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TURQUIE

Il faisait chaud à Mossoul. Cette chaleur étouffante avait surpris Mohamed lorsque, quittant la voiture climatisée après plusieurs heures de route, il avait fait ses premiers pas dans cette ville du Nord de l’Irak.

Il avait suivi son guide dans les ruelles tortueuses de la vieille ville jusqu’à une maison discrète où il allait être logé pour une durée inconnue.

Assis sur un divan, il essayait de se remémorer tous les évènements qui l’avaient conduit à cette heure présente.

Plusieurs mois plus tôt, il avait annoncé à son employeur qu’il prenait un congé sabbatique. Il avait quitté ses collègues discrètement, sans regret et sans pot de départ. Il avait ensuite embarqué sur un vol de Turkish Airlines pour Istanbul. Un vol aller-retour dont il n’avait pas l’intention d’utiliser le retour. Il avait dit à sa mère qu’il partait passer une semaine de vacances sur la côte turque. C’était il y a déjà un mois.

Il eut une pensée pour ses parents. Mohamed était fils unique mais il s’était éloigné de sa famille à mesure qu’il se rapprochait de Dieu. Ses parents étaient athées, accaparés par leurs emplois respectifs et leurs plaisirs mondains. Il avait acquis l’intime conviction qu’il avait été adopté et que ses parents n’étaient pas les siens.

Il était resté une semaine à Istanbul, ce qui lui avait permis de visiter la ville. On ne lui avait d’ailleurs pas laissé le choix : il était parti comme un touriste et sa couverture devait rester crédible. Il s’était donc installé dans un hôtel modeste du quartier Beyoglu, non loin de la tour de Galata et de la célèbre place Taksim.

Tout naturellement, il avait commencé son exploration de la ville par le vieux quartier de Sultanahmet, suivant le flot de touristes jusqu’à la majestueuse église Sainte Sophie, désormais une mosquée par décret présidentiel. Celle-ci faisait face à la Mosquée Bleue, non moins impressionnante. Bien que les deux édifices ne soient distants que de quelques centaines de mètres, Mohamed apprit qu’ils étaient séparés par un millier d’années. Cela faisait donc pas moins de 15 siècles que Sainte Sophie défiait le temps et les hommes… Presque le double de Notre-Dame de Paris, dans la ville où il avait grandi. Il n’était que justice que ce lieu soit désormais une mosquée pour adorer le seul vrai Dieu et son prophète.

Les jours suivants, il avait visité le magnifique palais du Topkapı où il s’émerveilla devant les reliques sacrées de l’Islam. Il sentit son cœur s’emballer devant l’épée et le manteau du prophète Muhammad, que la paix et les bénédictions d'Allah soient sur lui. L’émotion le submergea en contemplant les empreintes de pied et les précieux cheveux du Prophète. Il serait resté indéfiniment dans la salle si un gardien ne l’avait pas respectueusement demandé de circuler.

Il avait déambulé dans l’avenue Istiklal depuis la place Taksim. C’était la partie européenne de la ville et en ce début de soirée estivale, les bars faisaient le plein de clients jeunes et alcoolisés. Il croisa une troupe d’étudiants britanniques manifestement en état d’ébriété malgré l’heure peu avancée. La scène n’avait rien d’étonnant pour une ville occidentale. Mais sur une terre d’Islam, il semblait à Mohamed que tous les mécréants s’étaient réunis pour boire de l’alcool et célébrer Satan dans leurs tenues provocantes.

Le jour suivant, il était monté dans un bus pour Ankara. Les hommes étaient assis sur les sièges de droite, les femmes sur ceux de gauche. La plupart d’entre elles étaient voilées. Le bus était arrivé 6 heures plus tard. Il n’avait passé que 24 heures dans la capitale turque mais il avait eu le temps de visiter le bazar de la ville et le mémorial d’Ataturk. Même s’il essayait de se détendre, ces visites étaient un supplice pour lui : sans les consignes très précises qu’on lui avait communiquées, il serait allé directement au terme de son voyage, sans s’encombrer de toutes ces étapes fastidieuses.

Docilement, il avait ensuite repris un bus à destination de Göreme, situé à trois bonnes heures de route à l’est d’Ankara. Prenant à cœur son rôle de touriste, il avait noté dans son guide que la Cappadoce était, après Istanbul, la région incontournable à visiter. Et en effet, les paysages à couper le souffle s’étaient imprimés dans un coin de sa mémoire. Là encore il réalisa que la région était truffée de vestiges chrétiens, notamment d’anciennes églises souterraines.

Après trois jours de visites et de randonnées, il estima en avoir fait assez pour assurer la crédibilité de son rôle de touriste. Il réserva un billet de bus pour Gaziantep, au sud-est de la Cappadoce. En chemin, il se renseigna sur cette ville dont le nom signifiait « Antep la victorieuse ». La ville avait gagné son nom après avoir vaillamment résisté à l’occupation par les troupes françaises en 1920.

De Gaziantep, il avait gagné Mardin où son point de rendez-vous était fixé. Celui-ci n’était pas précis : il devait prendre une chambre d’hôtel, visiter la ville et attendre qu’on prenne contact avec lui. Une fois installé sur place, il comprit que le choix de cette ville présentait plusieurs avantages. Suffisamment touristique pour justifier une étape de son voyage, la ville était également située à proximité immédiate de la frontière syrienne et à quelques heures de route de la frontière irakienne. Son guide lui proposait de visiter la citadelle de la ville, et encore des églises…

Il lui vint la pensée que c’était le peuple turc qui avait donné son nom à la Turquie et non l’inverse. Lorsque les Turcs sont arrivés d’Asie centrale à la charnière des XIIIème et XIVème siècles, le territoire de l’actuelle Turquie était occupé par des Chrétiens Byzantins, Arméniens et des Kurdes. C’est en soumettant et en repoussant ces populations hors de ces terres désormais turques que la Turquie s’était construite jusqu’à aujourd’hui.

Une curieuse idée traversa l’esprit de Mohamed : « Finalement, la Turquie n’est qu’un état d’Israel qui avait réussi à se maintenir à travers les siècles ».

La ville était construite sur les pentes d’une colline qui surplombait la plaine de Mésopotamie. Le deuxième soir, Mohamed s’était assis sur un banc pour apprécier le panorama spectaculaire. Une plaine immense s’étendait en contrebas, à perte de vue. Les teintes ocres de la terre se mélangeaient aux reflets dorés des champs de blé et au feuillage vert sombre des oliviers. Le soleil déclinant magnifiait la palette des nuances sous un ciel d’un bleu profond. Là-bas, tout au bout, l’horizon se fondait peu à peu dans une brume teintée de pourpre. Mohamed se sentait grisé par la douceur du soir et par le spectacle aux couleurs chaudes qui s’offrait à lui.

De là où il était son regard portait jusqu’à la Syrie. Était-ce là la destination finale de son périple ? Là où Allah l’appelait à le servir par son martyre ?

C’est ce moment qu’un homme avait choisi pour l’aborder par son nouveau nom de guerre. Peu après, il s’était retrouvé assis dans un pick-up Toyota. La route avait été longue, sans qu’un seul mot soit échangé avec son chauffeur. Ils étaient entrés clandestinement en Irak en évitant la ville de Zakho.

Le trajet s’était poursuivi sans encombre jusqu’à Mossoul, malgré quelques checkpoints. Les militaires les avaient laissés passer sans poser de question. Il était arrivé à Mossoul au petit jour. Une nouvelle vie commençait pour lui. Mohamed le Parisien n’était plus.

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