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Paris, mai 20**, Mosquée de Pantin
Mohamed fermait les yeux, porté par les sonorités mélodieuses de la prière. Cette mélopée avait le pouvoir d’apaiser toutes les tensions, d’éloigner de lui toutes les angoisses. Il calquait ses gestes sur ceux de ses coreligionnaires, s’agenouillant et se relevant en rythme, tantôt levant ses mains vers le ciel, tantôt frappant le sol de son front. Lorsqu’il entrait dans la prière, il ne se possédait plus : c’était la communauté qui s’emparait de son corps, de ses gestes et de ses pensées. Il appartenait entièrement à l’oumma depuis le moment où il commençait ses ablutions. D’abord les mains, puis la bouche, le nez, le visage, les bras, la tête, les oreilles et enfin les pieds.
Tout était écrit, tout était simple. Il suffisait de dire les prières et de suivre chaque étape dans l’ordre bien précis révélé par les textes. L’ordre donné par Allah à sa création. Le monde prenait un sens, sa vie avait un sens.
Ainsi, dans cette atmosphère hors du temps, Mohamed trouvait la paix. Une paix profonde et inaltérable, née de la certitude que sa vie était guidée par une force supérieure, une force qui lui donnait un sens et une direction. Et dans cette communion sacrée, il découvrait la beauté de l'abandon et la joie de la soumission à la volonté divine.
La religion lui donnait les frères que ses parents n’avaient pas su lui donner, cette famille que son père et sa mère n’ont jamais su créer.
Une fois la prière terminée, il se retrouvait devant la mosquée, entouré de sourires chaleureux et de regards bienveillants.
Il avait trouvé une famille. Il avait trouvé sa famille.
Alexandre regardait la jeune fille se déhancher devant lui au rythme de la musique electro sous la lumière crépitante des stroboscopes. Ils s’étaient retrouvés en discothèque après avoir quitté le bar. Aucun des deux n’avait envie que la nuit s’achève. La fatigue cumulée des derniers jours s’effaçait dans l’atmosphère de fin du monde de ce samedi soir. La danse oblitérait pendant quelques heures les images insoutenables, la tension extrême et les frustrations. Ils s’enivraient du rythme des musiques. Ils étaient jeunes, et de tout leur être se dégageait un irrésistible désir de se sentir vivants.
L’un en face de l’autre, Alexandre contemplait Victoria, les yeux mi-clos, son éternel sourire aux lèvres, le corps ondulant au diapason des mélodies. Elle le regardait mouvoir son propre corps en résonance avec le sien. Dans cette foule anonyme, ils étaient seuls au monde, envoûtés, enchaînés par le regard comme par un lien invisible. Leurs corps se rapprochaient comme deux aimants, s’éloignaient puis se frôlaient furtivement. Leurs visages s’attiraient mutuellement, jusqu’à ce que leurs lèvres se rencontrent, sans même qu’ils ne se l’expliquent ni le comprennent. Ils avaient soif l’un de l’autre. Leur étreinte se prolongea quelques instants, comme pour évacuer toute la tension qui les habitait, avant qu’ils ne s’écartent l’un de l’autre, troublés par ce sentiment qu’ils n’avaient pas vu venir.

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