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Paris, octobre 20** - Institut d’Etudes Politiques de Paris

L’intervention était annoncée depuis plusieurs semaines. Une association étudiante avait invité Farid Radwan, l’universitaire suisse, à venir s’exprimer devant les étudiants de Sciences Po. Mohamed pouvait constater que malgré les nombreux appels au boycott d’associations féministes ou anti-racistes, les étudiants se pressaient devant les portes du grand amphi Boutmy, ré-ouvert spécialement pour l’occasion.

Le sujet de l’intervention portait sur l’islam politique.

Mohamed avait réussi à trouver une place non loin du premier rang. L’amphithéâtre se remplissait rapidement.

Farid Radwan monta sur la scène sous les applaudissements. Il était grand, élancé et affichait une certaine prestance. Il avait une fine barbe bien taillée, le front dégarni et portait une chemise blanche sans cravate sous un costume anthracite. Un air de gendre idéal dans les habits d’un cadre d’entreprise sportif.

Farid Radwan allait commencer à prendre la parole lorsque Mohamed sentit quelqu’un s’asseoir à côté de lui. C’était Victoria, l’étudiante de la conférence d’économie. Elle avait réussi à faire lever une partie de la rangée afin d’atteindre la place libre à côté de Mohamed.

Elle lui adressa un grand sourire, en chuchotant un « salut » du bout des lèvres. Il bredouilla un salut en rougissant. Victoria ne semblait pas avoir remarqué son trouble.

Farid Radwan poursuivait son discours sur un ton rapide mais posé. L’assistance l’écoutait avec attention, manifestement séduite par le personnage.

Au bout d’une bonne heure, l’universitaire acheva son intervention sous un tonnerre d’applaudissements. Regardant autour de lui, Mohamed réalisa que la salle était remplie aux deux tiers de personnes d’origine arabe ou maghrébine.

On arrivait au moment réservé aux questions. La représentante de l’association qui organisait la rencontre remercia son invité pour son brillant exposé et posa la première question.

Après quelques échanges entre l’assemblée et l’universitaire, un étudiant saisit le micro et demanda :

« Monsieur Radwan, vous avez pris des positions qui ont choqué l’opinion publique. Je pense notamment à votre refus de condamner la lapidation des femmes dans les pays musulmans ou encore à votre soutien au port du voile islamique dans l’espace public. Souhaitez-vous apporter des nuances à vos propos ? »

La question fut accueillie par des huées de la salle et quelques applaudissements épars. Mohamed entendit quelqu’un crier « islamophobe !».

La réponse de l’universitaire fut longue et convaincante dans le ton. Brillant orateur, il réussit le tour de force de ne pas avoir à retirer ses propos provocateurs.

Une étudiante posa la question suivante : « Monsieur Radwan, vous avez récemment suggéré que le 11 septembre n’était pas le fait des islamistes. Ne pensez-vous pas qu’il y a suffisamment d’éléments objectifs pour ne pas remettre en cause la thèse officielle. »

Là encore, des sifflets et des huées se firent entendre. Mohamed crut reconnaître la même voix qui disait « sale pute !» après avoir crié « islamophobe ».

Farid Radwan était trop heureux de pouvoir rebondir sur l’expression « thèse officielle » utilisée par l’étudiante pour répéter peu ou prou les propos qu’on lui reprochait d’avoir tenu.

On sentait une certaine fébrilité parmi les organisateurs… Le temps était venu de poser la dernière question.

Victoria se leva pour poser une question. Concentré sur les paroles du conférencier, Mohamed n’avait pas réalisé que sa voisine avait réussi à récupérer un micro baladeur.

« Monsieur Radwan, pouvez-vous nous partager votre analyse sur les expériences gouvernementales des Frères Musulmans dans les pays où ils ont réussi à arriver au pouvoir ? L’échec de ces expériences signe-t-il l’échec d’un islam politique en démocratie ? »

Mohamed n’était pas certain d’avoir compris la question. A en juger par le manque de réaction de l’assistance, il n’était pas le seul. Mais Farid Radwan semblait lui l’avoir bien comprise.

Il commença sa réponse par une nouvelle pirouette humoristique. « Ecoutez, si vous étiez à Djerba ou à Charm-el-Cheikh pendant ces expériences gouvernementales, je pense que vous n’auriez pas vu la différence avec Marbella ou Izmir. Maintenant je vais devoir vous abandonner car je dois intervenir à l’Institut du Monde Arabe. »

La modératrice de la conférence remercia chaleureusement son invité pour son témoignage « si clairvoyant et porteur d’un message de paix pour le monde ».

Les participants commençaient à évacuer l’amphi. Victoria se tourna vers Mohamed et lui dit d’un air scandalisé « Sérieusement ? Un message de paix ? Ce gars a réussi à réaffirmer avec le sourire que le 11 septembre était un complot et que la lapidation des femmes était légitime. »

Mohamed ne savait pas quoi répondre. « Moi j’ai trouvé qu’il était plutôt courageux de venir s’exprimer devant les étudiants de Sciences Po. »

« Courageux ? Les deux tiers de l’assistance étaient venus soutenir leur gourou. Il fallait voir comment les étudiants qui ont osé poser des questions gênantes ont été hués et insultés. » répliqua la jeune fille toujours outrée.

« Ah bon ? Tu crois ? » hasarda Mohamed.

« Pour moi, ce type est un séducteur qui avance masqué. Il est dangereux. » conclut l’étudiante.

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