Le brunch était terminé. Alexandre avait quitté le café avec regret : il devait passer au bureau pour parler avec Christophe et Baecker du communiqué de presse à publier pour saluer la libération des otages.

Il avait trouvé la cellule de crise quasiment vide. Il savait que cela ne signifiait pas la fin de la crise : chacun des membres de la cellule était joignable en permanence, et consultait ses messages plusieurs fois par heure.

Christophe avait suggéré de faire un point de situation. Tous les membres de la cellule qui n’étaient pas présents physiquement s’étaient connectés en visioconférence. Le directeur de la cellule de crise avait listé les différents groupes de travail et donné la parole aux responsables.

Les RH avaient fait part de leurs efforts pour répondre aux appels des familles dont la patience s’érodait à mesure que leur panique croissait. Ils avaient joint chacune des familles concernées par les libérations.

Alexandre avait fait un point rapide sur la communication avant qu’une autre personne ne prenne la parole.

« J’ai demandé à notre équipe Valorisation du Portefeuille de nous donner une estimation de la perte engendrée par cette situation pour EUROGNL. » C’était le directeur adjoint de la cellule de crise qui parlait. « En ne prenant en compte que les évaporations – naturelles et forcées – depuis le début de la crise et les prix actuels du gaz naturel, la perte en P&L est déjà de 40 millions de dollars. »

« Merci pour cette info » réagit Christophe. « Mais je ne pense pas qu’à ce stade ces éléments soient pertinents. D’abord parce que le niveau des prix actuels est fortement influencé par la crise du Surcouf. Dit de manière différente : cela n’a aucun sens de parler d’un gain résultant d’une crise qui empêche précisément de réaliser ce gain. » La voix du directeur de la cellule de crise avait un ton professoral. « Par ailleurs, tant que des vies sont en jeu, il me semble indécent de discuter des pertes ou de gains financiers. En revanche, lorsque la crise sera derrière nous, c’est un exercice qui sera nécessaire. »

Le responsable sécurité du groupe EUROGNL, en charge des relations avec les autorités, avait ensuite fait un résumé circonstancié de l’état des discussions entre le Surcouf et les négociateurs sans apporter de nouveaux éléments à la connaissance d’Alexandre.

L’expert technique avait été le dernier à prendre la parole. Il indiqua que Manon avait pu être débriefée très rapidement. Elle confirmait que la cargaison était en situation de roll-over. L’équipage essayait de garder le contrôle mais la situation était très préoccupante et pouvait dégénérer à tout moment.

« A-t-on pu contacter des experts en comportement du GNL pour nous aider à gérer cette situation de roll-over ? » demanda Christophe.

« Oui, nous sommes en lien avec différentes instances sur le sujet, notamment le GIIGNL. Le problème est qu’à notre connaissance, un roll-over aussi avancé n’a jamais été constaté sur aucun bateau à ce jour. On est en terrain inconnu. » répondit le technicien.

Le responsable sécurité reprit la parole. « Je viens d’avoir une notification de la cellule de crise du Quai d’Orsay : les Américains ont abattu un avion de chasse chinois en rétorsion après la destruction de leur drone. Par ailleurs, les Américains ont fait savoir qu’ils repositionnaient leur 7ème flotte du Pacifique vers la mer de Chine. »

Les mots prononcés mirent quelques secondes à être digérés par les auditeurs.

Alexandre fut le premier à réagir : « Les Américains ont manifestement décidé de jouer l’escalade. Espérons que ça n’entraîne pas le monde dans une nouvelle guerre mondiale. »

« C’est la première fois que les tensions sont aussi fortes entre les deux premières puissances militaires – et nucléaires – de la planète. » fit remarquer Christophe. « Ça nous ramène à la crise des missiles de Cuba. »

Visiblement, cette crise mentionnée par Christophe ne parlait pas à tout le monde.

Alexandre ajouta « En effet. Mais en 1962, l’URSS avait fait machine arrière avant qu’il y ait la moindre confrontation directe. Aujourd’hui, on a dépassé ce stade. »