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Le réveil d’Alexandre fut difficile. Il était huit heures du matin et il avait un peu mal au crâne. Il mit un peu de temps à réaliser que c’était dimanche et qu’il était au milieu d’une crise majeure. Il se rappela les évènements de la veille au soir – notamment le baiser – et se demanda s’il avait rêvé.
Allumant la télévision, il entendit une déclaration du président français : « … nous ne tolérerons aucune action offensive de la part d’un pays tiers sur le Surcouf. La France, en lien avec ses alliés, a mis des moyens en œuvre pour que cette prise d’otage se termine au plus vite en préservant les vies des personnes à bord. »
Il passa dans la salle de bain en laissant la porte ouverte pour écouter la télévision. Tout en se rasant, il pouvait entendre la voix off parler de l’attitude de plus en plus agressive de l’Iran et surtout de la Chine. Des collisions avaient ainsi été évitées de justesse à la suite de manœuvres volontairement dangereuses des navires chinois. Par ailleurs, les Occidentaux avaient dénoncé des survols à basse altitude de leurs bâtiments de guerre par des chasseurs chinois. Ces intimidations sur le terrain s’accompagnaient de déclarations menaçantes. Des officiels chinois affirmaient ouvertement que les Occidentaux non seulement ne faisaient rien pour mettre fin à cette crise mais encore l’entretenaient volontairement pour affaiblir la Chine et l’Iran. Les Iraniens accusaient Israël d’être à l’origine d’une situation qui portait d’abord préjudice à son éternel adversaire.
Suivait la déclaration d’un dirigeant chinois posant un ultimatum : « si le détournement n’était pas résolu d’une manière ou d’une autre dans les trente-six heures, l’armée chinoise se chargerait d’y mettre fin ». Alexandre éprouva un frisson en entendant la traduction des mots employés par le Chinois.
Il se remémora l’actualité internationale récente : l’attitude de plus en plus provocante et offensive de la Chine à l’égard de Taïwan, ainsi que l’occupation et la fortification de plusieurs ilots inhabités en mer de Chine méridionale. La nouvelle administration américaine avait réagi avec une fermeté accrue devant ces tentatives d’intimidation. Les Américains avaient notamment mis en place un système de sanctions visant l’approvisionnement en énergie de la Chine. De fait, les livraisons de pétrole des pays alliés des Etats-Unis s’étaient fermées aux Chinois, notamment le brut saoudien. La Chine ne pouvait désormais étancher sa soif de brut qu’auprès de quelques pays défiant l’oncle Sam. Outre la Russie et le Venezuela c’était l’Iran qui permettait à l’Empire du Milieu de satisfaire tous ses besoins. Le blocage actuel du détroit d’Ormuz avait donc une conséquence immédiate et particulièrement douloureuse pour la Chine qui ne parvenait plus à couvrir toute sa demande intérieure.
Les matelots descendaient l’un après l’autre avec précaution l’échelle de coupée avant de prendre place dans le canot pneumatique où trois marins du Languedoc les attendaient en contrebas. Les drones des journalistes avaient repéré la scène et bourdonnaient tout autour pour en retransmettre les images en direct.
Le commandant saluait ses subordonnés un par un, leur souhaitant bonne chance. « C’est surtout ceux qui restent qui vont avoir besoin de chance » songeait-il. La pensée de sa femme et de ses enfants s’imposa soudain à lui. Est-ce qu’il les reverrait un jour ? se demanda-t-il la gorge serrée.
Manon était la dernière à quitter le Surcouf. Son visage était inexpressif et elle avait l’air absente. Kerpont chassa ses pensées mélancoliques et la serra dans ses bras. La jeune fille se laissa faire avant de s’engager elle aussi sur l’échelle.
Le commandant vit les marins du Languedoc aider Manon à s’installer dans leur embarcation puis donner le signal du départ.
Le canot s’éloigna d’abord lentement du Surcouf puis rapidement dans la direction du Languedoc.
Alors qu’il n’avait parcouru que quelques dizaines de mètres, trois avions de chasse chinois survolèrent la zone à très basse altitude. Le bruit de leurs moteurs recouvrit en un instant le bourdonnement des drones et le grondement du roll-over. Les spectateurs observèrent les avions s’éloigner puis opérer un virage à cent-quatre-vingts degrés pour faire un nouveau passage. Soudain, ils virent l’un des aéronefs tirer un missile. En quelques secondes, le projectile avait atteint un drone au-dessus du Surcouf. Les débris s’étaient éparpillés dans l’océan, certains atteignant le méthanier sans y causer de dommages apparents.

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