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Abou Saïf s’approcha du commandant. Ils étaient sur la passerelle à côté des instruments de pilotage.

Le chef des djihadistes était soucieux.

« Les bruits dans les cuves sont de plus en plus rapprochés, est-ce qu’il faut s’inquiéter ? » demanda-t-il.

Kerpont haussa les épaules.

« Je vous avais prévenu que le roll-over pouvait être un problème. » fit-il remarquer avec une pointe de lassitude.

« Epargnez-moi vos commentaires. » répondit sèchement le djihadiste. « Qu’est-ce qui me dit que votre équipage gère correctement ce phénomène ? »

« Nous pouvons faire le point avec Manon. Elle est la mieux placée pour répondre à votre question. » lui répondit calmement le commandant.

« Où est-elle ? »

« Dans sa cabine, elle se repose je crois. »

« Allons-y ».

Quelques instants plus tard, les deux hommes toquaient à la porte de Manon. N’obtenant pas de réponse, Abou Saïf ouvrit la porte d’un geste impatient.

Le spectacle qui s’offrit à leurs yeux les laissa interdits.

Aslan était sur le lit, juché sur Manon, la main gauche appliquée sur la bouche de la jeune fille. Le pantalon du terroriste était baissé laissant voir ses fesses roses. Les vêtements de l’officier avaient également été retirés ou plus exactement arrachés. Les yeux de la jeune fille se tournèrent vers la porte de la cabine avec une expression mélangée de terreur, de douleur et de supplication.

Le terroriste était concentré sur son effort, agitant son corps d’avant en arrière provoquant les gémissements de douleur de sa victime.

Aslan ne semblait pas avoir noté l’arrivée des deux hommes.

D’une voix forte, Abou Saïf lui donna l’ordre d’arrêter ce qu’il faisait. L’autre n’y prêta aucune attention.

Son chef répéta calmement son injonction d’un ton plus impérieux. L’autre émis un grognement de désaccord, grommela quelques mots incompréhensibles en russe et poursuivit son affaire. La bouche entrouverte, les yeux mi-clos dans le vague, la respiration accélérée, le corps en tension : il était manifestement sur le point de jouir.

Abou Saïf s’approcha avec l’intention de lui faire lâcher sa victime, mais il réalisa que la main droite du tchétchène tenait un couteau sur la gorge de la jeune fille.

Sortant un revolver de sa poche, Abou Saïf le pointa sur la tête de son compagnon et fit feu sans hésitation.

Le tchétchène s’affaissa sur la jeune fille, le crâne ouvert laissant échapper un mélange visqueux de sang et de cervelle. Manon se mit à hurler de manière hystérique.

Les deux hommes parvinrent à la dégager du cadavre qui était encore en elle.

Prenant une couverture, Kerpont enveloppa l’officier gaz pour recouvrir sa nudité. Extrêmement choquée, la jeune femme alternait les cris et les sanglots pendant que son supérieur essayait maladroitement de la réconforter.

Kerpont entendit le chef des djihadistes siffler entre ses dents : « Plus jamais de connards de tchétchènes. »

« Il parle comme si cette opération n’était pas sa dernière » pensa le commandant avec étonnement.

Le bruit avait attiré une partie de l’équipage. Abou Saïf ordonna à deux matelots de prendre le corps et de le jeter à la mer.

Les terroristes étaient rassemblés sur la passerelle. Abou Saïf faisait face aux quatre survivants et seul un membre de l’équipage, à la barre du méthanier, était témoin de la scène.

« Par leur comportement, malgré mes consignes, certains d’entre nous ont mis en péril la mission sacrée qui nous a été confiée. » Le chef des terroristes essayait de contenir la colère froide qui l’habitait. Le ton de sa voix était lent et glacial. Il s’exprimait en arabe.

« J’ai surpris Aslan en train de violer l’unique femme sur le bateau en mépris des engagements que j’avais pris. Il a désobéi et je l’ai tué. »

Les quatre terroristes regardaient leurs pieds.

« Quant à Ramzan, il a pris l’initiative de tirer sur des journalistes non armés qui voulaient nous rejoindre pour nous interviewer. Ce sont des kouffars auxquels l’enfer est réservé. En revanche, c’est à moi seul de décider à quel moment ces kouffars doivent être exécutés. Les tuer était une erreur et une faute. »

Les djihadistes continuaient d’éviter le regard de leur chef, comme des enfants pris en faute.

« Ramzan se trouve quelque part sur ce bateau. Il faut… »

Le déclenchement d’une alarme laissa la phrase d’Abou Saïf en suspens.

Celui-ci fronça les sourcils et s’adressa au marin en français. « Que signifie cette alarme ? »

L’autre lui répondit « Il s’agit de l’alarme qui se déclenche quand on met un des lifeboats à la mer. »

« Quelqu’un est en train de s’échapper du bateau ! De quel lifeboat s’agit-il ?» interrogea le djihadiste.

Le marin se leva pour vérifier laquelle des deux embarcations manquait à l’appel. Mais le bateau était plongé dans le noir, conformément aux consignes du terroriste et il était difficile de se faire une idée.

« Le mieux est d’aller vérifier à l’arrière du bateau. Mais je dois rester aux commandes. » dit le marin.

Abou Saïf prit trois hommes avec lui et, laissant la passerelle sous la surveillance d’Abdul, se dirigea vers les embarcations de secours. Il ne lui fallut que quelques secondes pour constater que celle de bâbord avait disparu.

« Convoquez tout l’équipage et retrouvez-moi Ramzan. » ordonna-t-il à ses hommes. « Il faut savoir qui est parti. »

Au fond de lui, il avait le pressentiment que c’était le tchétchène qui manquerait à l’appel.

Alexandre avait posté sur le site Internet d’EUROGNL la mise au point concernant l’utilisation de la torchère. Il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire à ce stade, sinon laisser la polémique se dégonfler. Et avec les nouvelles inquiétantes qui venaient de toutes part, la préoccupation au sujet de la torchère avait toutes les chances de passer rapidement au second plan. L’essentiel pour Alexandre était d’empêcher des personnes mal intentionnées de prétendre qu’EUROGNL cachait une information cruciale.

Il se tourna vers Victoria qui avait l’air perdue dans ses pensées.

« Tout va bien ? » s’enquit Alexandre auprès de la jeune fille.

« Oui, tout va bien » répondit Victoria en sortant de sa rêverie. Elle lui sourit tristement. « Je me faisais la réflexion que les nouvelles atroces s’accumulent et que je trouve cela désormais presque normal, comme… » La jeune fille marqua une pause et reprit « comme si je devenais insensible. »

« Oui ça me fait le même effet » murmura Alexandre. « Ça me fait penser à un passage de Voyage au bout de la nuit où Céline fait le même constat. » Et de mémoire, il récita « On s’habitue à tout. À la longue, on s’habitue à tout. Même à l’horreur. »

« Est-ce qu’on perd un peu de son humanité à force de voir des choses inhumaines ? » s’interrogea Victoria songeuse, sans que sa question n’exigeât de réponse.

« Je crois qu’il est temps de profiter du weekend. Es-tu motivée pour aller prendre un verre ? » proposa Alexandre. « Je connais un bistrot sympa tenu par un ami à Montmartre. »

Le visage de Victoria s’éclaira : « Allons-y ! Ça nous changera les idées. »

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