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Kader était en train de discuter avec Mohamed sur le pont du méthanier. Le djihadiste avait revêtu une djellabah et portait des babouches aux pieds. Il avait sur la tête un tarbouche autrement appelé chechia Stamboul : un couvre-chef traditionnel de couleur rouge en forme de cône tronqué orné d’un gland noir originaire de Turquie. Il parlait avec entrain de son bateau, expliquant les performances de celui-ci, la qualité du produit transporté et son faible coût. « C’est moins cher que gratuit » insistait le jeune homme comme s’il était dans la Casbah d’Alger. Kader allait répondre qu’il n’avait nul besoin d’une cargaison de GNL lorsqu’il entendit la sonnerie de son portable. Il mit la main dans sa poche pour répondre à l’appel, mais il réalisa qu’il n’avait pas de poche et qu’il était allongé dans son lit. Se réveillant complètement, Kader saisit son portable qui était sur sa table de nuit. L’écran affichait quatre heures du matin. Il prit l’appel.
« Allo ? » fit-il d’une voix encore ensommeillée.
Son interlocuteur, l’officier de liaison de la cellule de crise du Quai d’Orsay, lui demanda de consulter ses messages et de rejoindre rapidement le ministère.
Kader vit en effet dans sa messagerie un nouveau message de Mohamed qui lui avait été adressé moins d’une heure plus tôt. Le djihadiste proposait de libérer des otages. Il s’étonna que l’armée connaisse le contenu de ses messages mais après tout, c’était bien à cela que servaient les services de renseignement.
Quarante-cinq minutes plus tard, Kader se présentait à la cellule de crise. Accueilli par l’officier de liaison qui l’avait réveillé, il s’informa de l’avancée de la situation. On le mit rapidement au courant des tensions entre les terroristes. Deux d’entre eux – les Tchétchènes – avaient été neutralisés. On lui demanda d’insister pour que Manon soit évacuée.
« Et du côté des revendications des terroristes ? » demanda-t-il.
« On sait tous qu’elles sont irréalistes et constituent un prétexte. » lui répondit l’officier. « Néanmoins, nous allons lui proposer de libérer deux terroristes détenus en France pour des tentatives d’attentat. Inutile de lui dire qu’ils n’ont plus que deux et quatre mois de prison à purger avant de pouvoir demander une libération conditionnelle. »
« Vous croyez qu’il va s’en satisfaire ? » répliqua Kader avec une expression d’incrédulité.
« Probablement pas. Mais il faut essayer. Nous avons un troisième détenu candidat à ajouter à la liste si nécessaire. A vous de voir en fonction de l’évolution de la discussion. »
La communication fut établie avec le Surcouf.
Sans s’encombrer de formules de politesse, Abou Saïf entra directement dans le vif du sujet.
« Je suis d’accord pour libérer cinq membres d’équipage. Que peux-tu me proposer en échange ? Qu’en est-il de mes revendications ? »
Après une négociation de marchands de tapis – le rêve de Kader avait en ce sens été prémonitoire –, les deux amis s’étaient mis d’accord pour libérer sept membres d’équipage, dont Manon, en échange de la libération de trois prisonniers « politiques » comme les désignait le chef du commando.
Ils avaient convenu de mettre en œuvre l’évacuation des sept membres d’équipage d’ici une heure. Il serait donc 8 heures du matin à Ormuz, 6 heures à Paris.
« Avec sept otages en moins, ce sera plus facile pour toi et tes hommes de gérer ceux qui restent. » conclut Kader qui ajouta : « Surtout maintenant que tu as deux Tchétchènes en moins… »
Abou Saïf fronça les sourcils sans répondre à son ami. « Comment pouvait-il savoir que j’ai perdu mes Tchétchènes ? »

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