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L’aube ne surgirait pas avant plusieurs heures et Préville s’était agenouillé devant la bombe. Il scrutait attentivement les différents éléments de celle-ci, se remémorant la vidéo envoyée par le Languedoc pour identifier la masse compacte des explosifs, les fils de couleurs différentes, le détonateur, les capteurs de pression, la batterie… Il avait passé les dernières heures à visualiser le tutoriel réalisé par les militaires sur la base des photos qu’il leur avait transmises. Ces heures de visionnage avaient inscrit chaque détail, chaque étape dans sa mémoire de sorte que, malgré la fatigue accumulée, les gestes à effectuer étaient devenus des automatismes. Enfin, c’est ce qu’il espérait et confronté à l’engin de mort, Préville ne pouvait s’empêcher de penser aux conséquences qu’aurait la moindre erreur de sa part.

Louis sortit de sa poche la pince coupante et le tournevis que lui avait procurés Karem. Il bénit intérieurement son ange gardien qui le nourrissait, le renseignait et lui apportait le matériel dont il avait besoin.

Concentré, l’officier approcha la pince du câble qu’il avait décidé de sectionner. Sauf erreur de sa part, il s’agissait du câble d’alimentation qui reliait la batterie au détonateur. Il allait exercer une pression sur sa pince quand une main sur son épaule le fit sursauter.

L’espace d’une fraction de seconde, le marin se crut perdu. Puis il entendit son prénom prononcé par une voix qui lui était familière : « Louis ! ».

Tournant la tête, il reconnut son collègue officier navigant. Celui-ci le regardait d’un air ahuri. Le sentiment de panique de l’officier de réserve disparut aussitôt. L’index sur la bouche, Louis fit signe à son collègue de rester silencieux et désigna la bombe devant lui.

« Tu pensais que je vous avais abandonné ? » demanda-t-il à voix basse.

« Je ne sais pas trop » répondit l’officier navigant qui se ressaisissait. « Oui j’y ai pensé quand j’ai entendu l’alarme du lifeboat. Puis on m’a dit que c’était le te tchétchène qui s’était fait la malle. »

« Eh, non. Je suis encore là et mon objectif est de désamorcer cette saleté avant que quelqu’un ne décide de la faire sauter » reprit Préville l’air tendu.

Son interlocuteur se tourna vers l’engin explosif, puis vers Préville. Il lui fit un signe amical et se dirigea vers la porte.

Préville reprit sa pince. Était-ce le bon câble ? Une fausse manipulation et le Surcouf serait annihilé en quelques secondes, à l’image du Cheikh Boumediene avec sa cargaison, son équipage et tous les bateaux navigant à proximité.

Il transpirait à grosses gouttes lorsqu’il prit la décision de couper le câble. Retenant son souffle et sans réfléchir davantage, Préville sectionna le fil.

Pas d’explosion. Il était encore vivant. Il avait réussi à isoler la batterie.

Il se sentit envahi par un sentiment de profond soulagement. Il replaça le fil de telle manière à camoufler qu’il avait été sectionné. Puis il s’attaqua à la bombe suivante. Le mécanisme était identique et posa moins de difficultés, mais la tension était la même.

Après plusieurs minutes, les quatre bombes étaient désamorcées. Préville avait l’impression d’avoir été vidé de son énergie. Sa chemise était trempée par la transpiration. Il ferma les yeux et éprouva pendant quelques secondes la sensation d’être vivant. Il avait défié la mort encore une fois. Maintenant il devait regagner son repaire sans être découvert.

Une nouvelle journée commençait sur le Surcouf. « La quatrième depuis l’attaque des terroristes » songea Karem en servant le petit déjeuner. Une éternité, lui semblait-il.

Il sentait la fatigue et la mauvaise ambiance s’installer sur le bateau. Un cocktail d’angoisse, de résignation et de désespoir. Manon était invisible depuis la veille. Il sentait confusément que chacun ressassait la mort de l’un des leurs : l’exécution révoltante du matelot philippin, la mise à mort expéditive du tchétchène.

Le commandant n’était plus que l’ombre de lui-même. Le visage du chef des terroristes était fermé, marqué par ses longues heures de veille.

Les repas réunissaient encore tout le monde mais comme des moments inévitables, où toute convivialité était bannie. Ils se déroulaient dans un silence pesant. Les regards des uns et des autres étaient vides et tristes, évitant de se croiser. Personne ne s’attardait plus à table comme avant. Chacun se réfugiait dans ses tâches quotidiennes, seules échappatoires à une existence désormais privée d’horizon.

Karem voyait que l’exécution d’Aslan et la fuite de Ramzan minait également les terroristes. Mais nul besoin d’être docteur en psychologie pour voir qu’en faisant acte de cruauté, Abou Saïf avait réussi à asseoir son autorité sur ses hommes comme sur ses otages.

Une chape de silence régnait sur le Surcouf. Quatre journées sous le joug islamiste l’avaient transformé en vaisseau fantôme.

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