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« Je ne comprends pas, c’est plutôt bien d’avoir des prix très élevés du gaz pour les sociétés qui vendent du gaz. Pourtant plusieurs de tes concurrents semblent au bord de la faillite ! » Victoria regardait Alexandre avec des yeux interrogateurs.

Il réfléchit quelques secondes avant de répondre.

« En règle générale tu as raison. Mais certaines sociétés de trading n’ont pas la trésorerie pour supporter des prix aussi élevés. » commença-t-il. « Avec les prix du gaz à plus de $150/MMbtu, la valeur des cargaisons de GNL avoisine les 500 millions de dollars. C’est potentiellement un profit énorme quand on paie la cargaison sur la base de prix long terme autour de $15/MMbtu. Mais c’est aussi un problème pour beaucoup de sociétés du secteur qui ne peuvent pas répondre aux appels de marge. »

Victoria leva la main comme une élève de primaire : « C’est quoi un appel de marge ? »

Alexandre reprit. « C’est un concept assez spécifique au trading. Pour faire simple, quand des traders vendent ou achètent un cargo sur la base d’un indice, ils vont parfois se protéger contre une hausse ou une baisse de cet indice. Pour cela, ils vont prendre des positions financières inverses de sorte que si le prix des volumes physiques qu’ils achètent ou vendent évolue, l’évolution inverse des positions financières va compenser ces variations. »

Alexandre fit une pause. « Est-ce que tu me suis ? »

« Oui je crois. Mais peux-tu me donner un exemple concret ? »

Alexandre se leva et se dirigea vers le tableau au mur pour illustrer son propos.

« Ok. Mettons que je me mette d’accord avec un acheteur pour lui vendre un cargo de 3.5 millions de MMBtu qui sera livré le mois prochain au terminal de Dunkerque au prix de l’indice européen, le TTF. Mes MMBtus c’est ce qui détermine la quantité de gaz dans mon cargo : 3.5 millions de MMBtu, ça me fait environ 150,000 m3 de GNL en volume.

Aujourd’hui, le TTF pour le mois prochain est à $20 par MMbtu. Comme j’ai acheté ce cargo à $10 par MMbtu, ma marge attendue est de 35 millions. Cependant, le TTF étant un indice et non un prix fixe, ma marge dépendra de son niveau réel au moment de la livraison. Si le TTF baisse, ma marge sera réduite.

Dans le jargon des traders, on dit que je suis « long TTF » : j’ai une exposition aux variations du TTF. »

Victoria écoutait Alexandre avec attention, prenant des notes comme une élève studieuse.

Alexandre poursuivit : « Pour me protéger contre ce risque, je vais vendre l’équivalent d’un cargo virtuel de 3.5 millions de MMbtu sur le marché des futures TTF, à $20 le mois prochain. En d’autres termes, je prends une position « short TTF » ou dit autrement, je prends une position vendeuse sur les futures TTF. Le jour de la livraison, je m’engage sur le papier à livrer 3.5 millions de MMBTus contre la somme de $20/MMBTus. Si le prix baisse en dessous de $20, je gagne de l’argent sur cette position, ce qui compense ma perte sur le cargo physique. »

Alexandre alignait les chiffres sur le tableau.

« Ainsi, si le TTF baisse de $5 (à $15), je perdrai $17.5 millions sur ma vente physique…. Mais je gagnerai $17.5 millions sur mes futures (vendus à $20 et rachetés à $15). »

« Pourquoi vendre un cargo virtuel au même prix que celui que tu vends ? »

« Ce n’est pas le même prix dans le sens où l’un est variable (un indice) et l’autre est fixe. Quand je dis que je vends un cargo virtuel, ce n’est pas le cargo qui m’intéresse dans l’opération, mais le prix fixe offert par le trader en face de moi. »

« Quel est son intérêt à lui ? »

« Il fait le pari inverse et pense que le marché va monter. S’il descend en dessous de $20, il me verse la différence, en revanche s’il dépasse $20, c’est moi qui lui verse la différence. Et avec le marché actuel, ça peut être le jackpot pour mon interlocuteur. »

« Mais si le prix d’achat dépasse $20 en Europe, tu perdras une opportunité de gagner plus » intervint Victoria en levant la main encore une fois.

« Exactement. Mais comme je te l’ai dit : je ne suis pas joueur, je voulais juste sécuriser ma marge entre les Etats-Unis et l’Europe, et non spéculer sur l’évolution du prix du gaz en Europe. »

« Tu es un très bon professeur de trading. » déclara Victoria sur un ton flatteur. « Mais c’est quoi un appel de marge en définitive ? Et en quoi cela menace-t-il de mettre à terre les sociétés du secteur ? » ajouta-t-elle avec un clin d’œil.

« J’y viens. » répondit Alexandre sans relever l’ironie.

« Maintenant imagine que le TTF, au lieu d’être autour de $20, commence à monter à $50 puis à $100. »

« Ton ami trader doit se frotter les mains ! » s’exclama Victoria.

« Exactement. Mais mets-toi à la place de l’établissement financier qui garantit ta transaction sur les futures : est-ce qu’elle ne va pas avoir un peu d’inquiétude sur ta capacité à tenir ton engagement de verser la différence entre le marché et ton prix de $20 ? A $50, tu dois décaisser 50 – 20 = $30 par MMBtu, soit $105 millions. A $100, la somme grimpe à $280 millions. »

« Ah oui, c’est clairement un peu stressant » admit la jeune fille.

Alexandre poursuivit sa démonstration. « La chambre de compensation n’est pas censée savoir que tu as vendu un cargo sur l’indice TTF dont l’augmentation te rapporte $350 millions, ce qui te permettra de couvrir largement ton obligation financière. Et même si tu montres la transaction signée, elle ne voudra pas prendre le risque que le cargo se volatilise parce que ton vendeur a fait défaut ou parce que ton bateau a été détourné par des djihadistes. Bref, au fur et à mesure que l’indice va monter, la chambre de compensation va te demander de déposer progressivement une partie du cash pour couvrir ta perte latente. C’est ça des appels de marge. »

« Donc, dit autrement, un appel de marge est une obligation de faire un dépôt de cash pour couvrir une position qui se creuse dangereusement. » résuma Victoria.

« Exactement. Tu dois avancer le cash alors que le produit de ta vente n’est pas encaissé : il faut donc avoir une trésorerie solide, ou bien des banquiers compréhensifs. »

« Rappelle-moi : le TTF est à combien aujourd’hui ? »

« Il vient de dépasser $150. » répondit Alexandre sur un ton neutre. « Il était à $17 il y a une semaine. » ajouta-t-il.

« Et le banquier d’EUROGNL est-il compréhensif ? » s’enquit Victoria.

« Notre stratégie est de ne couvrir qu’une petite partie de nos transactions. » Le visage d’Alexandre affichait un petit sourire de satisfaction. « Nous n’avons que peu d’appels de marge dans les faits. »

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