4-10
Les sons de leurs voix furent recouverts par le vacarme pétaradant d’une mobylette qui remontait la rue. Le bruit résonnait sur les pavés, rebondissant entre les immeubles à mesure que la petite moto se rapprochait d’eux.
« Sans vouloir me mêler de ce qui ne me regarde pas » avança prudemment Alexandre lorsque le bruit se fut atténué, « est-ce qu’Arnaud serait ravi de savoir que tu passes ta soirée avec moi ? »
Le visage de Victoria se referma légèrement et elle soupira : « C’est Arnaud qui est venu se mêler de nos affaires, donc ta question n’est pas indiscrète. Et la réponse est certainement positive : il serait furieux. Mais je m’en moque. »
Alexandre écoutait Victoria sans l’interrompre.
« Je réalise de plus en plus qu’Arnaud était une erreur de parcours. Il avait tout du parfait gentleman. Il était séduisant, très attentionné. Il m’offrait des bouquets de fleurs à chacune de nos rencontres. Il cochait toutes les cases du Parisien romantique » Victoria parlait calmement le regard dans le vide avant d’accrocher celui d’Alexandre. Il y avait de l’émotion dans ses yeux.
« J’avais l’impression d’être une princesse quand j’étais avec lui. Et tout ça a disparu quand on a commencé à sortir ensemble. Il est devenu très jaloux, me faisant des scènes à la moindre occasion. Tu en as eu un aperçu hier à La Défense. »
Alexandre sentait que Victoria avait perdu un peu de son assurance. Puis se ressaisissant, elle lui glissa avec un sourire espiègle « Et toi tu dois avoir plein de filles à tes pieds avec ta tache sur le visage qui te rend hyper sexy. »
La question très directe de Victoria avait pris Alexandre par surprise.
Il bredouilla en rougissant « Ben en fait, c’est plutôt le contraire... Je crois que je fais fuir les filles avec mon visage. » Puis après avoir marqué une pause « Ou bien c’est moi qui les fuis, je ne sais pas trop. J’avais une copine qui m’a largué il y a deux mois. »
C’était désormais au tour d’Alexandre de livrer le fond de son âme. Il se demanda si la bouteille de vin pratiquement terminée y était pour quelque chose.
« Ma copine trouvait que je ne réussissais pas assez professionnellement et que je gagnais trop peu d’argent. Et c’est vrai qu’à regarder le parcours de mes camarades d’école de commerce, mon CV est moins vendeur. Ils sont tous devenus banquiers d’affaires ou consultants en stratégie. Moi je fais de la comm… »
« J’ai pu te voir travailler depuis trois jours et je ne suis pas de cet avis. » dit Victoria d’une voix douce. « Tu es très bon dans ton job. » Puis elle ajouta d’un ton assuré : « Et je n’ai croisé aucun de tes camarades de promo à l’Elysée. »
Alexandre appréciait la tentative de compliment même s’il la savait sans fondement : il doutait que Victoria ait pu identifier ses condisciples à l’Elysée ou ailleurs. Mais l’intention était touchante.
Il regarda sa montre : l’heure était bien avancée. Il sentit la main de Victoria sur la sienne : « Ça te dit d’aller prendre un verre dans un bar sympa ? »
Alexandre aurait dit oui à toutes les propositions de la jeune fille. Ils payèrent, prirent congé de Guillaume et s’installèrent à nouveau sur la moto de Victoria.
Celle-ci décida de faire un petit détour par la basilique de Montmartre. C’était à cinq minutes.
Ils s’approchèrent à pied du parvis de la basilique. L’endroit était animé, comme toujours, sans être non plus bondé.
Tournant le dos à l’édifice, un vaste panorama urbain s’offrait à leurs regards. La nuit était tombée et sur les avenues ponctuées par les halos des lampadaires, les phares des véhicules traçaient leurs routes jaunes et rouges. De loin en loin, des monuments formaient des ilots de lumière.
Les deux amis contemplaient ce paysage nocturne côte à côte, sans dire un mot.
« Tu viens souvent à cet endroit ? » demanda enfin Alexandre à Victoria.
« De temps en temps. Quand j’ai besoin de faire un plein d’énergie. J’ai l’impression d’être Rastignac, moi la provinciale devenue parisienne. » répondit-elle tranquillement.

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