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Alexandre et Victoria passaient un bon moment. Le brunch était délicieux et malgré la crise en cours, ils se sentaient libres de profiter de leur matinée du dimanche. Et pourtant le détroit d’Ormuz n’était jamais loin.

« Je viens de recevoir la confirmation que sept membres d’’équipage ont été transférés sur le Languedoc. » annonça Victoria avec un large sourire. « Et Manon en fait partie. »

« Quel soulagement ».

« Ils seront à Paris dans la soirée » ajouta Victoria.

Alexandre nota pourtant que le visage de la jeune fille s’était assombri d’un coup.

Au même moment, il vit une notification apparaître sur son téléphone « Libération d’otages sur le Surcouf et destruction d’un drone. »

« Les Chinois ont détruit un drone américain » confirma Victoria en ajoutant : « C’est une escalade très inquiétante. »

« J’avais compris que les Chinois avaient tenu des propos menaçants. Mais je ne pensais pas qu’ils iraient jusqu’à l’affrontement » dit Alexandre avec une expression d’incrédulité.

Les deux jeunes gens se turent pour méditer la dernière nouvelle. C’était la première fois que les puissances nucléaires se retrouvaient en confrontation directe.

« Les Chinois font le jeu des terroristes » murmura Victoria.

« Comment ça ? » interrogea Alexandre.

« D’après les informations remontées par Préville, l’objectif des terroristes est de laisser pourrir la situation le plus longtemps possible pour créer une crise globale entre les Occidentaux et l’Iran chiite. Il semble que nous y sommes. »

« Pourtant, les Chinois affirment que ce sont les Américains qui profitent de la situation actuelle et font le jeu des terroristes. » fit remarquer Alexandre.

« Oui. C’est le génie des terroristes d’avoir donné à chaque camp des raisons de rejeter la responsabilité des évènements sur l’autre. Ils ont créé un climat d’incertitude et de confusion qui intensifie les tensions. Cette incertitude est ce qu’il y a de pire pour des économies de marché, d’où la chute des cours de bourse et la hausse des cours du pétrole. L’engrenage est implacable : envolée du prix du pétrole, difficultés d’approvisionnement – particulièrement en Chine, amplification de l’effondrement des cours de bourse… »

« Mais comment les Chinois peuvent-ils affirmer que les Américains sont responsables de cette situation ? » insista Alexandre qui en oubliait de manger le contenu de son assiette.

« Les autorités chinoises sont sur la défensive sur le plan extérieur avec les tensions en mer de Chine et sur le plan intérieur avec une économie qui tourne au ralenti. La Chine peut penser qu’elle est ciblée par cette opération. C’est un moyen de se défausser auprès de sa propre population. Et ce n’est pas complètement irréaliste. Après tout, ce sont les Américains qui ont créé les talibans et instrumentalisé l’islamisme « géopolitique » pour lutter contre leurs adversaires pendant la guerre froide. Et c’est d’ailleurs devenu un narratif classique pour les médias d’Etat chinois d’accuser les Etats-Unis d’attiser les troubles au Xinjiang, province chinoise à majorité musulmane. » expliqua la jeune fille.

« Oui mais c’est oublier que l’explosion du Cheikh Boumediene a fait de nombreuses victimes américaines et aurait pu conduire à une catastrophe d’une ampleur inégalée. » L’image de l’explosion de Boston revint à la mémoire d’Alexandre.

« Certes. Et ce ne serait pas première fois que la créature islamiste se retourne contre son créateur. » rétorqua en souriant Victoria qui semblait se faire un malin plaisir à jouer l’avocat du diable.

« Attendons de voir quelle sera la réaction des Américains » ajouta Alexandre en guise de conclusion.

Des cloches carillonnaient l’appel à la messe dominicale.

Le visage de Karem était tuméfié. Des traces de coups y étaient visibles et son arcade sourcilière était ensanglantée. Le kabyle avait besoin d’être soutenu par les deux terroristes qui étaient très probablement aussi ses tortionnaires.

