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Yemen, été 20**

Cela faisait désormais plusieurs semaines que Mohamed, après avoir été formé au combat en Irak, avait été envoyé au Yemen renforcer les troupes d’Al Qaida dans la Péninsule Arabique ou AQAP en anglais.

Il avait été saisi par la beauté sauvage de cette terre déchirée par la guerre, où les tons ocres des maisons-tour de pisé accrochées aux falaises s’étiraient entre le bleu intense du ciel où tournoyaient quelques rapaces et le vert luxuriant du wadi en contrebas. Ces paysages réveillaient en lui les récits de Kessel qu’il avait dévorés dans une vie précédente.

Maintenant qu’il était au Yemen, il avait du mal à comprendre la partition jouée par AQAP dans la guerre qui opposait les rebelles Houthis aux forces gouvernementales yéménites.

Il savait que les Houthis étaient des chiites soutenus par l’Iran et qu’ils étaient par nature les ennemis des combattants sunnites d’Al Qaida. Mais AQAP semblait avoir signé un pacte de non-agression avec eux et concentré ses attaques sur les forces gouvernementales et leurs alliés conduits par l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis.

A peine arrivé, Mohamed avait été le témoin du bombardement par la coalition sunnite d’un bus scolaire. Pourra-t-il oublier la vision des quarante petits corps d’enfants fauchés ce jour-là, ou chasser de sa mémoire les gémissements insupportables des blessés qui reviennent chaque nuit hanter son sommeil ?

Les bombes avaient été lancées depuis des avions fabriqués en France ou aux Etats-Unis. Les groupes armés qui manipulaient ces armes ne dédouanaient pas les Occidentaux de leur responsabilité. Pour Mohamed c’étaient les Américains et les Français qui tiraient les ficelles de la guerre et en retiraient les bénéfices, bien à l’abri à des milliers de kilomètres de celle-ci. S’il y avait un coupable pour toutes ces atrocités, c’était sans l’ombre d’un doute l’Occident.

Il était venu pour se battre et n’avait pas eu l’occasion de tirer le moindre coup de feu. Les journées se succédaient, segmentées par les prières et allongées par l’ennui, dans l’attente d’un ordre de marche qui n’arrivait pas. Un jour, cet ordre avait pourtant surgi sans prévenir : il avait été conduit, lui seul sans ses camarades, jusqu’à une grotte isolée. Trois humanitaires francophones y étaient retenus. Il avait servi d’interprète.

Quelle est la noblesse du traducteur, quand on est destiné au martyre pour Allah ? Mohamed ruminait sa déception tout en obéissant aux ordres de son cheikh. Il était dans cet état d’esprit lorsqu’il fut convoqué par son émir.

Celui-ci était devant lui, assis sur un canapé, la barbe noire, coiffé d’un turban blanc à motifs, un AK47 posé à côté de lui.

« Je sais que tu veux mourir en martyr » lui dit-il. Le cœur de Mohamed battait à tout rompre dans l’attente des paroles de l’émir. « Tu vas avoir l’occasion de glorifier Allah par ton martyre. Il te faudra de l’autorité, du sang froid et beaucoup de doigté. »

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