sentit un courant d’air frais sur son visage. Levant les yeux, il réalisa que la trappe était ouverte et qu’une silhouette se tenait dans son encadrement.

Il savait que ce n’était pas Karem qui aurait utilisé le code convenu pour signaler sa présence.

Sentant le danger, le marin coupa la communication et cacha son portable.

Ramzan avait vu la lumière de l’écran du téléphone de Préville. Il cria dans un anglais approximatif « Sortir d’ici. Les mains en haut. Moi voir tes mains. »

Louis était coincé. Il se redressa lentement et se mit sur ses pieds.

« Téléphone. Donne-moi » ordonna le tchétchène.

Louis s’approcha lentement de la trappe, les deux mains en l’air. L’une tenant le téléphone qu’il avait eu le temps d’éteindre. Il avait son couteau dans sa poche. Allait-il être fouillé ?

Il se hissa hors du trou, et nota que le djihadiste le gardait en joue avec sa kalachnikov. Il n’y avait pas d’échappatoire possible. Il tendit son téléphone mais son interlocuteur ne semblait pas vouloir s’approcher de lui.

« Téléphone sur le sol. Pars plus loin. 3 mètres ».

Préville obéit.

Le djihadiste s’approcha avec précaution. Ne quittant pas Préville des yeux, tenant d’une main son arme toujours pointée vers son prisonnier, il attrapa le smartphone et le mit dans sa poche. Mettant à nouveau quelques pas de distance avec son prisonnier, Ramzan interrogea Louis. « Qui es-tu ? Réponds ».

Louis répondit en anglais : « Je suis Louis de Préville, je fais partie de l’équipage. »

« Toi quoi faire ici ? »

« J’ai réussi à m’échapper lorsque le groupe de djihadistes est arrivé sur le bateau. Et je me cachais pour ne pas être pris. »

« Toi appeler qui ? » demanda Ramzan.

« Personne. Il n’y a pas de réseau. » mentit Préville.

L’explication semblait convenir au combattant islamiste qui fit signe au marin de se mettre en marche en direction du château arrière.

Préville se mit à marcher dans la direction indiquée. Il devinait la présence de l’islamiste dans son dos. L’air était doux, la nuit noire. Il sentait le vent dans ses cheveux.

Il marchait le plus lentement possible, malgré l’impatience de son gardien qui lui répétait « Marcher plus vite. »

Il savait que sa vie ne tenait qu’à un fil. Il se doutait que l’autre n’avait pas l’intention de le tuer : dans le cas contraire, il l’aurait déjà fait. Peut-être était-ce ce tchétchène dont Karem lui avait raconté les remontrances. Dans l’obscurité, il lui semblait que le terroriste avait la peau claire et une barbe rousse. Dans ce cas, ça expliquerait sa volonté de le ramener vivant comme un trophée à son chef.

Il ne devait pas arriver jusqu’au reste du commando sinon il était perdu. Préville examinait dans sa tête les options qu’il avait. Il n’en voyait qu’une : faire face au terroriste.

Faisant semblant de trébucher sur un taquet au sol, Préville s’étala de tout son long en jurant.

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