A côté de lui, les yeux baissés, le visage creusé et le corps amaigri flottant dans son uniforme fripé et sali par la sueur, Louis de Préville se tenait vouté, les mains liées.

Autour du Surcouf, aucun souffle de vent, aucune vague ne venaient froisser la surface des eaux. L’azur sans nuage du ciel teintait l’océan d’un bleu profond. Tout autour, se devinaient au loin les silhouettes brumeuses des bâtiments de guerre. Sous le soleil implacable, le temps semblait suspendu, alors que dans les entrailles du bateau grondait l’orage.

Kerpont regardait ses hommes, atterré d’en être arrivé à cette situation dramatique. Il comprenait que Karem avait trahi la présence de Préville sous la torture. Comment lui en vouloir ? Quelle tristesse de voir ces deux-là côte à côte dont l’amitié sincère et la complicité étaient connues de tous. Les terroristes avaient « cueilli » Préville dans son sommeil, caché dans le local de stockage de la chaîne de l’ancre. Ils avaient récupéré un AK47 et un téléphone portable qu’utilisait Préville pour communiquer avec l’armée française.

Ils se trouvaient encore une fois dans cette configuration où équipage et terroristes avaient été réunis par Abou Saïf. Tous savaient déjà que ce rassemblement se terminerait encore une fois dans le sang. La fatigue aidant, beaucoup sanglotaient et refusaient de regarder ce qui allait se passer. Les grondements dans les cuves causés par le roll-over se poursuivaient, ajoutant encore à la tension et accentuant un peu plus la fatigue nerveuse de chacun.

Karem, au-delà de son aspect physique largement entamé, semblait également moralement brisé. Des larmes coulaient de ses yeux boursouflés le long de son visage.

Abou Saif affichait un visage dur sur lequel transparaissait une hostilité à peine dissimulée. Kerpont sentait que l’épuisement exacerbait les réactions du terroriste qui devenaient plus radicales, comme l’avait montré l’épisode de l’exécution sommaire d’Aslan.

Abou Saïf prit la parole dans le silence pesant de la scène. Kerpont nota que sa voix était devenue plus aiguë et son débit plus rapide.

« Je ne peux pas tolérer que toutes les personnes sur ce bateau n’obéissent pas à mes ordres. Vous avez pu voir que j’applique cette règle aussi bien aux membres d’équipage qu’aux membres de mon équipe. »

Après un silence et avec une ironie malsaine le terroriste ajouta « Avec quelques encouragements, votre cuisinier a accepté de nous révéler l’existence de votre collègue, monsieur de Préville, qui se terrait dans un recoin du bateau et transmettait des informations à nos ennemis. »

Kerpont nota que Préville avait levé les yeux vers son ami et il lui sembla que ce regard n’exprimait aucun reproche mais au contraire une profonde empathie pour le cuisinier.

L’attention de l’assistance fut brusquement détournée par trois détonations assourdissantes, causées par des avions de chasse franchissant le mur du son. Levant les yeux, ils virent trois avions qui se dirigeaient vers le Surcouf.

Il sembla à Kerpont qu’il s’agissait des mêmes appareils qui, quelques heures plus tôt, avaient abattu un drone.

Les avions de guerre étaient presque à la verticale du navire quand l’un d’eux fut pris en chasse par un missile tiré par un navire. Changeant à plusieurs reprises de trajectoire et libérant ses leurres pour tenter de tromper le missile, l’avion essaya d’échapper à l’engin de mort. Mais le projectile continua sa course implacable jusqu’à sa cible de laquelle s’échappa bientôt un panache de fumée noire. Les passagers du Surcouf virent le pilote s’éjecter et la corolle de son parachute blanc se déplier dans le ciel pendant que l’appareil s’abimait en mer.

L’auditoire pétrifié avait l’espace d’un instant oublié le drame qui se jouait sur le bateau.

Son revolver à la main, Abou Saïf dirigeait le canon de son arme vers Préville.

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